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29/11/2023 | FRANCE | N°465840

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 29 novembre 2023, 465840


Vu la procédure suivante :



La commune de Cauro a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la délibération n° 27/16 du 4 juillet 2016 du conseil communautaire de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo (CCPOT) par laquelle il a confirmé, sur le rapport de la présidente de la communauté de communes, l'existence d'une dette de la commune de Cauro d'un montant de 742 026 euros ainsi que le titre exécutoire n° 82 émis le 26 septembre 2016 par la présidente de la communauté de communes mettant à la charge de

la commune de Cauro une somme de 742 026 euros et, d'autre part, de prono...

Vu la procédure suivante :

La commune de Cauro a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la délibération n° 27/16 du 4 juillet 2016 du conseil communautaire de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo (CCPOT) par laquelle il a confirmé, sur le rapport de la présidente de la communauté de communes, l'existence d'une dette de la commune de Cauro d'un montant de 742 026 euros ainsi que le titre exécutoire n° 82 émis le 26 septembre 2016 par la présidente de la communauté de communes mettant à la charge de la commune de Cauro une somme de 742 026 euros et, d'autre part, de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1601164 du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette délibération et ce titre exécutoire et a déchargé la commune de Cauro de l'obligation de payer la somme de 742 026 euros.

Par un arrêt n° 21MA00002 du 16 mai 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo, annulé ce jugement, rejeté la requête de la commune de Cauro et rejeté les conclusions indemnitaires de la communauté de communes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juillet, 18 octobre et 22 décembre 2022 et 10 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Cauro demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la commune de Cauro et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un conflit oppose depuis plusieurs années la commune de Cauro et le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la rive sud du golfe d'Ajaccio, auquel s'est substituée le 1er janvier 2014 la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo (CCPOT), à raison du raccordement irrégulier au réseau intercommunal d'assainissement des eaux usées, géré par le syndicat intercommunal, de plusieurs habitations ou installations situées sur le territoire de la commune alors que celle-ci n'était pas membre du syndicat. Par un titre exécutoire en date du 26 septembre 2016, la présidente de la communauté de communes a mis à la charge de la commune de Cauro la somme de 742 026 euros, correspondant au montant de la dette réclamée par la CCPOT à la commune, telle qu'elle avait été présentée par la présidente au conseil communautaire de la CCPOT lors de sa séance du 4 juillet 2016. La commune de Cauro a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la délibération du 4 juillet 2016 et le titre exécutoire du 26 septembre 2016 et, d'autre part, de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement du 3 novembre 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé la délibération et le titre exécutoire attaqués et a déchargé la commune de Cauro de l'obligation de payer la somme de 742 026 euros. Sur appel de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 16 mai 2022, annulé ce jugement, rejeté la requête de la commune de Cauro et rejeté les conclusions indemnitaires de la communauté de communes. La commune de Cauro se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes en date du 4 juillet 2016 :

2. Aux termes de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales : " Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale. / (...) Il est l'ordonnateur des dépenses et il prescrit l'exécution des recettes de l'établissement public de coopération intercommunale ". Aux termes de l'article R. 2342-4 du même code : " Les produits (...) des établissements publics communaux et intercommunaux (...), qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur, sont recouvrés : / (...) - soit en vertu de titres de recettes ou de rôles émis et rendus exécutoires (...) par l'ordonnateur en ce qui concerne les établissements publics ". Aux termes de l'article 10 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les ordonnateurs prescrivent l'exécution des recettes et des dépenses (...) " et de l'article 11 du même décret : " Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. Ils engagent, liquident et ordonnancent les dépenses (...) ".

3. En jugeant que le conseil communautaire de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo s'était borné, par sa délibération du 4 juillet 2016, à prendre acte de la démarche exposée par sa présidente et n'avait pas entendu constater l'existence, la quotité et l'exigibilité de la créance, ni décidé d'en poursuivre le recouvrement ou de s'immiscer dans les compétences de la présidente de la communauté de communes en tant qu'ordonnatrice, que cet acte ne faisait donc pas grief et qu'il était par suite insusceptible de recours, pour rejeter comme irrecevables les conclusions de la commune de Cauro tendant à son annulation, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée. Elle n'a pas non plus entaché son arrêt de contradiction de motifs en se référant, par ailleurs, au contenu de cette délibération.

