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13/10/2023 | FRANCE | N°462881

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 13 octobre 2023, 462881


Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes, l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) " Le Domaine de Bellivière " a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 février 2017 par laquelle le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a remis en cause sa décision du 24 septembre 2013 de lui octroyer une aide aux investissements vitivinicoles, d'annuler la décision du 11 mai 2017 par laquelle ce même directeur général lui a fait l'obligation de payer la somme de 72 126

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Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes, l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) " Le Domaine de Bellivière " a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 février 2017 par laquelle le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a remis en cause sa décision du 24 septembre 2013 de lui octroyer une aide aux investissements vitivinicoles, d'annuler la décision du 11 mai 2017 par laquelle ce même directeur général lui a fait l'obligation de payer la somme de 72 126,06 euros en remboursement d'un trop-perçu d'aide à l'investissement vitivinicole et de la décharger de l'obligation de payer cette somme, d'annuler la décision du 10 juillet 2017 par laquelle ce même directeur général a rejeté sa demande de prorogation du délai d'exécution des travaux éligibles à une aide aux investissements vitivinicoles attribuée par sa décision du 24 septembre 2013 et d'enjoindre à l'administration de procéder au règlement du solde d'aide à l'investissement vitivinicole auquel elle estime avoir droit. Par un jugement nos 1705205, 1707837 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juillet 2017, annulé la décision du directeur général de FranceAgriMer du 11 mai 2017, enjoint à FranceAgriMer de lui verser le solde de l'aide aux investissements vitivinicoles accordée par la décision du 24 septembre 2013 de son directeur général dans un délai de trois mois à compter de la notification de son jugement et rejeté le surplus de ses demandes.

Par un arrêt n° 20NT03856 du 4 février 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de FranceAgriMer, annulé le jugement du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de Nantes, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " tendant à l'annulation de la décision du 10 juillet 2017 du directeur général de FranceAgriMer, annulé la décision du 11 mai 2017 de ce même directeur général, déchargé l'EARL " Le Domaine de Bellivière " de l'obligation de payer la somme de 72 126,06 euros mise à sa charge par cette décision du 11 mai 2017, enjoint à FranceAgriMer de verser à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " le solde de l'aide aux investissements vitivinicoles accordée par la décision du 24 septembre 2013 de son directeur général, dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt, et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 avril et 28 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, FranceAgriMer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;

- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;

- le règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 ;

- le règlement (CE) n° 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2009-178 du 16 février 2009 ;

- le décret n° 2013-148 du 19 février 2013 ;

- l'arrêté du 17 avril 2009 définissant les conditions de mise en œuvre de la mesure de soutien aux investissements éligibles au financement par les enveloppes nationales en application du règlement (CE) n° 479/2008 portant organisation commune du marché vitivinicole ;

- la décision FILITL/SEM/D 2013-08 du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer ;

- la décision INTV-GPASV-2015-31 du 29 juin 2015 du directeur général de FranceAgriMer ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision du 24 septembre 2013, le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a accordé à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) " Le Domaine de Bellivière " une aide aux investissements dans le domaine de la construction de bâtiments des entreprises vitivinicoles financée par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) d'un montant de 131 138,29 euros pour la construction d'un chai neuf, l'isolation et la rénovation d'un bâtiment ancien, la construction d'un caveau neuf et les frais d'études et d'ingénierie. Le 4 octobre 2013, l'EARL a bénéficié d'une avance sur cette aide d'un montant de 65 569,14 euros. L'EARL a déposé le 14 décembre 2015 auprès de FranceAgriMer une demande de versement du solde de cette aide. Toutefois, par un courrier du 20 février 2017, le directeur général de FranceAgriMer a indiqué à l'EARL qu'il envisageait l'annulation de l'aide ainsi qu'une demande de remboursement de l'avance indûment perçue assortie d'une majoration de 10 % en raison de plusieurs factures émises après la date limite de réalisation des travaux, fixée au 24 septembre 2015, ainsi que du règlement de certaines factures intervenu plus de deux mois après cette date limite. Par une décision du 11 mai 2017 valant titre exécutoire, le directeur général de FranceAgriMer a annulé l'aide à l'investissement et demandé à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " le remboursement de l'avance qu'elle avait indûment perçue, en l'assortissant d'une majoration de 10 %, soit un montant total de 72 126,05 euros. Par une décision du 11 juillet 2017, le directeur général de FranceAgriMer a rejeté la demande de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " formée le 30 mai 2017 tendant à la prorogation du délai d'exécution de travaux éligibles à une aide aux investissements vitivinicoles attribuée par sa décision du 24 septembre 2013. Par un arrêt du 4 février 2022, la cour administrative d'appel de Nantes, statuant par la voie de l'évocation après avoir annulé, par l'article 1er de son arrêt, le jugement du tribunal administratif de Nantes pour irrégularité, a, par les articles 3, 4 et 5 de cet arrêt, annulé la décision du directeur général de FranceAgriMer du 11 mai 2017, déchargé l'EARL " Le Domaine de Bellivière " de l'obligation de payer la somme de 72 126,06 euros mise à sa charge par cette décision et enjoint à FranceAgriMer de verser à cette société le solde de l'aide aux investissements vitivinicoles accordée par la décision du 24 septembre 2013, dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt, et a, par l'article 2 de cet arrêt, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " tendant à l'annulation de la décision du directeur général de FranceAgriMer du 10 juillet 2017. FranceAgriMer se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Eu égard aux moyens qu'il invoque et à la formulation de ses conclusions, FranceAgriMer doit être regardé comme ne demandant l'annulation de cet arrêt qu'en tant qu'il statue, après évocation, sur les conclusions de l'EARL " Le Domaine de Bellivière " à fin d'annulation de la décision du 11 mai 2017, de décharge de son obligation de payer la somme de 72 126,06 euros et d'injonction à FranceAgriMer de lui verser le solde d'aide à l'investissement viticole.

