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11/10/2023 | FRANCE | N°454045

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 11 octobre 2023, 454045


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin et 22 septembre 2021 et 8 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des entreprises des services automobiles en location longue durée et des mobilités (SESAM LLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat et d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou

très faibles émissions par les entreprises ;

2°) de mettre à la charge de l'...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin et 22 septembre 2021 et 8 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des entreprises des services automobiles en location longue durée et des mobilités (SESAM LLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat et d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 ;

- la décision n° 454045 du 2 août 2023 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat du syndicat des entreprises des services automobiles en location longue durée et des mobilités ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 septembre 2023, présentée par le syndicat des entreprises des services automobiles en location longue durée et des mobilités ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 77 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités a introduit, afin de contribuer à l'objectif de neutralité carbone en 2050, un nouvel article L. 224-10 dans le code de l'environnement, mettant à la charge des entreprises disposant de flottes de plus de 100 véhicules l'obligation de consacrer une part croissante du renouvellement annuel de leur parc à des véhicules à faibles émissions. Aux termes de l'article L. 224-10 dans sa rédaction applicable au litige : " Les entreprises qui gèrent directement ou indirectement, au titre de leurs activités relevant du secteur concurrentiel, un parc de plus de cent véhicules automobiles dont le poids total autorisé en charge est inférieur ou égal à 3,5 tonnes acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules définis au V de l'article L. 224-7 dans la proportion minimale : / 1° De 10 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2022 ; / 2° De 20 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2024 ; / 3° De 35 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2027 ; / 4° De 50 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2030. / Les entreprises qui gèrent directement ou indirectement, au titre de leurs activités relevant du secteur concurrentiel, un parc de plus de cent cyclomoteurs et motocyclettes légères, de puissance maximale supérieure ou égale à 1 kilowatt, acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules définis au troisième alinéa de l'article L. 318-1 du code de la route dans la proportion minimale définie aux 1° à 4° du présent article. / Sont pris en compte dans l'évaluation de la taille du parc géré par une entreprise les véhicules gérés par ses filiales dont le siège est situé en France ainsi que les véhicules gérés par ses établissements situés en France. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article ". C'est en application de ces dispositions qu'a été pris le décret du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat et d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises, dont le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD) demande l'annulation pour excès de pouvoir.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du gouvernement, que ce décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par la ministre de la transition écologique et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. Le moyen tiré du défaut de cette signature et de ces contreseings doit donc être écarté.

3. En deuxième lieu, il ressort de l'extrait du registre des délibérations du Conseil d'Etat du 20 avril 2021, produit par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans le cadre de la présente instance, que le texte du décret attaqué de diffère pas de celui adopté par le Conseil d'Etat. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret aurait été édicté à la suite d'une procédure irrégulière, faute de correspondre au projet soumis au Conseil d'Etat pour avis ou adopté par lui, manque en fait et doit être écarté.

4. En troisième lieu, l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement définit les conditions et limites dans lesquelles les décisions des autorités publiques, autres que les décisions individuelles, ayant une incidence directe ou significative sur l'environnement, sont soumises au principe de participation du public énoncé à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Aux termes du II de cet article : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique et, sur demande présentée dans des conditions prévues par décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures en ce qui concerne les décisions des autorités de l'Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et des établissements publics de l'Etat, ou au siège de l'autorité en ce qui concerne les décisions des autres autorités. (...) / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision ". Le décret attaqué a été adopté à l'issue d'une consultation réalisée du 14 octobre 2020 au 3 novembre 2020. L'absence de publication à l'issue de celle-ci de la synthèse des observations et propositions du public, dont il ressort au demeurant des pièces du dossier qu'elle a bien été réalisée à la date de publication du décret attaqué, est par elle-même sans incidence sur sa légalité.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

5. L'article L. 224-10 du code de l'environnement précité met à la charge des entreprises qui gèrent directement ou indirectement, au titre de leurs activités relevant du secteur concurrentiel, un parc de plus de cent véhicules automobiles dont le poids total autorisé en charge est inférieur ou égal à 3,5 tonnes, l'obligation de consacrer une part minimale croissante des renouvellements annuels des flottes à l'acquisition ou à l'utilisation de véhicules à faibles émissions définis au V de l'article L. 224-7 du même code.

6. L'article 2 du décret attaqué a introduit un nouvel article R. 224-15-12 A dans le code de l'environnement. Aux termes du I de celui-ci : " Pour l'application de l'article L. 224-10, sont pris en compte les véhicules acquis par une entreprise ou utilisés par elle dans le cadre d'une formule locative de longue durée, au sens du 7° de l'article 1007 du code général des impôts. / Toutefois, pour les entreprises de construction de véhicules automobiles ou de motocycles, seuls sont pris en compte les véhicules mentionnés à l'alinéa précédent et utilisés par l'entreprise en vue de son activité. / Pour les entreprises de location, de location-vente ou de crédit-bail, sont pris en compte les véhicules que l'entreprise détient et met à disposition de preneurs dans le cadre de formules locatives, ou dont la gestion lui incombe ".

