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10/10/2023 | FRANCE | N°469178

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 10 octobre 2023, 469178


Vu la procédure suivante :

Mme H... A..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs C... et F... B..., Mme D... B... et MM. E... et G... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 290 000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice que leur cause l'absence de relogement dans un logement adapté, malgré la décision de la commission de médiation de Paris du 26 mars 2008 reconnaissant le caractère prioritaire de leur demande. Par un jugement n° 2019536/4-3 du 1er juillet 2022, la magistrate dé

signée par le président du tribunal administratif a condamné l'Etat...

Vu la procédure suivante :

Mme H... A..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs C... et F... B..., Mme D... B... et MM. E... et G... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 290 000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice que leur cause l'absence de relogement dans un logement adapté, malgré la décision de la commission de médiation de Paris du 26 mars 2008 reconnaissant le caractère prioritaire de leur demande. Par un jugement n° 2019536/4-3 du 1er juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 500 euros tous intérêts compris et a rejeté le surplus de la demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 25 novembre 2022 et 27 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... A..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, Mme D... B..., M. E... B... et M. G... B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne leur a pas donné pleine satisfaction ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à leur avocat, la SCP Gatineau-Fattacini-Rebeyrol, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport I... Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat I... A... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par une décision du 21 mars 2008, la commission de médiation de Paris a déclaré Mme A... prioritaire et devant être relogée en urgence, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation. Par un jugement du 29 octobre 2009, le tribunal administratif de Paris, saisi par Mme A... sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 441-2-3-1 du même code, a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer son relogement. Mme A... et ses enfants ont ensuite demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de leur absence de relogement. Par un jugement du 1er juillet 2022, le tribunal administratif a jugé que seule Mme A... pouvait obtenir réparation des préjudices subis par elle et ses enfants du fait de la carence de l'Etat et que si la période de responsabilité avait couru à compter de l'expiration d'un délai de six mois suivant la décision de la commission de médiation, seuls étaient démontrés les troubles dans les conditions d'existence subis par Mme A... entre janvier 2015 et février 2017, réparés par une indemnité limitée à 500 euros. Mme A... et ses enfants se pourvoient en cassation contre ce jugement.

Sur le pourvoi :

2. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et devant être logée ou relogée en urgence par une commission de médiation en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence de l'Etat à exécuter cette décision dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission, que l'intéressé ait ou non fait usage du recours en injonction contre l'Etat prévu par l'article L. 441-2-3-1 de ce code. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat, qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois imparti au préfet, à compter de la décision de la commission de médiation, pour provoquer une offre de logement, et prend fin à la date à laquelle un logement adapté a été assuré à l'intéressé, ou à celle à laquelle il a refusé sans motif impérieux une proposition de logement tenant compte de ses besoins et capacités, alors qu'il avait été averti des conséquences de ce refus dans les conditions prévues par l'article R. 441-16-3 du code de la construction et de l'habitation.

4. D'une part, pour rejeter en totalité la demande d'indemnisation formée au titre de la période allant de septembre 2008, soit six mois après que la commission de médiation a déclaré Mme A... prioritaire du fait de la sur-occupation de son logement, à janvier 2015, le tribunal administratif a retenu qu'il ne résultait pas de l'instruction que le logement de 28 m² qu'elle louait durant cette période aurait été sur-occupé, dès lors que l'adresse du père de ses cinq enfants, dont elle est divorcée, apparaissait sur les papiers d'identité de certains d'entre eux et que, selon les années, certains des enfants n'apparaissaient pas rattachés à son foyer fiscal ou étaient mentionnés être en résidence alternée. En statuant ainsi, malgré la décision de la commission de médiation et en se fondant principalement sur des pièces postérieures à la période concernée sans user de son pouvoir d'instruction pour demander la production de pièces contemporaines, le tribunal administratif a méconnu son office et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

5. D'autre part, en déniant toute indemnisation à Mme A... du chef de ses enfants pour la période allant de janvier 2015 à février 2017 durant laquelle elle ne disposait plus de logement propre et était hébergée par une amie, au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction " que ses enfants auraient résidé avec elle de manière exclusive " durant cette période, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

6. Enfin, la circonstance que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, l'intéressé est parvenu à se procurer un logement par ses propres recherches ne saurait être regardée comme établissant que l'urgence a disparu lorsque, compte tenu des caractéristiques de ce logement, le demandeur continue de se trouver dans une situation lui permettant d'être reconnu comme prioritaire et devant être relogé en urgence en application des dispositions de l'article R. 441-14-1 du code de la construction et de l'habitation. Si tel n'est pas le cas, le juge peut néanmoins estimer que l'urgence perdure si le logement obtenu ne répond manifestement pas aux besoins de l'intéressé, excède notablement ses capacités financières ou présente un caractère précaire.

