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07/11/2023 | FRANCE | N°467980

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 07 novembre 2023, 467980


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 octobre et 23 décembre 2022 et le 17 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coénove demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022 modifiant l'arrêté du

29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie et l'arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d'économies d'énergie ;

2°)

de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 octobre et 23 décembre 2022 et le 17 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coénove demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022 modifiant l'arrêté du

29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie et l'arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d'économies d'énergie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil ;

- le code de commerce ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Eu égard à l'objet du litige, le syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.

2. Les articles L. 221-1 à L. 222-9 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil, à des obligations d'économies d'énergie dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie. Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement.

3. Par un arrêté du 12 juillet 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie et l'arrêté du

22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d'économies d'énergie, la ministre de la transition énergétique a notamment modifié l'article 3-4 de l'arrêté du 29 décembre 2014 afin de prévoir, en faveur des signataires de la charte d'engagement intitulée " Coup de pouce Chauffage des bâtiments résidentiels collectifs et tertiaires " qui s'engagent à accorder aux propriétaires ou aux gestionnaires de ce type de bâtiments des incitations financières sur certaines opérations réalisées pour leur compte, engagées entre le 1er septembre 2022 et le

31 décembre 2025 et achevées au plus tard le 31 décembre 2026, une bonification du volume des certificats d'économies d'énergie correspondants. Aux termes du second alinéa du II de ce nouvel article 3-4, " ces opérations incluent le changement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au charbon, au fioul ou au gaz non performants (toute technologie autre qu'à condensation) au profit, lorsqu'il est possible, d'un raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération (dans son état actuel ou dans le cadre d'un projet décidé), ou à défaut et sous réserve d'avoir obtenu de la part du gestionnaire du réseau de chaleur la justification de l'impossibilité technique ou économique du raccordement, de la mise en place d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul ".

4. L'association requérante, qui a pour objet d'assurer la sauvegarde des intérêts collectifs notamment en faveur d'" un mix énergétique pluriel fondé sur la complémentarité des énergies et la place de l'énergie gaz dans cette complémentarité ", demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 462-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ".

6. L'arrêté attaqué se borne à modifier les arrêtés des 22 et 29 décembre 2014, pris pour l'application des dispositions mentionnées au point 2, et n'institue donc pas, par lui-même, un régime nouveau au sens et pour l'application de l'article L. 462-2 du code de commerce. Par suite, le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédé d'une consultation de l'Autorité de la concurrence, ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

7. Aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-7 du code de l'énergie : " L'installation d'équipements permettant le remplacement d'une source d'énergie non renouvelable par une source d'énergie renouvelable ou de récupération pour la production de chaleur donne lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie selon des modalités de calcul spécifiques ". Aux termes de l'article L. 221-8 du même code : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. (...) Le nombre d'unités de compte est fonction des caractéristiques des biens, équipements, services, processus ou procédés utilisés pour réaliser les économies d'énergie et de l'état de leurs marchés à une date de référence fixe. Il peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées ". Aux termes de l'article R. 221-18 du même code : " Le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie ".

En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l'énergie :

8. Aux termes de l'article L. 443-9-3 du code de l'énergie : " I. - Afin d'assurer le bon fonctionnement (...) des réseaux publics de gaz naturel et de contribuer à la protection des consommateurs contre les défaillances des fournisseurs ainsi qu'à la continuité de leur approvisionnement, l'autorité administrative peut retirer ou suspendre (...) l'autorisation de fourniture d'un fournisseur lorsque le comportement de ce dernier fait peser une menace grave et imminente sur la continuité d'approvisionnement ou sur le fonctionnement des réseaux publics (...). / V. - Les fournisseurs désignés à l'issue de l'appel à candidatures mentionné au II sont tenus d'assurer la fourniture de secours dans les conditions prévues par le cahier des charges à tout client d'un fournisseur défaillant ou dont l'autorisation de fourniture a été retirée ou suspendue conformément au I ". Aux termes de l'article L. 712-3 du même code : " Dans les zones délimitées par le ou les périmètres de développement prioritaire, toute installation d'un bâtiment neuf ou faisant l'objet de travaux de rénovation importants (...) doit être raccordée au réseau concerné. Cette obligation de raccordement ne fait pas obstacle à l'utilisation d'installations de secours ou de complément. / Il peut être dérogé à cette obligation par une décision de la collectivité ou du groupement de collectivités, le cas échéant, après avis du délégataire du réseau ".

