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11/10/2023 | FRANCE | N°461706

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 11 octobre 2023, 461706


Vu la procédure suivante :

La Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Rouen à lui rembourser la somme de 1 139 807,89 euros, correspondant à l'indemnisation versée à M. B... C..., resté paraplégique à la suite de sa prise en charge dans cet établissement, et aux remboursements des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de d'Eure-et-Loir et la mutuelle Harmoni

e mutuelle, tiers payeurs. Par un jugement n° 1701749 du 6 juin 201...

Vu la procédure suivante :

La Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Rouen à lui rembourser la somme de 1 139 807,89 euros, correspondant à l'indemnisation versée à M. B... C..., resté paraplégique à la suite de sa prise en charge dans cet établissement, et aux remboursements des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de d'Eure-et-Loir et la mutuelle Harmonie mutuelle, tiers payeurs. Par un jugement n° 1701749 du 6 juin 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt avant dire droit n° 19DA01586 du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de la MACIF, jugé que la responsabilité du CHRU de Rouen n'était susceptible d'être engagée ni sur le fondement d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ni en raison d'un manquement au devoir d'information du patient et ordonné une expertise portant sur l'intervention chirurgicale subie par M. C... le 15 juin 2012.

Par un arrêt n° 19DA01586 du 21 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la MACIF contre le jugement du 6 juin 2019.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 février et 17 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la MACIF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Rouen et de son assureur, la Société Hospitalière d'Assurance Mutuelle (SHAM), la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la MACIF et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier régional et universitaire de Rouen et de la société Relyens Mutual Insurance.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C..., victime d'un accident de la circulation, a été pris en charge par le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Rouen, où il a subi le 15 juin 2012 une opération dont il a conservé des séquelles sous la forme d'une paraplégie. Par jugement du 4 décembre 2013, le tribunal correctionnel de Chartres a déclaré l'automobiliste auteur de l'accident redevable de l'indemnisation des préjudices subis par la victime. En application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, la MACIF, assureur du conducteur, a indemnisé M. C... de ses dommages corporels et remboursé leurs débours aux tiers payeurs. Subrogée dans les droits de la victime par le double effet de sa subrogation dans les droits du conducteur responsable et de la subrogation de celui-ci dans les droits de la victime, la MACIF a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le CHRU de Rouen, dont l'assureur est la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), au remboursement de ses débours à la victime et aux tiers payeurs. Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt avant dire droit du 6 avril 2021 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Douai, après avoir jugé que la responsabilité du CHRU de Rouen n'était susceptible d'être engagée ni sur le fondement d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service, ni à raison d'un manquement au devoir d'information du patient, a ordonné une expertise portant sur l'intervention chirurgicale subie par M. C... le 15 juin 2012. Par ordonnance du 19 mai 2021, le président de la cour administrative d'appel a désigné comme expert le docteur A... D..., qui a déposé son rapport le 9 septembre 2021. Par un arrêt du 21 décembre 2021, la cour a rejeté l'appel formé par la MACIF contre ce jugement. La MACIF se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. D'une part, il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise.

3. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique : " Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. "

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le docteur D... a déposé son rapport le 9 septembre 2021 et avait assuré au cours de l'année 2021, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de la SHAM, assureur du CHRU de Rouen dont la responsabilité était recherchée par la MACIF. En jugeant que la MACIF n'était pas fondée à mettre en cause l'impartialité du docteur D..., eu égard, d'une part, aux obligations déontologiques et aux garanties qui s'attachent tant à la qualité de médecin qu'à celle d'expert désigné par une juridiction et, d'autre part, au déroulement des opérations d'expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de la MACIF, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce, alors d'ailleurs qu'il appartenait au médecin expert de refuser la mission d'expertise en application de l'article R 4127-105 du code de la santé publique. La MACIF est par suite fondée à demander l'annulation de son arrêt.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Rouen et de la SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, la somme de 1 500 euros chacun, à verser à la MACIF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la MACIF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 21 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : Le centre hospitalier régional et universitaire de Rouen et la société hospitalière d'assurance mutuelle, devenue la société Relyens Mutual Insurance, verseront chacun la somme de 1 500 euros à la MACIF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de CHRU de Rouen et de la SHAM présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce, au centre hospitalier régional et universitaire de Rouen, à la société hospitalière d'assurance mutuelle, devenue la société Relyens Mutual Insurance, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Indre-et-Loire et à la mutuelle Harmonie mutuelle.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, conseillers d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 11 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Dominique Langlais

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461706
Date de la décision : 11/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - INSTRUCTION - MOYENS D'INVESTIGATION - EXPERTISE - MISE EN DOUTE DE L'IMPARTIALITÉ D'UN EXPERT – 1) CRITÈRES D’APPRÉCIATION PAR LE JUGE [RJ1] – 2) ESPÈCE – EXPERT MÉDICAL ASSURANT DES MISSIONS POUR LE COMPTE DE L’ASSUREUR DE LA PERSONNE DONT LA RESPONSABILITÉ EST RECHERCHÉE – DOUTE SUR SON IMPARTIALITÉ – EXISTENCE [RJ2].

54-04-02-02 1) Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise....2) Médecin désigné comme expert par la juridiction administrative dans un dossier de responsabilité hospitalière. Médecin ayant assuré lors de l’année de sa désignation, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de l’assureur du centre hospitalier régional et universitaire dont la responsabilité était recherchée par l’assureur ayant indemnisé la victime. ...Ni les obligations déontologiques et garanties qui s’attachent tant à la qualité de médecin qu'à celle d'expert désigné par une juridiction, ni le déroulement des opérations d’expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de l’assureur ayant indemnisé la victime, ne permettent de considérer que l’impartialité du médecin ne peut être remise en cause. Il lui appartenait d’ailleurs de refuser la mission d’expertise en application de l’article R. 4127-105 du code de la santé publique (CSP).

PROCÉDURE - INCIDENTS - RÉCUSATION - MISE EN DOUTE DE L'IMPARTIALITÉ D'UN EXPERT – 1) CRITÈRES D’APPRÉCIATION PAR LE JUGE [RJ1] – 2) ESPÈCE – EXPERT MÉDICAL ASSURANT DES MISSIONS POUR LE COMPTE DE L’ASSUREUR DE LA PERSONNE DONT LA RESPONSABILITÉ EST RECHERCHÉE – DOUTE SUR SON IMPARTIALITÉ – EXISTENCE [RJ2].

54-05-02 1) Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise....2) Médecin désigné comme expert par la juridiction administrative dans un dossier de responsabilité hospitalière. Médecin ayant assuré lors de l’année de sa désignation, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de l’assureur du centre hospitalier régional et universitaire dont la responsabilité était recherchée par l’assureur ayant indemnisé la victime. ...Ni les obligations déontologiques et garanties qui s’attachent tant à la qualité de médecin qu'à celle d'expert désigné par une juridiction, ni le déroulement des opérations d’expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de l’assureur ayant indemnisé la victime, ne permettent de considérer que l’impartialité du médecin ne peut être remise en cause. Il lui appartenait d’ailleurs de refuser la mission d’expertise en application de l’article R. 4127-105 du code de la santé publique (CSP).


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 19 avril 2013, Centre hospitalier d’Alès-Cévennes, n° 360598, T. pp. 771-774....

[RJ2]

Comp., s’agissant de la désignation d’un médecin des cadres de l’AP-HP dans un litige où l'AP-HP est partie, CE, 23 juillet 2014, M. Kacem, n° 352407, T. pp. 797-801-853.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 oct. 2023, n° 461706
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461706.20231011
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