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10/10/2023 | FRANCE | N°469328

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 10 octobre 2023, 469328


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 469328, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 1er décembre 2022 et 18 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Cimade, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et la Ligue des droits de l'Homme demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 3 août 2022 relative aux mesures nécessaires pour améliorer la cha

îne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 469328, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 1er décembre 2022 et 18 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Cimade, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et la Ligue des droits de l'Homme demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 3 août 2022 relative aux mesures nécessaires pour améliorer la chaîne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 470574, par une requête enregistrée le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, la Ligue des droits de l'Homme, l'association Utopia 56, l'Association pour le droit des étrangers et le syndicat des avocats de France demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 471464, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 17 février et 17 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des acteurs de la solidarité et la fondation Abbé Pierre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 471949, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 7 mars et 18 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Cimade service œcuménique d'entraide demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule

- la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code des douanes ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations ente le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2022-1019 du 20 juillet 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Cimade, de la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigrés, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, de la Ligue des droits de l'homme, de la Fédération des acteurs de la solidarité et de la Fondation Abbé Pierre, et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Groupe d'information et de soutien des immigrés, de la Ligue des droits de l'homme, de l'Association Utopia 56, de l'association Avocat pour la défense des droits des étrangers et du Syndicat des avocats de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une circulaire du 3 août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a adressé aux préfets et aux forces de sécurité intérieure des instructions relatives à l'éloignement des étrangers ayant commis des infractions graves et représentant une menace pour l'ordre public. Les associations la Cimade, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et la Ligue des droits de l'Homme demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire. Par une circulaire du 17 novembre 2022 intitulée " exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et renforcement de nos capacités de rétention ", le même ministre a adressé aux mêmes destinataires des instructions en matière d'éloignement et de traitement de la situation des étrangers ayant commis des infractions graves et représentant une menace pour l'ordre public. Les associations Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, la Ligue des droits de l'Homme, Utopia 56, l'Association pour le droit des étrangers, le syndicat des avocats de France, la Fédération des acteurs de la solidarité, la fondation Abbé Pierre et la Cimade service œcuménique d'entraide demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire.

2. Ces requêtes présentent à juger questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur le moyen tiré de la référence par la circulaire du 3 août 2022 à une circulaire qui ne serait plus en vigueur:

3. Si l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration fait obligation de publier les circulaires ministérielles " qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives " et les réputent, à défaut, abrogées, la simple référence, au sein de la circulaire attaquée, à l'instruction non publiée du 29 septembre 2020 et par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a défini, à destination des préfets, les actions à conduire en matière d'éloignement des étrangers ayant commis des infractions graves ou représentant une menace grave pour l'ordre public, ne saurait, en tout état de cause, avoir pour effet d'entacher d'illégalité la circulaire attaquée.

Sur les moyens relatifs aux décisions obligeant à quitter le territoire français :

En ce qui concerne l'édiction de telles obligations :

4. L'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) fixe les cas dans lesquels l'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français. L'article L. 611-3 du même code prévoit, quant à lui, les cas dans lesquels, alors même qu'un étranger entre dans l'une des hypothèses de mise en œuvre d'une obligation de quitter le territoire français, celle-ci est rendue impossible en raison, notamment, de ses liens familiaux, de la durée de résidence en France ou de son état de santé. En outre, lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à l'intéressé, cette circonstance fait alors obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire. Enfin, les dispositions du CESEDA régissant la délivrance des titres de séjour n'imposent pas au préfet, sauf disposition spéciale contraire, de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui ne remplit pas les conditions auxquelles est subordonné le droit d'obtenir ce titre. La faculté pour le préfet de prendre, à titre gracieux et exceptionnel, une mesure favorable à l'intéressé pour régulariser sa situation relève de son pouvoir d'appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. La circulaire du 17 novembre 2022 invite les préfets à prendre une mesure portant obligation de quitter le territoire français à l'égard de " tout étranger en situation irrégulière " lorsqu'est constatée, comme indiqué au point 1 de son annexe, " l'absence de droit au séjour ". Ce faisant, elle a pour seul objet et effet de leur demander de prendre une telle mesure une fois examinée et rejetée la demande de titre sollicité ou vérifiée l'absence de droit au séjour sans écarter toute possibilité de régularisation. Par suite, le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée méconnaîtrait les dispositions des articles 3 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales et celles des articles L. 611-1 et L. 611-3 du CESEDA ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne l'octroi d'un délai de départ volontaire :