7. En premier lieu, si le syndicat requérant soutient que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité et de libre concurrence, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre, en imposant aux loueurs de longue durée gérant un parc de plus de cent véhicules automobiles des obligations particulières dans le cadre du renouvellement de ce parc par l'acquisition ou l'utilisation dans des proportions croissantes de véhicules produisant de faibles niveaux d'émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, sans y assujettir d'autres opérateurs économiques comme les sociétés de financement automobile, cette distinction résulte directement de l'application de loi, qui vise les entreprises gérant directement ou indirectement un parc de plus de cent véhicules automobiles. Par une décision n° 454045 du 2 août 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités à l'encontre de l'article L. 224-10 du code de l'environnement au motif que les griefs tirés de ce que cet article, en excluant de son champ d'application les sociétés de financement, méconnaitrait la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre ainsi que le principe d'égalité garantis respectivement par les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne présentaient pas de caractère sérieux. Par suite, le moyen doit être écarté. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les contraintes imposées aux loueurs de longue durée constitueraient une charge excessive et disproportionnée dès lors que les sociétés de financement sont dispensées de toute obligation analogue, doit lui aussi être écarté.

8. En deuxième lieu, si le syndicat requérant soutient que le décret attaqué méconnaitrait les principes d'égalité et de libre concurrence, ainsi que la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre, en excluant les entreprises qui gèrent des parcs de véhicules automobiles pour le compte de tiers sans en être propriétaires ou locataires, ces entreprises, qui entrent dans le champ d'application de l'article L. 224-10 du code de l'environnement si elles gèrent un parc de plus de cent véhicules, se verront appliquer le cas échéant les obligations posées par le décret attaqué s'agissant des véhicules qu'elles entendent acquérir ou utiliser lors du renouvellement annuel de leur parc. La circonstance que la situation de ces entreprises ne soit pas expressément traitée par les dispositions de l'article R. 224-15-12 A du code de l'environnement ne conduit pas à les exclure du champ d'application de l'article L. 224-10 du même code et est donc sans incidence sur la légalité du décret attaqué. Le moyen ne peut donc alors qu'être écarté. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les contraintes imposées aux loueurs de longue durée constitueraient une charge excessive et disproportionnée dès lors que les entreprises qui procèdent à la gestion de parcs de véhicules automobiles pour le compte de tiers sans en être propriétaires ou locataires sont exclues doit être écarté.

9. En troisième lieu, si le syndicat requérant invoque la méconnaissance des principes de libre établissement et de libre prestation de services, il ne ressort d'aucune disposition du décret attaqué que les obligations qu'il institue, qui au demeurant ne seraient applicables aux entreprises ayant leur siège dans un autre Etat de l'Union européenne que pour la part de leur flotte qu'elles gèrent en France, affecte la possibilité pour ces entreprises de proposer librement leurs services en France ou de s'y établir. Par suite et en tout état de cause, le moyen ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont le pouvoir réglementaire aurait entaché ce décret en faisant peser les obligations sur les seules entreprises de location automobile et non sur certains autres opérateurs économiques proposant d'autres formules d'accès à l'automobile comme les sociétés de financement d'acquisition de véhicules, doit, pour les motifs exposés au point 7, être écarté, cette distinction découlant de la loi elle-même.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 224-15-12 B : " on entend par renouvellement annuel du parc le nombre de véhicules acquis ou utilisés dans les conditions prévues à l'article R. 224-15-12 A, en application des contrats signés au cours d'une année calendaire ". En application de ces dispositions, les sociétés de location de véhicules de longue durée auront la possibilité, chaque année, à l'occasion de la signature des contrats d'acquisition, de location ou de prises en gestion de véhicules, de s'assurer qu'elles respectent les obligations de renouvellement prévues à l'article L. 224-10 du code de l'environnement, lesquelles sont fixées en considération du stock de véhicules gérés directement ou indirectement. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont le pouvoir réglementaire aurait entaché ce décret en imposant la prise en compte de véhicules dont le nombre ne peut être déterminé à l'avance doit, par suite, être écarté.

12. En sixième lieu, le syndicat requérant conteste la prise en compte, pour le calcul du seuil de cent véhicules, des véhicules dont la gestion incombe à l'entreprise sans que celle-ci n'en soit propriétaire ou utilisatrice. Il ressort toutefois de l'article L. 224-10 précité que le législateur a entendu imposer des obligations aux entreprises gérant directement ou indirectement plus de cent véhicules, y compris dans les cas où elles n'en seraient ni propriétaires ni locataires. Dès lors que le décret attaqué explicite sans les méconnaître les critères prévus par la loi, ces moyens dirigés contre le décret ne peuvent qu'être écartés.

13. En septième lieu, il résulte des points 7 et 8 que le moyen tiré de ce que le décret serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il instaurerait un dispositif manifestement inefficace dès lors qu'il exclurait de son champ les sociétés de financement et les sociétés exerçant uniquement une activité de gestion ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 11 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Cyril Roger-Lacan

La rapporteure :

Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 454045
Date de la décision : 11/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 oct. 2023, n° 454045
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Stéphanie Vera
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:454045.20231011
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