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13/10/2023 | FRANCE | N°441663

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 13 octobre 2023, 441663


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 1er juillet 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir et de la Confédération consommation logement cadre de vie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, ainsi que de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'informa

tion légale et administrative intitulée " Coronavirus : quels droit...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 1er juillet 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir et de la Confédération consommation logement cadre de vie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, ainsi que de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée " Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances ' ", de la " Foire aux questions " du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée " Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme " et de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) L'article 12 de la directive (UE) n° 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées doit-il être interprété comme imposant à l'organisateur d'un voyage à forfait, en cas de résiliation du contrat, de rembourser en argent l'intégralité des paiements effectués au titre du forfait, ou comme autorisant un remboursement en équivalence, en particulier sous la forme d'un avoir d'un montant égal au montant des paiements effectués '

2°) Dans l'hypothèse où ces remboursements s'entendent d'un remboursement en argent, la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 et ses conséquences sur les opérateurs de voyages, lesquels ont subi, du fait de cette crise, une baisse de leur chiffre d'affaires pouvant être évaluée entre 50 et 80 %, et représentent plus de 7 % du produit intérieur brut en France et, s'agissant des voyagistes à forfait, emploient 30 000 salariés en France pour un chiffre d'affaires de près de 11 milliards d'euros, sont-elles de nature à justifier, et le cas échéant dans quelles conditions et selon quelles limites, une dérogation temporaire à l'obligation, pour l'organisateur, de rembourser le voyageur de l'intégralité des paiements effectués pour le forfait dans un délai de quatorze jours suivant la résiliation du contrat, prévue au paragraphe 4 de l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées '

3°) En cas de réponse négative à la question précédente, est-il possible, dans les circonstances qui viennent d'être rappelées, de moduler les effets dans le temps d'une décision annulant un texte de droit interne contraire au paragraphe 4 de l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées '

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 1er juillet 2021 ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- la directive (UE) n° 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 ;

- le code civil ;

- le code du tourisme ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- l'arrêt C-407/21 " UFC - Que choisir et CLCV " du 8 juin 2023 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Union fédérale des consommateurs - Que Choisir et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir et la Confédération consommation logement cadre de vie (CLCV) demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, ainsi que de la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée " Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances ' ", publiée sur le site internet " service-public.fr ", de la " Foire aux questions " du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée " Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme " et de la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics, publiées sur le site internet du ministère de l'économie et des finances. Les conclusions de la requête de l'UFC - Que choisir et de la CLCV doivent être regardées comme dirigées contre les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 et des publications des 31 mars, 7 et 9 avril 2020, en tant qu'elles concernent les voyages à forfait et les prestations de voyage liées.

2. D'une part, aux termes de l'article 12 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées : " 1. Les États membres veillent à ce que le voyageur puisse résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait. Lorsque le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, il peut lui être demandé de payer à l'organisateur des frais de résiliation appropriés et justifiables. Le contrat de voyage à forfait peut stipuler des frais de résiliation standard raisonnables, calculés en fonction de la date de résiliation du contrat avant le début du forfait et des économies de coûts et des revenus escomptés du fait d'une remise à disposition des services de voyage concernés. En l'absence de frais de résiliation standard, le montant des frais de résiliation correspond au prix du forfait moins les économies de coûts et les revenus réalisés du fait d'une remise à disposition des services de voyage. À la demande du voyageur, l'organisateur justifie le montant des frais de résiliation. / 2. Nonobstant le paragraphe 1, le voyageur a le droit de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l'exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. En cas de résiliation du contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait mais pas à un dédommagement supplémentaire. / 3. L'organisateur peut résilier le contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait, mais il n'est pas tenu à un dédommagement supplémentaire, si : / a) le nombre de personnes inscrites pour le forfait est inférieur au nombre minimal indiqué dans le contrat et que l'organisateur notifie la résiliation du contrat au voyageur dans le délai fixé par le contrat, mais au plus tard : / i) vingt jours avant le début du forfait dans le cas de voyages dont la durée dépasse six jours ; / ii) sept jours avant le début du forfait dans le cas de voyages dont la durée est de deux à six jours ; / iii) 48 heures avant le début du forfait dans le cas de voyages ne durant pas plus de deux jours ; / ou / b) l'organisateur est empêché d'exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation du contrat au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait. / 4. L'organisateur procède aux remboursements requis en vertu des paragraphes 2 et 3 ou, au titre du paragraphe 1, rembourse tous les paiements effectués par le voyageur ou en son nom pour le forfait moins les frais de résiliation appropriés. Ces remboursements au profit du voyageur sont effectués sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait. / 5. Concernant les contrats hors établissement, les États membres peuvent prévoir dans leur droit national que le voyageur a le droit de se rétracter du contrat de voyage à forfait dans un délai de quatorze jours sans avoir à motiver sa décision ". Il résulte notamment de ces dispositions qu'en cas de résiliation d'un contrat de voyage à forfait, le voyageur a droit au remboursement de l'intégralité des paiements effectués au titre du forfait, déduction faite, le cas échéant, des frais de résiliation appropriés, dans un délai de quatorze jours suivant la résiliation du contrat.