Sur le titre exécutoire émis par la présidente de la communauté de communes en date du 26 septembre 2016 :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours (...) ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

5. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 précité, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le montant du préjudice dont la CCPOT entend obtenir réparation par le titre exécutoire en litige, à raison de la faute commise par la commune pour avoir organisé le raccordement de certaines parties de son territoire au réseau d'intercommunal d'assainissement des eaux usées alors qu'elle n'était pas encore membre du syndicat intercommunal, correspond à la somme de 742 026 euros prévue par le projet de protocole transactionnel auquel le titre exécutoire se réfère directement, qui précise qu'elle comprend, d'une part, une somme calculée de manière forfaitaire, pour chaque habitation ou installation irrégulièrement raccordée, dans les conditions fixées à l'article 4 de ce document, présentée comme la contrepartie au droit conféré à la commune de se raccorder au réseau intercommunal d'assainissement des eaux usées et, d'autre part, une contribution au coût de fonctionnement du service. C'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel, ayant relevé que ces sommes ne correspondaient pas à l'indemnisation des frais liés à la réalisation du raccordement irrégulier, dès lors que ce dernier n'avait pas été effectué par le syndicat intercommunal, a estimé que ces montants, dans leur ensemble, correspondaient au surcoût engendré par le rejet supplémentaire d'eaux usées pour le fonctionnement du service d'assainissement. C'est sans erreur de qualification juridique des faits ni erreur de droit qu'elle en a déduit que le préjudice correspondant présentait, pour la totalité de son montant, un caractère continu et évolutif, et qu'étaient dès lors de nature à interrompre le délai de prescription tant les conclusions reconventionnelles présentées par le SIVOM de la rive sud du golfe d'Ajaccio à l'occasion d'un précédent litige devant le tribunal administratif de Bastia dont le jugement a été rendu le 10 juin 2010, qui constituent un recours devant une juridiction au sens du deuxième alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, que la délibération en date du 1er juillet 2011 du conseil municipal de Cauro autorisant la signature d'un précédent protocole d'accord, qui constitue une communication écrite de l'administration intéressée au sens du troisième alinéa du même article 2.

7. En deuxième lieu, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 6, la créance mise en recouvrement par le titre exécutoire contesté trouvait son fondement dans l'indemnisation du préjudice continu et régulier résultant de la faute commise par la commune, non contestée devant les juges du fond, en organisant le raccordement d'une partie de son territoire au réseau d'assainissement intercommunal. C'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel en a déduit que cette créance pouvait être mise à sa charge. D'autre part, si la commune soutient que cette créance aurait dû, aux termes des articles L. 1331-1 et suivants du code de la santé publique, être mise à la charge des propriétaires privés, ce moyen est nouveau en cassation et ne peut donc qu'être écarté.

8. En troisième lieu, en estimant, au vu des pièces du dossier qui lui était soumis, que la somme de 742 026 euros mise à la charge de la commune de Cauro par le titre exécutoire en litige correspondait à l'indemnisation du préjudice subi par la CCPOT du fait des rejets supplémentaires d'eaux usées pour le fonctionnement du service d'assainissement, sans qu'il soit besoin de faire usage de ses pouvoirs d'instruction, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit et s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Cauro n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Cauro une somme de 3 000 euros à verser à la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo en application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Cauro est rejeté.

Article 2 : La commune de Cauro versera à la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Cauro et à la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et du Taravo.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 octobre 2023 où siégeaient : M. Christian Fournier, conseiller d'Etat, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 novembre 2023.

Le président :

Signé : M. Christian Fournier

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 465840
Date de la décision : 29/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2023, n° 465840
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Autret
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:465840.20231129
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