Sur le pourvoi :

2. D'une part, le directeur général de FranceAgriMer a précisé, par décision du 19 février 2013, les conditions d'attribution des aides au secteur vitivinicole financées par le FEAGA régies, à la date des faits en litige, par les règlements (CE) n° 491/2009 du 25 mai 2009 et n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 et, en droit interne, par le décret du 16 février 2009 modifié et l'arrêté du 17 avril 2009. Aux termes du point 5.6, intitulé " Délai de réalisation des travaux ", de l'article 5 de cette décision, dans sa rédaction antérieure à la modification apportée par la décision du directeur général de FranceAgriMer du 29 juin 2015 : " En cas de non démarrage des travaux dans les 6 mois suivant la notification de l'aide, la notification devient caduque et le dossier est annulé et le montant d'avance indûment perçu doit être remboursé au taux de 110 %. / (...) Les travaux prévus doivent être réalisés dans les 2 années suivant la date de notification de l'aide, prorogeables d'une année sur demande justifiée du porteur de projet. La demande de prorogation, peut être réalisée au plus tard 2 mois avant la date limite de réalisation des travaux. / (...) Dans tous les cas, les travaux et prorogations doivent être terminés au plus tard avant le 31 mars 2018 et la demande de versement doit être fournie au plus tard le 31 mai 2018, comme indiqué au point 5.8.3. / A la date limite de réalisation des travaux, la totalité des factures doivent être émises. Elles peuvent être acquittées au plus tard 2 mois après la date limite de réalisation des travaux ". Aux termes du point 5.8.2, intitulé " Cas des dossiers approfondis ", de l'article 5 de cette décision : " (...) Un montant d'avance indûment perçu doit être remboursé au taux de 110 %. / Le solde est versé après la réalisation de la totalité des actions prévues et contrôle sur place de cette réalisation ". L'article 8 de cette même décision, intitulé " Sanctions ", prévoit l'application de réfactions sur le montant de l'aide " en cas de sous-réalisation des dépenses prévues de plus de 20 % ; (...) de non-respect du délai de transmission de la demande de paiement ou du délai de démarrage des travaux ; (...) de retard de dépôt des déclarations obligatoires de stocks ou de récolte et de production ; (...) de non déclaration de la non conservation de l'investissement pendant cinq ans ; (...) de fausse déclaration ".

3. D'autre part, la lettre du 24 septembre 2013 notifiant à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " la décision du même jour du directeur général de FranceAgriMer lui accordant une aide à l'investissement d'un montant de 131 138,29 euros précisait que : " (...) Comme indiqué dans la décision du directeur Général de FranceAgriMer FILITL/SEM/D 2013-08 du 19/02/2013 : / - les travaux prévus doivent débuter dans les 6 mois suivant la date de signature de la présente décision, faute de quoi cette dernière deviendra caduque. Vous devrez fournir dans ce délai de 6 mois, une attestation de démarrage des travaux, justifiée par un bon de commande ou un devis accepté ou par le paiement de la première facture relative au projet. / - les travaux doivent par ailleurs être réalisés dans un délai de 2 années suivant la date de signature de la présente décision, éventuellement prolongeable d'une année supplémentaire sur demande dûment justifiée. / (...) En cas de non-respect des délais susvisés, des réductions sont appliquées sur le montant de l'aide, comme précisé à l'article 8 de la décision du Directeur Général de FranceAgriMer du 19 février 2013 (...) ".

