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31/10/2023 | FRANCE | N°456980

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 31 octobre 2023, 456980


Vu les procédures suivantes :

1° L'association l'Atelier des Possibles a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre l'exécution de dix décisions en date du 21 juin 2021 par lesquelles la directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère a mis en demeure les parents d'élèves scolarisés dans l'établissement scolaire dont elle assure la gestion de les inscrire dans un autre établissement. Par une ordonnance n° 2105510 du 6 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa deman

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Sous le numéro 456980, par un pourvoi sommaire et un mémoire compléme...

Vu les procédures suivantes :

1° L'association l'Atelier des Possibles a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre l'exécution de dix décisions en date du 21 juin 2021 par lesquelles la directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère a mis en demeure les parents d'élèves scolarisés dans l'établissement scolaire dont elle assure la gestion de les inscrire dans un autre établissement. Par une ordonnance n° 2105510 du 6 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sous le numéro 456980, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 septembre et 11 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association l'Atelier des Possibles demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Mme AD... K..., M. H... AC..., Mme N... AC..., M. T... F..., Mme O... F..., Mme M... C..., M. R... Z..., Mme B... Z..., Mme A... Q..., M. U... Y..., M. E... J..., Mme L... I..., M. P... AA... et Mme AB... X... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre l'exécution des décisions en date du 21 juin 2021 par lesquelles la directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère les a mis en demeure d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement scolaire. Par une ordonnance n°s 2105508, 2105517, 2105533, 2105541, 2105543, 2105545, 2105547, 2105551, 2105553, 2105555 du 6 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Sous le numéro 456982, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 septembre et 11 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... AC..., Mme N... AC..., M. P... AA..., Mme AB... X..., M. R... Z..., Mme B... Z..., M. E... J..., Mme S... D..., Mme A... Q..., Mme L... I..., M. V... G..., Mme AD... K..., M. T... F..., Mme O... F..., M. U... Y... et Mme W... Y... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de l'association L'atelier des Possibles et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'à la suite d'un contrôle, réalisé le 26 novembre 2019, de l'établissement d'enseignement privé hors contrat géré par l'association l'Atelier des possibles et situé à Coublevie (Isère), la rectrice de l'académie de Grenoble, par une lettre adressée le 12 juin 2020 au directeur de l'établissement, a mis l'association en demeure de respecter le droit à l'éducation, les normes minimales de connaissances et les règles du code de l'éducation, indiqué qu'un nouveau contrôle serait réalisé au cours de l'année scolaire 2020-2021, lui a adressé le rapport établi à l'issue du contrôle dressant la liste des carences ayant été constatées au regard des obligations de délivrer un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire et l'a mis en demeure de fournir ses explications sur les manquements constatés et d'améliorer la situation. Après la réalisation d'un nouveau contrôle le 12 mars 2021 ayant conduit l'administration à constater que les demandes formulées dans la mise en demeure du 12 juin 2020 n'avaient pas été prises en compte et que les dispositions nécessaires pour assurer la conformité de l'enseignement dispensé par l'établissement aux règles prévues par le code de l'éducation n'avaient pas été prises, la rectrice a, le 7 juin 2021, saisi le procureur de la République du tribunal de grande instance de Grenoble des manquements constatés, puis, par des décisions individuelles en date du 21 juin 2021, a mis en demeure les parents d'enfants scolarisés dans cette école de les inscrire dans un autre établissement. L'association l'Atelier des possibles et Mme K... et autres ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des mises en demeure du 21 juin 2021. Par deux ordonnances du 6 septembre 2021, le juge des référés de ce tribunal a rejeté leur demande. L'association l'Atelier des possibles d'une part, ainsi que M. AC... et autres d'autre part, se pourvoient en cassation contre ces ordonnances. Ces requêtes présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur les pourvois :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (...) La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 442-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Mis en œuvre sous l'autorité conjointe du représentant de l'Etat dans le département et de l'autorité compétente en matière d'éducation, le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public, à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l'enfance et de la jeunesse. / II.- Les établissements mentionnés au I communiquent chaque année à l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation les noms des personnes exerçant des fonctions d'enseignement ainsi que les pièces attestant de leur identité, de leur âge, de leur nationalité et de leurs titres, dans des conditions fixées par décret. / L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation prescrit le contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1. / Ce contrôle a lieu dans l'établissement d'enseignement privé dont relèvent ces classes hors contrat. / Un contrôle est réalisé au cours de la première année d'exercice d'un établissement privé. / Les résultats de ce contrôle sont notifiés au directeur de l'établissement avec l'indication du délai dans lequel il est mis en demeure de fournir ses explications ou d'améliorer la situation et des sanctions dont il serait l'objet dans le cas contraire. / En cas de refus de la part du directeur de l'établissement d'améliorer la situation et notamment de dispenser, malgré la mise en demeure de l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini par l'article L. 131-1-1, et qui permet aux élèves concernés l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, puis met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l'établissement d'inscrire leur enfant dans un autre établissement, dans les quinze jours suivant la mise en demeure qui leur est faite (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que la mise en demeure adressée, à la suite du contrôle d'un établissement privé hors contrat, au directeur de ce dernier, peut lui imposer, au vu des manquements constatés lors de ce contrôle, notamment au regard de l'obligation de dispenser un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, non seulement de fournir des explications, mais aussi d'engager les actions nécessaires, qu'elle doit exposer de manière précise et circonstanciée, pour remédier aux manquements que l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation estime constitués, et ce dans un délai déterminé. En cas de refus du directeur de l'établissement contrôlé, en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée, d'améliorer la situation et notamment de dispenser un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale et, dans cette hypothèse, met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l'établissement d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement. Il lui appartient, pour prendre ces décisions, de porter une appréciation sur les suites apportées à la mise en demeure et l'étendue des manquements subsistant le cas échéant. L'autorité académique ne saurait être regardée comme placée en situation de compétence liée pour prendre ces décisions, la circonstance qu'elle soit tenue, si son appréciation la conduit à estimer être en présence de faits susceptibles de constituer une infraction pénale, simultanément d'en aviser le procureur de la République et de mettre les parents d'élèves en demeure d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement étant à cet égard sans incidence.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la mise en demeure du 12 juin 2020 adressée au directeur de l'établissement scolaire dont l'association l'Atelier des Possibles assure la gestion relevait divers manquements constatés lors du contrôle effectué le 26 novembre 2019 au regard du respect du droit à l'éducation et de l'objet de l'instruction obligatoire, enjoignait à l'établissement non seulement de fournir ses explications mais aussi d'engager des actions déterminées et l'avisait des conséquences encourues en cas de persistance des manquements relevés. Un nouveau contrôle de l'instruction effectué le 12 mars 2021 a amené l'administration à constater que la mise en demeure du 12 juin 2020 n'avait pas été prise en compte et que les dispositions nécessaires pour assurer la conformité de l'enseignement dispensé par l'établissement aux règles prévues par le code de l'éducation n'avaient pas été prises et conduit l'autorité académique, conformément aux dispositions citées au point 3, à saisir le procureur de la République des manquements constatés et à mettre les parents d'élèves en demeure d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement. Par suite, en estimant que l'administration, dès lors qu'elle avait avisé le procureur de la République de faits susceptibles de constituer une infraction pénale à raison des manquements de l'association l'Atelier des possibles persistant en dépit de la mise en demeure qui lui avait été adressée le 12 juin 2020, se trouvait en situation de compétence liée pour adresser aux parents des élèves scolarisés dans cette école, le 21 juin 2021, une mise en demeure de scolariser leurs enfants dans un autre établissement, pour en déduire que les moyens invoqués devant lui à l'encontre de cette décision n'étaient pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen des pourvois et sur la recevabilité du pourvoi n° 456982 en tant qu'il émane de Mme S... D..., M. V... G... et Mme W... Y... qui n'étaient pas parties devant le juge des référés, que l'association Atelier des possibles et M. AC... et autres sont fondés à demander l'annulation des ordonnances qu'ils attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les demandes de suspension des décisions du 21 juin 2021 portant mise en demeure des parents des élèves scolarisés dans l'établissement :