7. Pour refuser à Mme A... toute indemnisation pour la période postérieure au 3 février 2017, date à laquelle elle a signé un bail pour la location d'un logement de 69 m² dans le secteur privé à Aubervilliers, appartement dont il n'est pas soutenu qu'il aurait été sur-occupé, le tribunal administratif a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que ce logement était inadapté aux capacités financières de l'intéressée ou à ses besoins. En se prononçant ainsi aux motifs notamment que Mme A... avait été en mesure de signer seule le bail, qu'elle n'était pas parent isolé et que certains de ses enfants, majeurs, n'étaient plus à charge et étaient susceptibles d'avoir des revenus, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de mettre en œuvre des mesures d'instruction pour s'assurer des capacités financières de l'intéressée, n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires portant sur la période allant de septembre 2008 à janvier 2015 et ne lui accorde que 500 euros en réparation des troubles subis par elle-même et ses enfants pour la période de janvier 2015 à février 2017.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande d'indemnisation :

9. D'une part, selon les dispositions réglementaires actuellement reprises à l'article R. 822-25 du code de la construction et de l'habitation, un logement est considéré comme sur-occupé s'il ne présente pas une surface habitable globale au moins égale à neuf mètres carrés pour une personne seule, seize mètres carrés pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de neuf mètres carrés par personne en plus, dans la limite de soixante-dix mètres carrés pour huit personnes et plus.

10. Il résulte de l'instruction que Mme A... a continué à vivre jusqu'en janvier 2015 dans le logement de 28 m² qu'elle louait en mars 2008 lorsque la commission de médiation a constaté que ce logement, qu'elle occupait avec ses quatre enfants nés en février 1998, novembre 1999, février 2002 et février 2008, était sur-occupé. Elle l'occupait également lors de la naissance de son cinquième enfant en septembre 2010, comme en atteste l'acte de naissance de celui-ci. Si les papiers d'identité délivrés en janvier 2011 à sa fille ainée, âgée de douze ans, et à son deuxième fils, âgé de presque neuf ans, mentionnaient, outre l'adresse de leur mère, celle de leur père résidant dans le même arrondissement de Paris, il résulte de l'instruction que les deux plus jeunes enfants I... Mme A..., qui n'ont été reconnus par leur père qu'en janvier 2019, ont toujours vécu avec leur mère et que les trois ainés, alors même qu'ils auraient parfois été accueillis chez leur père entre 2011 et 2015, résidaient principalement chez leur mère, dans un logement dont la situation de sur-occupation s'est ainsi maintenue jusqu'au 9 janvier 2015, date à laquelle il a été mis fin au bail. Il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par Mme A... et ses cinq enfants entre le 21 septembre 2008, six mois après la décision de la commission de médiation la déclarant prioritaire pour l'attribution d'un logement, et cette date du 9 janvier 2015, en condamnant l'Etat à verser à Mme A... une somme de 9 000 euros.

11. D'autre part, il n'est pas contesté qu'entre la date du 9 janvier 2015 à laquelle il a été mis fin à son bail et celle du 3 février 2017 à laquelle elle a signé un bail pour un logement adapté à ses besoins, Mme A... a été hébergée par une amie dans un logement de trois pièces déjà occupé par quatre autres personnes. Il résulte de l'instruction que les deux plus jeunes enfants I... Mme A... ont été hébergés avec elle de façon permanente dans ce logement sur-occupé durant la même période, alors que les trois ainés, en " résidence alternée " selon les avis d'imposition sur les revenus 2015 et 2016, y ont été accueillis durant ces deux années dans des conditions précaires. Dans ces conditions, Mme A... a droit, au titre de cette période, à une indemnité complétant celle qui lui a été accordée par le tribunal administratif. Il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par les cinq enfants durant ces deux années en condamnant l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 11 000 euros en complément de la somme mise à sa charge par le tribunal administratif. Mme A... a droit aux intérêts à taux légal sur cette somme à compter du 14 septembre 2020, date de réception de sa demande préalable.

Sur les frais d'instance :

13. Mme A... et autres ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Gatineau-Fattacini-Rebeyrol, leur avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions indemnitaires I... A....

Article 2 : L'Etat versera à Mme A..., en complément de l'indemnité accordée par le tribunal administratif, une indemnité de 11 000 euros, assortie des intérêts à taux légal à compter du 14 septembre 2020.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la SCP Gatineau-Fattacini-Rebeyrol, au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme H... A..., première dénommée, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Sylvie Pellissier

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 469178
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2023, n° 469178
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sylvie Pellissier
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469178.20231010
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