4. Une décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Il en résulte que les conditions mises à l'octroi d'une subvention sont fixées par la personne publique au plus tard à la date à laquelle cette subvention est octroyée. Quand ces conditions ne sont pas respectées, en tout ou partie, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai.

5. L'article 5 de la décision du directeur général de FranceAgriMer du 19 février 2013, cité au point 2, dans sa rédaction en vigueur à la date d'attribution de l'aide en litige, posait pour conditions au versement d'une aide le respect d'un délai de deux années pour la réalisation des travaux à compter de la date de sa notification, l'émission de la totalité des factures à la date limite de réalisation des travaux, et le paiement de ces factures au plus tard dans un délai de deux mois à compter de cette date limite. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que, dès lors que cette décision était en vigueur à la date d'attribution d'une aide, la méconnaissance des conditions de délais d'émission et d'acquittement des factures qu'elle posait était susceptible de fonder une décision de retrait ou de réduction de cette aide. Est sans incidence, à cet égard, la circonstance que ni l'article 8 de cette décision du 19 février 2013, qui régit les conséquences à tirer d'une sous-réalisation des dépenses prévues, d'une méconnaissance du délai de transmission de la demande de paiement ou du délai de démarrage des travaux, d'un retard de dépôt des déclarations obligatoires de stocks ou de récolte et de production, d'une non déclaration de la non conservation de l'investissement pendant cinq ans et d'une fausse déclaration, ni aucune autre disposition de cette décision n'explicitaient les conséquences encourues en cas de méconnaissance des conditions posées s'agissant des délais d'émission et d'acquittement des factures. Est également sans incidence, d'autre part, la circonstance que la décision individuelle accordant l'aide à un opérateur ne préciserait pas elle-même les conséquences d'une méconnaissance de ces mêmes conditions. Dès lors, en jugeant que FranceAgriMer ne pouvait décider du retrait de cette aide et demander le remboursement de l'avance déjà versée à l'EARL " Le Domaine de Bellivière ", au motif qu'aucune disposition de la décision du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer ne prévoyait de possibilité de réduction voire de retrait de l'aide en cas de méconnaissance des conditions de délais relatives à la réalisation des travaux ainsi qu'à l'émission et au paiement des factures, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit. FranceAgriMer est fondé à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a annulé la décision du 11 mai 2017 retirant l'aide accordée à l'EARL " Le Domaine de Bellivière ", déchargé l'EARL de l'obligation de payer la somme de 72 126,06 euros mise à sa charge par cette même décision et enjoint à FranceAgriMer de verser à l'EARL le solde de l'aide aux investissements vitivinicoles accordée par la décision du 24 septembre 2013.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur le règlement au fond :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision du directeur général de FranceAgriMer du 11 mai 2017 et les conclusions à fin de décharge :

7. En premier lieu, il n'est pas contesté que la décision accordant l'aide en litige à l'EARL " Le Domaine de Bellivière ", en date du 24 septembre 2013, a été notifiée à l'EARL le même jour. Par suite, c'est à bon droit, eu égard aux dispositions du point 5.6 de l'article 5 de la décision du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer, citées au point 2, que la décision attaquée a retenu comme date limite de réalisation des travaux le 24 septembre 2015.

8. En deuxième lieu, il résulte des mêmes dispositions qu'une prorogation du délai de réalisation des travaux n'est susceptible d'être accordée que sur demande justifiée, présentée deux mois avant la date limite de réalisation des travaux. Dès lors, en l'absence d'une telle demande présentée par l'EARL " Le Domaine de Bellivière " deux mois avant le 24 septembre 2015, ce délai de réalisation des travaux ne peut être regardé, contrairement à ce que soutient l'EARL, comme ayant été tacitement prorogé par FranceAgriMer.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que c'est à bon droit, et sans insuffisance de motivation, que le directeur général de FranceAgriMer a indiqué, dans sa décision du 11 mai 2017, que les motifs invoqués par l'EARL pour expliquer les retards d'émission ou d'acquittement des factures litigieuses, tenant à un oubli de formuler la demande de prorogation du délai d'exécution des travaux à raison de la charge de travail sur l'exploitation, à l'imputabilité des retards aux entreprises prestataires, et aux difficultés d'organisation liées aux conditions météorologiques dans le cadre des périodes de vendanges et de vinifications, ne relevaient pas d'un cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, au sens du règlement (CE) n° 555/2008 de la Commission du 27 juin 2008 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole, en ce qui concerne les programmes d'aide, les échanges avec les pays tiers, le potentiel de production et les contrôles dans le secteur vitivinicole.