6. Aux termes de l'article L. 612-1 du CESEDA : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. " L'article L. 612-2 du même code précise : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " Les mesures d'éloignement des ressortissants des pays membres de l'Union européenne font l'objet de dispositions distinctes, prévues, s'agissant du délai de départ volontaire, à l'article L. 251-3 du même code, lequel dispose que : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. / L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel. "

7. D'une part, dès lors qu'elle ne s'appuie que sur les seuls articles L. 612-1 et suivants du CESEDA, la circulaire du 17 novembre 2022 ne saurait être interprétée comme visant la situation des étrangers en situation irrégulière ressortissants de l'Union européenne. Le moyen tiré de ce que la circulaire méconnaitrait le droit de l'Union européenne et les dispositions de l'article L. 251-3 du CESEDA ne peut, par suite, qu'être écarté.

8. D'autre part, en invitant les préfets à " refuser d'accorder un délai de départ volontaire en cas de demande de titre manifestement infondée ou frauduleuse, de menace à l'ordre public ou de risque de soustraction à l'exécution de la mesure " et " sauf circonstances particulières " elle se borne à paraphraser les dispositions citées ci-dessus sans en méconnaître le sens ni la portée. Le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait l'article L. 612-2 cité ci-dessus ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'édiction d'interdictions de retour :

9. Il ne saurait être sérieusement soutenu qu'en demandant aux préfets de délivrer des interdictions de retour sur le territoire français " aussi souvent que possible " et sans mention de l'ensemble des règles applicables en la matière, le ministre aurait, par son instruction du 17 novembre 2022, méconnu les exceptions figurant aux articles L. 612-6 et L. 612-7 du CESEDA, tenant à l'existence de circonstances humanitaires, ou celle figurant à L. 612-9 du CESEDA, relative aux étrangers victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou engagés dans un parcours de sortie de la prostitution. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'inscription au fichier des personnes recherchées (FPR) et au système d'information Schengen (SIS) :

10. Aux termes du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées (FPR) : " (...) IV. Peuvent également être inscrits dans le fichier à l'initiative des autorités administratives compétentes : / (...) 5° Les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français non exécutée, en application du I de l'article L. 511-1 ou de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; (...) ". Ces dispositions autorisent l'autorité administrative à inscrire au FPR les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire, que cette obligation soit ou non assortie d'un délai de départ volontaire, et que ce dernier soit expiré ou non, en cohérence avec la finalité du traitement, mentionnée à l'article 1er du décret, de " faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles ". Par suite, le ministre pouvait sans méconnaître ces dispositions inviter les préfets à procéder à l'inscription au FPR des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. En outre, les requérantes ne peuvent utilement invoquer les dispositions du code de la sécurité intérieure et du code des douanes relatives aux missions des policiers, gendarmes et douaniers pour faire valoir que l'objectif de recensement des personnes faisant l'objet d'une mesure d'éloignement au sein du FPR n'est pas au nombre de ces missions, dès lors que la circulaire du 17 novembre 2022 indique expressément, au point 5 de son annexe, que cette mission incombe aux agents des préfectures.