8. Pour demander la suspension de l'exécution des décisions du 21 juin 2021 portant mise en demeure adressée aux parents des élèves scolarisés dans l'établissement de scolariser leurs enfants dans un autre établissement, les requérants soulèvent d'une part, par la voie d'exception, l'illégalité de la mise en demeure du 12 juin 2020 en soutenant qu'elle porte atteinte à la liberté pédagogique de l'établissement, qu'elle lui applique à tort une grille d'évaluation applicable aux seules écoles publiques ou sous contrat, repose sur une évaluation directe des élèves lors des inspections diligentées, ce qui est contraire aux règles prévues par le code de l'éducation, qu'elle est entachée d'inexactitude matérielle des faits contenus dans le rapport de contrôle de l'instruction consécutif à la visite effectuée le 26 novembre 2019, qu'elle viole le délai raisonnable entre la visite de contrôle et la notification des résultats de cette visite par le courrier de mise en demeure, qu'elle ne comporte pas d'indications du délai dans lequel la mise en demeure doit être exécutée, qu'elle est entachée d'imprécision et enfin qu'elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire alors qu'une telle exigence s'impose aux mises en demeure de l'article L. 442-2 du code de l'éducation qui sont des mesures de police. D'autre part, les requérants soutiennent que le rapport de contrôle établi à l'issue de la visite effectuée le 12 mars 2021 est entaché d'inexactitudes matérielles, fait valoir à tort que les actions demandées par la mise en demeure du 12 juin 2020 n'ont pas été mises en œuvre alors que toutes les recommandations ne mettant pas en cause la liberté pédagogique de l'établissement ont été exécutées et enfin est entaché d'une erreur d'appréciation de l'administration quant au constat de non-respect du droit à l'éducation, des normes minimales de connaissances et des règles du code de l'éducation. Les moyens soulevés par les requérants ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la rectrice de l'académie de Grenoble et sur la condition d'urgence, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de leur exécution.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les ordonnances n° 2105510 et n°s 2105508, 2105517, 2105533, 2105541, 2105543, 2105545, 2105547, 2105551, 2105553, 2105555 en date du 6 septembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble sont annulées.

Article 2 : La demande tendant à la suspension des décisions du 21 juin 2021 présentée par l'association l'Atelier des possibles et par Mme K... et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association l'Atelier des possibles, à M. H... AC..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 octobre 2023 où siégeaient : M. Christian Fournier, conseiller d'Etat, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 31 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Christian Fournier

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 456980
Date de la décision : 31/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 oct. 2023, n° 456980
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Autret
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP GURY et MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:456980.20231031
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