10. En quatrième lieu, pour les motifs rappelés au point 4, la décision du 24 septembre 2013 attribuant à l'EARL requérante l'aide en litige n'a créé de droits au bénéfice de l'EARL que dans la mesure où cette dernière respectait les conditions mises à l'octroi de cette aide. Dès lors, l'EARL ne saurait utilement soutenir que la décision attaquée, en lui retirant l'aide accordée au motif que les conditions dont son octroi avait été assorti n'avaient pas été respectées, aurait méconnu les principes de confiance légitime et de sécurité juridique ou l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi.

11. En cinquième lieu, les mesures de retrait ou de réduction d'une subvention prises en raison de la méconnaissance des conditions mises à son octroi n'ont pas le caractère d'une sanction. Par suite, l'EARL " Le Domaine de Bellivière " ne saurait utilement soutenir que la décision annulant l'aide qui lui a été accordée, au motif de l'irrégularité constatée, est contraire au principe de légalité des délits et des peines. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que la pénalité de 10 % dont cette décision a été assortie est contraire à ce principe, dès lors qu'elle est prévue, en termes clairs et précis, par les dispositions, citées au point 2, de l'article 5 de la décision du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer.

12. En sixième lieu, si l'EARL requérante soutient que la décision attaquée serait contraire aux objectifs fixés par les normes européennes, elle n'assortit pas ce moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. En septième lieu, pour les raisons énoncées au point 5, l'EARL requérante n'est pas fondée à soutenir que, faute pour la décision du directeur général de FranceAgriMer du 19 février 2013 de prévoir explicitement la possibilité d'un retrait de l'aide accordée en cas de méconnaissance des conditions relatives aux délais d'émission ou de paiement des factures, le directeur général de FranceAgriMer ne pouvait légalement décider d'un tel retrait à raison de cette méconnaissance.

14. En huitième lieu, lorsque l'autorité compétente constate la méconnaissance d'une condition à laquelle l'octroi d'une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s'imposent en cas de constat d'une irrégularité au regard du droit de l'Union européenne, d'apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.

15. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que l'EARL " Le Domaine de Bellivière " a transmis à FranceAgriMer sept factures datées postérieurement à la date limite de réalisation des travaux fixée au 24 septembre 2015, trois d'entre elles étant antérieures au 30 septembre 2015, trois d'entre elles antérieures au 15 décembre 2015, et la dernière datée du 21 avril 2016. Il en ressort, d'autre part, que dix factures transmises par l'EARL ont été réglées plus de deux mois après cette date limite de réalisation des travaux, trois d'entre elles avant le 2 décembre 2015, quatre d'entre elles avant le 5 janvier 2016, deux d'entre elles en février 2016 et la dernière le 2 mai 2016. Les factures ainsi établies ou acquittées hors délai par l'EARL requérante représentaient un montant total de 185 572,26 euros hors taxes, soit près de 27 % des dépenses d'investissement initialement prévues par l'EARL " Le Domaine de Bellivière ". Il n'est toutefois pas contesté par FranceAgriMer d'une part, que les investissements initialement prévus par l'EARL et qui ont fait l'objet de l'aide en litige ont été entièrement réalisés, d'autre part que, hormis la facture émise le 21 avril 2016, d'un montant représentant 0,9 % des dépenses éligibles, et les factures acquittées à compter de février 2016, d'un montant inférieur à 20 % des dépenses éligibles, les retards constatés pour l'émission des factures ou leur règlement ne dépassaient pas quelques jours ou quelques semaines, et enfin que le contrôle effectué en juillet 2016 n'a relevé aucune irrégularité concernant ces factures et a conclu que la société avait mené à terme son programme d'investissements conformément à la réglementation en vigueur. Dans ces conditions, si la méconnaissance des délais d'émission et d'acquittement des factures prévus par la décision du 19 février 2013 du directeur général de FranceAgriMer justifiait la réduction de l'aide accordée à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " au prorata des dépenses éligibles concernées par ces factures, le directeur général de cet établissement ne pouvait légalement procéder au retrait de l'aide dans sa totalité.

16. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL " Le Domaine de Bellivière " est fondée à demander l'annulation de la décision du 11 mai 2017 du directeur général de FranceAgriMer en tant qu'elle lui retire en totalité l'aide qui lui a été allouée par la décision du 24 septembre 2013 et lui inflige des pénalités assises sur la totalité de cette aide, et non uniquement à hauteur de l'aide correspondant aux dépenses éligibles pour lesquelles les factures ont été émises ou acquittées hors délai, et à demander la décharge, dans cette mesure, de l'obligation de payer les sommes qui lui ont été réclamées.

En ce qui concerne les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de verser à l'EARL " Le domaine de Bellivière " le solde d'aide à l'investissement vitivinicole :

17. Compte tenu de l'étendue de l'annulation prononcée pour les motifs qui précèdent, l'exécution de la présente décision implique que FranceAgriMer calcule, d'une part, le montant de la réduction correspondant aux factures émises ou acquittées hors délais et le montant des pénalités dont cette réduction peut être assortie, et d'autre part, une fois ces montants déduits de l'aide initialement allouée, le total des sommes à verser, au titre de cette aide, à l'EARL " Domaine de Bellivière ", et que, selon que ce total est supérieur ou inférieur à l'avance versée à l'EARL, FranceAgriMer lui verse ou lui réclame la différence. Il y a lieu d'enjoindre à FranceAgriMer d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'EARL " Le Domaine de Bellivière ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de FranceAgriMer, partie perdante pour l'essentielle dans la présente instance, une somme de 3 000 euros à verser à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " en application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 3 à 6 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 4 février 2022 sont annulés.

Article 2 : La décision du 11 mai 2017 du directeur général de FranceAgriMer prise à l'encontre de l'EARL " Le domaine de Bellivière " est annulée en tant qu'elle lui retire en totalité l'aide qui lui a été allouée par la décision du 24 septembre 2013 de ce même directeur général et qu'elle met à sa charge des pénalités assises sur la totalité de cette aide.

Article 3 : L'EARL " Le Domaine de Bellivière " est déchargée de l'obligation de payer la somme de 72 126,06 euros mise à sa charge par la décision du 11 mai 2017 du directeur général de FranceAgriMer dans la mesure des conditions fixées à l'article 2.

Article 4 : Il est enjoint à FranceAgriMer de calculer le solde de l'aide aux investissements vitivinicoles, accordée à l'EARL " Le Domaine de Bellivière " par la décision du 24 septembre 2013 de son directeur général, conformément aux points 16 et 17 de la présente décision, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision. Si ce solde est positif, FranceAgriMer le versera à l'EARL " Le Domaine de Bellivière ". Si ce solde est négatif, l'EARL " Le Domaine de Bellivière " le versera à FranceAgriMer.

Article 5 : FranceAgriMer versera à la l'EARL " Le Domaine de Bellivière " une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) " Le Domaine de Bellivière ".

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 septembre 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Aurélien Caron, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Aurélien Caron

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462881
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

AGRICULTURE ET FORÊTS - EXPLOITATIONS AGRICOLES - AIDES DE L’UNION EUROPÉENNE - SUBVENTIONS – MÉCONNAISSANCE D’UNE CONDITION D’ATTRIBUTION – OBLIGATIONS DE L’AUTORITÉ COMPÉTENTE – APPRÉCIATION DES CONSÉQUENCES PROPORTIONNÉES À EN TIRER [RJ1].

03-03-06 Lorsque l’autorité compétente constate la méconnaissance d’une condition à laquelle l’octroi d’une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s’imposent en cas de constat d’une irrégularité au regard du droit de l’Union européenne, d’apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE - SUBVENTIONS – MÉCONNAISSANCE D’UNE CONDITION D’ATTRIBUTION – OBLIGATIONS DE L’AUTORITÉ COMPÉTENTE – APPRÉCIATION DES CONSÉQUENCES PROPORTIONNÉES À EN TIRER [RJ1].

15-05-14 Lorsque l’autorité compétente constate la méconnaissance d’une condition à laquelle l’octroi d’une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s’imposent en cas de constat d’une irrégularité au regard du droit de l’Union européenne, d’apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.


Références :

[RJ1]

Rappr., pour l’application du principe de proportionnalité tiré du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 dans le cas où l’irrégularité procède d’une méconnaissance du droit de l’Union, CE, 15 novembre 2022, Société Maison le star vignobles et châteaux, n° 451758, T. pp. 599-678.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 462881
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462881.20231013
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