9. Ainsi qu'il a été dit au point 3, l'arrêté attaqué se borne à prévoir l'octroi de certificats d'économies d'énergie bonifiés au titre de certaines opérations et ne fait pas, par lui-même, obstacle à l'utilisation d'installations de chauffage de secours ou de complément telle que prévue par les dispositions des articles L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l'énergie citées au point 8. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait ces dispositions en ce qu'il ferait obstacle à l'utilisation d'installations de secours ou de complément en incitant, pour bénéficier de la bonification des certificats d'économies d'énergie, à la dépose de l'équipement de chauffage existant fonctionnant au gaz ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de liberté du commerce et de l'industrie :

10. Le principe de liberté du commerce et de l'industrie implique que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

11. Il ressort des pièces du dossier qu'en prévoyant la bonification des certificats d'économies d'énergie attachés aux opérations de remplacement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au charbon, au fioul ou au gaz non performants par un système de chauffage alimenté majoritairement par des énergies renouvelables, l'arrêté contesté contribue au développement de l'utilisation des énergies renouvelables et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre de la mise en œuvre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui vise notamment à multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid à l'horizon 2030. Au regard de ces objectifs et en l'absence de tout élément établissant que ce dispositif de bonification constituerait un frein au développement de la filière dite " biogaz ", le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué porterait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :

12. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

13. Il ressort des pièces du dossier que la production centralisée de chaleur permet d'atteindre un meilleur rendement global qu'un équipement autonome de chauffage même performant, et de générer des économies d'énergie. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 11, l'incitation au remplacement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au charbon, au fioul ou au gaz non performants par le raccordement à un système de chauffage alimenté majoritairement par des énergies renouvelables contribue au développement de l'utilisation des énergies renouvelables et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par suite, en incitant au raccordement des bâtiments résidentiels collectifs et tertiaires, lorsque cela est possible, à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, la ministre, qui n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en n'incluant pas dans le dispositif de bonification l'installation d'équipements de chauffage certes susceptibles de fonctionner au gaz produit en totalité à partir d'énergies renouvelables mais sur la base de la souscription, par définition, non pérenne, d'offres commerciales, s'est fondée sur des critères objectifs et rationnels dans un but d'intérêt général. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le rôle actif et incitatif des obligés dans le cas où le raccordement au réseau de chaleur est obligatoire :

14. D'une part, aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'énergie : " Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables, est classé en application du présent article un réseau de distribution de chaleur et de froid, répondant à la qualification de service public industriel et commercial au sens de l'article L. 2224-38 du code général des collectivités territoriales, existant ou à créer, lorsqu'il est alimenté à plus de 50 % par une énergie renouvelable ou de récupération, (...). / Pour les réseaux ne répondant pas à la qualification de service public industriel et commercial au sens du même article L. 2224-38, la collectivité territoriale ou l'établissement public compétent en matière de création et d'exploitation d'un réseau public de chaleur ou de froid peut, à la demande du propriétaire du réseau ou de son mandataire, classer un réseau de distribution de chaleur ou de froid, existant ou à créer situé sur son territoire, lorsqu'il remplit les critères énoncés au premier alinéa du présent article (...) ". Aux termes de l'article L. 712-3 du même code : " Dans les zones délimitées par le ou les périmètres de développement prioritaire, toute installation d'un bâtiment neuf ou faisant l'objet de travaux de rénovation importants (...) doit être raccordée au réseau concerné. Cette obligation de raccordement ne fait pas obstacle à l'utilisation d'installations de secours ou de complément. / Il peut être dérogé à cette obligation par une décision de la collectivité ou du groupement de collectivités, le cas échéant, après avis du délégataire du réseau ". Aux terme de l'article R. 712-9 du même code : " Pour l'application de l'obligation de raccordement prévue à l'article L. 712-3 :/ 1° Est considéré comme bâtiment neuf un bâtiment nouvellement construit dont la demande de permis de construire a été déposée postérieurement à la décision de classement ou une partie nouvelle de bâtiment ou surélévation excédant 150 m2 ou 30 % de la surface des locaux existants et dont les besoins de chauffage de locaux, de climatisation ou de production d'eau chaude excèdent un niveau de puissance de 30 kilowatts ; / 2° Est considéré comme bâtiment faisant l'objet de travaux de rénovation importants : / a) Un bâtiment dans lequel est remplacée l'installation de chauffage ou de refroidissement d'une puissance supérieure à 30 kilowatts ; / b) Un bâtiment dans lequel est remplacée une installation industrielle de production de chaleur ou de froid d'une puissance supérieure à 30 kilowatts (...) ". Aux termes de l'article R. 712-10 du même code : " La dérogation, prévue au deuxième alinéa de l'article