3. Aux termes de l'article 4 de cette directive : " (...) les États membres s'abstiennent de maintenir ou d'introduire, dans leur droit national, des dispositions s'écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des voyageurs ".

4. D'autre part, l'ordonnance attaquée a été prise sur le fondement de l'habilitation conférée au Gouvernement par le 1° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 qui dispose que cette habilitation vise à " faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid 19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi ". L'ordonnance litigieuse prévoit, à son article 1er, que lorsqu'un contrat de vente de voyages et de séjours fait l'objet d'une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, " l'organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l'intégralité des paiements effectués, un avoir ", d'un montant égal à celui de l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition est formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution du contrat. Elle est valable pendant une durée de dix-huit mois. Ce n'est qu'à l'issue de ce délai de dix-huit mois et à défaut d'acceptation, par le client, de la prestation identique ou équivalente à celle que prévoyait le contrat résolu et qui lui a été proposée, que le professionnel sera tenu de le rembourser de l'intégralité des paiements effectués.

5. Dans l'arrêt C-407/21 " UFC - Que choisir et CLCV " du 8 juin 2023 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel après avoir écarté le moyen de légalité externe de la requête, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que " l'article 12, paragraphes 2 et 3, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, (...) doit être interprété en ce sens que lorsque, à la suite de la résiliation d'un contrat de voyage à forfait, l'organisateur de ce forfait est tenu, en vertu de cette disposition, de rembourser le voyageur concerné de l'intégralité des paiements effectués au titre dudit forfait, un tel remboursement s'entend uniquement d'une restitution de ces paiements sous la forme d'une somme d'argent " et, d'autre part, que " l'article 12, paragraphes 2 à 4, de la directive 2015/2302, lu en combinaison avec l'article 4 de cette directive, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les organisateurs de voyages à forfait sont temporairement libérés, dans le contexte de l'éclatement d'une crise sanitaire mondiale faisant obstacle à l'exécution des contrats de voyage à forfait, de leur obligation de rembourser aux voyageurs concernés, au plus tard 14 jours après la résiliation d'un contrat, l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résilié, y compris lorsqu'une telle réglementation vise à éviter que, en raison du nombre important de demandes de remboursement attendues, la solvabilité de ces organisateurs de voyages soit affectée au point de mettre en péril leur existence et à préserver ainsi la viabilité du secteur concerné ".

6. Il résulte ainsi des paragraphes 2 à 4 de l'article 12 de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, tels qu'interprétés par l'arrêt cité ci-dessus de la Cour de justice de l'Union européenne, que les organisateurs de voyages à forfait sont tenus, en cas de résiliation du contrat, de rembourser en argent l'intégralité des paiements effectués à forfait et peuvent, le cas échéant, proposer un avoir au voyageur, mais sans priver ce dernier de son droit à recevoir un remboursement par une somme d'argent. Il suit de là que le dispositif décrit au point 4, prévu par l'ordonnance attaquée, en tant qu'il libère les organisateurs ou les détaillants qui ont vendu des contrats de voyages et de séjours mentionnés au II et au 2° du III de l'article L. 211-14 du code de tourisme, dits " voyages à forfait ", de leur obligation de rembourser aux voyageurs concernés, au plus tard 14 jours après la résiliation d'un contrat, l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résilié, méconnaît les articles 4 et 12 de la directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de légalité interne de la requête, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 25 mars 2020 et, par voie de conséquence, des publications des 31 mars, 7 et 9 avril 2020 qui en reprennent la teneur, en tant qu'elles s'appliquent aux contrats de vente de voyages à forfait.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir et à la Confédération consommation logement cadre de vie, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 25 mars 2020 est annulée en tant qu'elle s'applique aux contrats de voyages et de séjours mentionnés au II et au 2° du III de l'article L. 211-14 du code de tourisme, dits " voyages à forfait " et la publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative, la " Foire aux questions " du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics précitées sont annulées.

Article 2 : L'Etat versera à l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir et à la Confédération consommation logement cadre de vie une somme de 1 500 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir, première requérante dénommée, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 13 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441663
Date de la décision : 13/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2023, n° 441663
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:441663.20231013
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