11. Aux termes de l'article R. 231-6 du code de la sécurité intérieure : " Peuvent être enregistrées dans le traitement N-SIS II les données à caractère personnel relatives aux personnes suivantes : / (...) 2° Les personnes signalées aux fins de non-admission ou d'interdiction de séjour à la suite d'une décision administrative ou judiciaire ; (...). " Il en résulte que l'étranger obligé de quitter le territoire ne peut être inscrit au N-SIS II s'il ne fait en outre l'objet d'une interdiction de retour. Si le point 1 de la circulaire évoque la diffusion dans le SIS de l'ensemble des obligations de quitter le territoire, le point 5 de l'annexe à la circulaire en cause prévoit que si ces obligations et les interdictions de retour doivent être inscrites au FPR, seules ces dernières doivent faire l'objet d'un versement au N-SIS II. Par suite, le moyen tiré de ce que le ministre aurait méconnu ces dispositions réglementaires en invitant les préfets à procéder à l'inscription au N-SIS II des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pas d'une interdiction de retour ne peut qu'être écarté.

Sur les moyens relatifs aux décisions d'assignation à résidence et aux visites domiciliaires :

S'agissant de l'assignation à résidence :

12. La circulaire du 3 août 2022 se borne à prescrire un examen systématique de l'opportunité de prendre une décision d'assignation à résidence en mentionnant l'article L. 731-1 du CESEDA, lequel fixe la liste des cas dans lesquels une telle mesure est possible à l'égard d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et " qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable ". Les moyens tirés de ce qu'elle méconnaîtrait les dispositions de cet article et celles de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour la transposition desquelles il a été pris, ne peuvent dès lors qu'être écartés.

13. La circulaire du 17 novembre 2022 demande, quant à elle, de développer de " manière beaucoup plus significative " l'assignation à résidence, en demandant " d'assigner systématiquement à résidence les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et non placés en rétention ", après avoir invité ses destinataires à se " saisir de toutes les dispositions du droit en vigueur ". Le ministre a ainsi entendu prescrire aux préfets, dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique, de prendre systématiquement de telles mesures quand les conditions légales pour y recourir sont réunies. Ce faisant, il ne peut être regardé, contrairement à ce qui est soutenu, comme ayant entaché la circulaire d'incompétence ou comme ayant méconnu l'article L. 731-1 ou l'article L. 731-3 du CESEDA et, en tout état de cause, les articles 2 et 4 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 27 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 citée plus haut ou le droit à une bonne administration.

S'agissant des visites domiciliaires :

14. Les dispositions des articles L. 733-6, L. 733-7, L. 733-8 et L. 751 5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient qu'en cas d'obstruction de l'étranger à sa présentation aux autorités consulaires du pays dont il est raisonnable de penser qu'il a la nationalité et du séjour ou à l'autorité préfectorale, ou à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement, " l'autorité administrative peut, après avoir dûment constaté cette obstruction, demander au juge des libertés et de la détention de l'autoriser à requérir les services de police ou les unités de gendarmerie pour qu'ils visitent le domicile de l'étranger ". En prescrivant d'avoir recours aux visites domiciliaires en " sollicitant l'autorisation du juge judiciaire " " pour mener à bien l'expulsion des étrangers dont le comportement constitue une menace pour l'ordre public ", la circulaire du 17 novembre 2022 se borne à rappeler la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, seul compétent pour prescrire de telles visites. Les moyens tirés de ce qu'elle méconnaîtrait les dispositions des articles L. 733-6, L. 733-7 et L. 733-8 du CESEDA ne peuvent qu'être écartés.

Sur les moyens relatifs à la rétention administrative :

15. L'article L. 741-1 du même code dispose que : " L'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision (...) ".

16. La circulaire du 3 août 2022 invite à utiliser " prioritairement " la rétention " pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l'ordre public, y compris lorsque l'éloignabilité ne parait pas acquise ". D'une part, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, le ministre pouvait, sans méconnaître ces dispositions ni y ajouter, inviter les préfets à utiliser les capacités limitées des centres de rétention administrative en priorité pour les étrangers remplissant les conditions fixées par l'article L. 741-1 et auteurs de troubles à l'ordre public et, d'autre part, y inclure les étrangers " dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable " ainsi que l'exige l'article L. 731-1 du même code, sans toutefois que cet éloignement soit matériellement sûr.