L. 712-3, à l'obligation de raccordement à un réseau classé de chaleur ou de froid fait l'objet d'une demande, présentée par le propriétaire de l'installation concernée ou par son mandataire à la commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent. / Les dérogations sont accordées dans les cas suivants : / 1° Le demandeur justifie de l'incompatibilité des caractéristiques techniques de l'installation qui présente un besoin de chaleur ou de froid avec celles offertes par le réseau ; / 2° L'installation ne peut être alimentée en énergie par le réseau dans les délais nécessaires à la satisfaction des besoins de chauffage, d'eau chaude sanitaire ou de climatisation de l'usager, sauf si l'exploitant du réseau justifie de la mise en place d'une solution transitoire de nature à permettre l'alimentation des usagers en chaleur ou en froid ; / 3° Le demandeur justifie de la mise en œuvre, pour la satisfaction de ses besoins de chauffage, d'eau chaude sanitaire ou de climatisation, d'une solution alternative alimentée par des énergies renouvelables et de récupération à un taux équivalent ou supérieur à celui du réseau classé suivant les modalités de calcul définies par l'arrêté du ministre chargé de l'énergie mentionné au I de l'article R. 712-1 ; / 4° Le demandeur justifie de la disproportion manifeste du coût du raccordement et d'utilisation du réseau par rapport à d'autres solutions de chauffage et de refroidissement ".

15. D'autre part, aux termes du sixième alinéa de l'article R. 221-22 du code de l'énergie : " Le demandeur de certificats d'économies d'énergie doit, à l'appui de sa demande, justifier de son rôle actif et incitatif dans la réalisation de l'opération. Est considérée comme un rôle actif et incitatif toute contribution directe, quelle qu'en soit la nature, apportée, par le demandeur ou par l'intermédiaire d'une personne qui lui est liée contractuellement, à la personne bénéficiant de l'opération d'économies d'énergie et permettant la réalisation de cette dernière. Cette contribution intervient au plus tard à la date d'engagement de l'opération. Toutefois, lorsque le bénéficiaire est une personne physique ou un syndicat de copropriétaires, la contribution intervient au plus tard quatorze jours après la date d'engagement de l'opération et, en tout état de cause, avant la date de début de réalisation de l'opération ".

16. L'association requérante soutient que les demandeurs de certificats d'économies d'énergie sont empêchés de jouer un rôle actif et incitatif dans la réalisation des opérations d'économies d'énergie au sens et pour l'application de l'article R. 221-22 du code de l'énergie cité au point 15, dans l'hypothèse où le raccordement à un réseau de chaleur serait devenu obligatoire du fait du classement de ce réseau en application de l'article L. 712-1 du même code cité au point 14.

