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10/10/2023 | FRANCE | N°461535

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 10 octobre 2023, 461535


Vu la procédure suivante :

Mme B... C... et la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF) ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à leur verser la somme de 336 708 euros, sauf à parfaire, en remboursement des sommes mises à leur charge par le jugement du tribunal de grande instance de Carcassonne du 28 novembre 2017 ou, subsidiairement, une fraction de cette somme correspondant à la part de responsabilité imputable au centre hospitalier de Carcassonne. Par un jugement n° 1803087 du 22 juin 2020, le tri

bunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20M...

Vu la procédure suivante :

Mme B... C... et la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF) ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à leur verser la somme de 336 708 euros, sauf à parfaire, en remboursement des sommes mises à leur charge par le jugement du tribunal de grande instance de Carcassonne du 28 novembre 2017 ou, subsidiairement, une fraction de cette somme correspondant à la part de responsabilité imputable au centre hospitalier de Carcassonne. Par un jugement n° 1803087 du 22 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 20MA02925 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme C... et la MACSF contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février et 10 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... et la MACSF demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme C... et autre et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du centre hospitalier de Carcassonne.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 6 avril 2009 à 21h47, Mme A..., s'inquiétant de la forte fièvre que présentait sa fille âgée de dix-sept jours, a été dirigée par le médecin régulateur du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) rattaché au centre hospitalier de Carcassonne, qui l'a rappelée à 22h05, vers la maison médicale de garde de Carcassonne en vue de s'y faire délivrer du paracétamol. Le docteur C..., qui a reçu l'enfant à 22h30, l'a examinée et a confirmé la prescription de paracétamol pour faire tomber la fièvre. Le 8 avril au soir, devant la persistance des symptômes, l'enfant a été conduite au centre hospitalier de Carcassonne où les investigations effectuées ont révélé qu'elle souffrait d'une méningite à pneumocoque, qui a entrainé de lourdes séquelles. Après avoir ordonné une expertise médicale, le tribunal de grande instance de Carcassonne, estimant que le Dr C... avait commis une faute médicale ayant entrainé une perte de chances pour l'enfant d'échapper à ces séquelles, l'a condamnée ainsi que son assureur, la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF), à verser à Mme A... diverses indemnités à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis, par un jugement du 28 novembre 2017 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 17 novembre 2020. Une ordonnance du juge de la mise en état du 21 mars 2019 et un second jugement du tribunal judiciaire de Carcassonne, rendu le 10 novembre 2020, ont mis à la charge du docteur C... et son assureur des indemnités complémentaires.

2. Mme C... et la MACSF, arguant de la faute commise par le médecin régulateur en n'adressant pas l'enfant au service des urgences de l'hôpital mais à la maison médicale de garde, ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à leur rembourser les sommes ainsi mises à leur charge par les juridictions de l'ordre judiciaire, ou au moins une fraction de celles-ci. Pour confirmer, par l'arrêt attaqué du 17 décembre 2021, le jugement du tribunal administratif du 22 juin 2020 qui a rejeté cette demande, la cour administrative d'appel de Marseille a jugé que le choix du médecin régulateur du SAMU d'orienter Mme A... vers le docteur C... était fautif et portait en lui-même l'entier dommage, mais qu'eu égard au très bref délai qui s'est écoulé entre cette orientation fautive et l'examen de l'enfant par le docteur C... et le diagnostic fautif de celle-ci, la faute du médecin régulateur ne pouvait être regardée comme une des causes déterminantes des préjudices subis.

3. Lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. Lorsque l'un des auteurs du dommage a été condamné par le juge judiciaire à réparer tout ou partie de celui-ci, il peut former une action récursoire contre une personne publique co-responsable devant le juge administratif, auquel il appartient alors de fixer le partage de responsabilité entre les co-auteurs et l'indemnisation due en conséquence par la personne publique à la personne privée, dans la limite des droits qu'aurait pu faire valoir la victime du dommage à l'égard de la collectivité publique.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire, que les recommandations médicales en vigueur au moment des faits préconisaient, devant la difficulté de diagnostiquer une méningite bactérienne chez un nourrisson, de toujours hospitaliser un enfant de moins de vingt-huit jours présentant une forte fièvre, afin de débuter une antibiothérapie systématique en attendant les résultats des prélèvements. Ainsi, la faute commise par le médecin régulateur du SAMU en n'orientant pas immédiatement, sur l'appel de la mère, l'enfant vers les urgences pédiatriques du centre hospitalier de Carcassonne portait en elle, tout comme le diagnostic erroné posé trente minutes plus tard par le docteur C..., médecin de la maison de garde, la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et de traitement de la méningite à pneumocoque. En jugeant que la faute commise par le médecin régulateur ne pouvait, du fait de l'erreur de diagnostic commise ensuite par le docteur C..., être regardée comme une cause déterminante du préjudice subi et en rejetant pour ce motif l'action de Mme C... et de son assureur devant les juridictions administratives, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit. Les requérantes sont fondées, par suite, à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur pourvoi, l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne la somme de 3 000 euros à verser aux requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme C... et de la Mutuelle d'assurance du corps de santé français, qui ne sont pas parties perdantes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 décembre 2021 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : Le centre hospitalier de Carcassonne versera à Mme C... et à la Mutuelle d'assurance du corps de santé français la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Carcassonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C..., première requérante dénommée, et au centre hospitalier de Carcassonne.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Sylvie Pellissier

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 461535
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2023, n° 461535
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sylvie Pellissier
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461535.20231010
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