17. Les deux circulaires invitent en outre à développer les " locaux de rétention administrative ", prévus à l'article R. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, distincts des centres de rétention administrative, et pouvant être utilisés pour le placement en rétention, lorsqu'en raison " (...) de circonstances particulières, notamment de temps ou de lieu, des étrangers retenus en application du présent titre ne peuvent être placés immédiatement dans un centre de rétention administrative. ".

18. D'une part, les associations requérantes qui, en tout état de cause, ne se prévalent pas de la méconnaissance, par ces dispositions, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ne peuvent utilement soutenir que la circulaire attaquée, qui se borne à demander à ce que soient développées les capacités en locaux de rétention administrative, méconnaitrait les dispositions de cette directive. D'autre part en indiquant que de tels locaux " sont particulièrement utiles pour la réalisation d'éloignement programmables, tels que les remises " Dublin " ", la circulaire a entendu donner un exemple de cas d'utilisation de tels locaux sans prescrire systématiquement le placement en rétention dans ces locaux des étrangers faisant l'objet d'un arrêté de transfert ou de remise aux autorités d'un autre Etat membre de l'Union européenne.

Sur les moyens relatifs aux droits et prestations sociaux des personnes concernées :

19. En premier lieu, en invitant les préfets à se rapprocher des organismes de protection sociale pour " vérifier que la prise d'une OQTF s'accompagne d'une suspension des droits sociaux " de la personne faisant l'objet d'une telle obligation, le ministre de l'intérieur et des outre-mer qui, eu égard aux attributions que lui a conféré le décret du 20 juillet 2022, n'était pas incompétent pour le faire, n'a édicté, par la circulaire du 17 novembre 2022, aucune règle, ni décidé de telles suspensions, qui relèvent, le cas échéant, des autorités mentionnées par les textes ayant institué ces droits et prestations dans les conditions qu'ils déterminent. Il s'est en outre borné, s'agissant de l'accès à l'hébergement d'urgence, à annoncer de futurs " outils pour une application effective de la situation administrative des étrangers pris en charge indument ". Par suite les moyens tirés du détournement de pouvoir, de l'incompétence du ministre, et de ce qu'auraient été, ce faisant, méconnues les dispositions des articles L. 111-2, L. 231-1 L. 345-1 et suivants et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles et R.441-4 du code de la construction et de l'habitation ne peuvent qu'être écartés.

20. D'autre part, en prescrivant cette vérification ainsi, s'agissant de l'occupation des logements sociaux, que des réunions avec les bailleurs sociaux au niveau local " pour objectiver des situations et mettre en place un dispositif ", le ministre ne peut être regardé comme ayant prescrit des traitements de données personnelles ou la communication de telles données ni, le cas échéant, dispensé les autorités administratives concernées du respect des dispositions régissant le traitement de ces données ni celles relatives à la protection des données personnelles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de certaines dispositions du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ne peut qu'être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la Cimade, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, la Ligue des droits de l'Homme, l'association Utopia 56, la fondation Abbé Pierre, la Fédération des acteurs de la solidarité, le syndicat des avocats de France, l'Association pour le droit des étrangers et la Cimade, service œcuménique d'entraide ne sont pas fondés à demander l'annulation des circulaires qu'elles attaquent.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de la Cimade, de la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, de la Ligue des droits de l'Homme, de l'association Utopia 56, de la fondation Abbé Pierre, de la Fédération des acteurs de la solidarité, du syndicat des avocats de France, de l'Association pour le droit des étrangers et de la Cimade service œcuménique d'entraide sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Cimade, à la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, au Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, à la Ligue des droits de l'Homme, à l'association Utopia 56, à la fondation Abbé Pierre, à la Fédération des acteurs de la solidarité, au syndicat des avocats de France, à l'Association pour le droit des étrangers, à la Cimade service œcuménique d'entraide et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 10 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 469328
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2023, n° 469328
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hadrien Tissandier
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469328.20231010
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