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13/10/2023 | FRANCE | N°463944

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 13 octobre 2023, 463944


Vu la procédure suivante :

Par une demande enregistrée le 2 mai 2022 au greffe du tribunal administratif de Caen et transmise au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, par une ordonnance n° 2201029 du 12 mai 2022 du président de ce tribunal, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 février 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé le renouvellement de son mandat de magistrat à titre temporaire, ainsi que sa décision du 7 avril 2022 rejet

ant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la som...

Vu la procédure suivante :

Par une demande enregistrée le 2 mai 2022 au greffe du tribunal administratif de Caen et transmise au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, par une ordonnance n° 2201029 du 12 mai 2022 du président de ce tribunal, Mme A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 février 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé le renouvellement de son mandat de magistrat à titre temporaire, ainsi que sa décision du 7 avril 2022 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;

- la loi organique n° 2021-1728 du 22 décembre 2021 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- l'arrêté du 30 décembre 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Haas, avocat de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes des premier et dernier alinéas de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions. (...) / Les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent demeurer en fonctions au-delà de l'âge de soixante-quinze ans ". Aux termes du premier alinéa de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction ".

2. D'autre part, la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature a abrogé, à compter du 1er juillet 2017, les dispositions relatives aux juges de proximité figurant au chapitre V quinquies de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée. Aux termes du II de l'article 50 de cette même loi organique : " Les juges de proximité dont le mandat est en cours à la date de publication de la présente loi organique peuvent être nommés, à leur demande, pour le reste de leur mandat, comme magistrats exerçant à titre temporaire dans le tribunal de grande instance du ressort dans lequel se trouve la juridiction de proximité au sein de laquelle ils ont été nommés, dans les formes prévues à l'article 41-12 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi organique. Leur demande doit intervenir dans le mois suivant la publication de la présente loi organique. Les dispositions relatives à la formation probatoire prévues au même article 41-12 ne leur sont pas applicables. Les dispositions du premier alinéa dudit article 41-12, concernant la nomination pour un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire, leur sont applicables ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été nommée au tribunal de grande instance de Coutances à compter du 15 octobre 2010 pour y exercer les fonctions de juge de proximité pour un mandat de sept ans non renouvelable, en vertu des dispositions alors applicables de l'article 41-19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Ayant demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, du fait de l'abrogation des dispositions relatives au statut des juges de proximité au cours de son mandat, Mme C... a été nommée, par un décret du Président de la République du 21 avril 2017, magistrate à titre temporaire au tribunal de grande instance de Coutances, à compter du 1er juillet 2017 et pour le reste de son mandat, puis pour y exercer un nouveau mandat à compter du 15 octobre 2017, pour une période de cinq ans. A l'approche du terme de ce mandat, Mme C... a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de la renouveler dans ses fonctions de magistrat à titre temporaire au tribunal judiciaire de Coutances à compter du 15 octobre 2022, pour une nouvelle période de cinq ans. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus qui lui a été opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice.

4. En premier lieu, selon l'article 13 de l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice, la sous-direction des ressources humaines de la magistrature assure le recrutement et la gestion administrative des magistrats en activité ou honoraires. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) / 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs (...) / Cette délégation s'exerce sous l'autorité du ou des ministres et secrétaires d'Etat dont relèvent les agents, ainsi que, le cas échéant, de leur supérieur hiérarchique immédiat ". Il ressort des pièces du dossier que les décisions litigieuses ont été signées par Mme B... D..., nommée sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à compter du 1er février 2021 pour une durée de trois ans par un arrêté du 26 janvier 2021. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision du 21 février 2022 refusant son renouvellement comme magistrate à titre temporaire et, en tout état de cause, la décision du 7 avril 2022 rejetant son recours gracieux ont été prises par une autorité incompétente.

5. En deuxième lieu, en vertu des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, les juges de proximité dont le statut a été abrogé au cours de leur mandat de sept ans non renouvelable et qui ont été, à leur demande, nommés, pour le reste de leur mandat, magistrats à titre temporaire, doivent être regardés comme l'ayant été au titre d'un premier mandat exercé en cette nouvelle qualité, et ce quelle que soit la durée restant à courir de leur mandat initial. Ces mêmes dispositions prévoient que, s'ils la sollicitent, leur nomination au titre d'un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire est soumise aux dispositions du premier alinéa de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, lesquelles précisent notamment que le mandat de magistrat à titre temporaire n'est renouvelable qu'une fois.

6. Il est constant que Mme C... a été nommée magistrate à titre temporaire par décret du Président de la République du 21 avril 2017 pour le reste de la durée de son mandat de juge de proximité, courant jusqu'au 15 octobre 2017, et pour un nouveau mandat de cinq ans. Dans ces conditions, et alors même que son premier mandat aura donc été d'une courte durée, sa demande en vue d'obtenir un nouveau mandat de magistrat à titre temporaire à compter du 15 octobre 2022 doit être regardée comme sollicitant un troisième mandat. Par suite, c'est sans se méprendre sur l'interprétation de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 que le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a opposé un refus au motif qu'elle avait déjà exercé deux mandats et ne pouvait donc prétendre à un nouveau mandat.

7. En dernier lieu, ainsi qu'il est dit au point 6, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait une exacte application des dispositions combinées des articles 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et 50 de la loi organique du 8 août 2016 en refusant de renouveler le mandat de Mme C.... Le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses porteraient atteinte au principe constitutionnel d'égalité en créant une différence de traitement injustifiée entre les magistrats titulaires et ceux exerçant à titre temporaire conduit à apprécier la constitutionnalité de ces dispositions législatives. Or, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme C... ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, Mme Rozen Noguellou, conseillères d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 13 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463944
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 463944
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463944.20231013
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