17. Toutefois, le classement d'un réseau de chaleur en application de l'article

L. 712-1 du code de l'énergie ne fait naître, dans le chef des propriétaires ou des gestionnaires de bâtiments résidentiels collectifs ou tertiaires existants qui se situent dans le périmètre de ce réseau, une obligation de raccordement à ce réseau que lorsque ces bâtiments font l'objet de travaux de rénovation importants au sens du 2° de l'article R. 712-9 du même code cité au point 14, c'est-à-dire lorsque le remplacement de l'installation de chauffage ou de refroidissement d'une puissance supérieure à 30 kilowatts a été décidé par les propriétaires ou gestionnaires des bâtiments, permettant ainsi aux demandeurs de certificats d'économies d'énergie de jouer un rôle actif et incitatif dans cette prise de décision. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il inciterait financièrement au raccordement à un réseau de chaleur alors même que ce raccordement est obligatoire du fait du classement de ce réseau doit être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance des règles européennes de concurrence :

18. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus ". Aux termes de l'article 102 du même traité, " est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ".

19. L'association requérante soutient que l'arrêté attaqué a pour effet de renforcer le droit exclusif des délégataires de réseaux de chaleur, qui serait issu de l'article

L. 712-1 du code de l'énergie, de satisfaire aux besoins en chauffage des clients situés dans les périmètres de développement prioritaire, au motif que cet arrêté, en incitant à l'octroi d'incitations financières, priverait d'effet utile la dérogation à l'obligation de raccordement à un réseau de chaleur classé prévue au deuxième alinéa de l'article L. 712-3 du code de l'énergie cité au point 14 en cas de disproportion manifeste du coût du raccordement et d'utilisation du réseau par rapport à d'autres solutions de chauffage. Toutefois, ce moyen est dirigé contre le principe même du classement des réseaux de chaleur et le champ de la dérogation à l'obligation de raccordement, lesquels résultent des dispositions législatives et réglementaires du code de l'énergie. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté méconnaîtrait les articles 106 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est inopérant et ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de liberté d'établissement et de la directive " services " :

20. D'une part, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. (...) La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises (...) dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants (...) ". L'association requérante soutient que l'arrêté attaqué porte une atteinte disproportionnée au principe de liberté d'établissement par rapport à l'objectif de promotion des énergies renouvelables, d'une part, en restreignant de façon excessive l'implantation de fournisseurs européens d'énergies alternatives en raison du classement automatique des réseaux de chaleur et de l'obligation de raccordement, et d'autre part, par la bonification financière accordée en cas de raccordement à un réseau de chaleur.

21. D'autre part, l'association requérante soutient que l'arrêté attaqué méconnaît le point 6) de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur aux termes duquel les Etats membres ont interdiction de subordonner l'accès à une activité de services ou son exercice sur le territoire " à l'intervention directe ou indirecte d'opérateurs concurrents, y compris au sein d'organes consultatifs, dans l'octroi d'autorisations ou dans l'adoption d'autres décisions des autorités compétentes, à l'exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu'autorité compétente ", au motif que la bonification des opérations relatives à l'installation d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul est soumise à la production, par le gestionnaire du réseau de chaleur, d'une attestation sur l'honneur justifiant de l'impossibilité technique ou économique du raccordement à un réseau de chaleur qui doit être archivée par les fournisseurs d'énergie demandeurs de certificats d'économies d'énergie.

22. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté d'établissement en France des fournisseurs européens d'énergies alternatives à celle produite par les réseaux de chaleur ou de subordonner l'accès ou l'exercice, sur le territoire national, de l'activité de services consistant à mettre en place des équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul à l'intervention directe ou indirecte d'un opérateur concurrent mais a seulement pour objet d'inciter, par l'octroi d'une bonification du volume des certificats d'économies d'énergie, au raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ou, en cas d'impossibilité technique ou économique attestée par le gestionnaire du réseau de chaleur, à la mise en place d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de liberté d'établissement et les dispositions du point 6) de la directive 2006/123/CE ne peuvent qu'être écartés.

23. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Coénove n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle au versement au syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine, qui n'est pas partie à la présente instance, de la somme qu'il demande à ce titre.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine est admise.

Article 2 : La requête de l'association Coénove est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Coénove et à la ministre de la transition énergétique.

Copie en sera adressé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 octobre 2023 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Olivier Pau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 7 novembre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Pau

La secrétaire :

Signé : Mme Katia Nunes

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 467980
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 nov. 2023, n° 467980
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Pau
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SARL DELVOLVE ET TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467980.20231107
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