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06/10/2023 | FRANCE | N°466523

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 06 octobre 2023, 466523


Vu la procédure suivante :

M. BKK... DKK..., se présentant comme agissant tant en son nom personnel qu'au nom de Mme EKK... DKK..., M. FKK... DKK... et de M. CKK... GKK..., a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à les indemniser du préjudice subi, en tant qu'ayants droit de Mme HKK... IKK..., du fait de l'occupation irrégulière du lot n° 9 de la terre Mumuvai par la commune.

Par un jugement avant dire droit n° 1600355 du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté les conclu

sions tendant à l'indemnisation du préjudice à hauteur de la valeur vénal...

Vu la procédure suivante :

M. BKK... DKK..., se présentant comme agissant tant en son nom personnel qu'au nom de Mme EKK... DKK..., M. FKK... DKK... et de M. CKK... GKK..., a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à les indemniser du préjudice subi, en tant qu'ayants droit de Mme HKK... IKK..., du fait de l'occupation irrégulière du lot n° 9 de la terre Mumuvai par la commune.

Par un jugement avant dire droit n° 1600355 du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice à hauteur de la valeur vénale du lot n° 9 de la terre Mumuvai et a sursis à statuer sur le surplus des conclusions jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se prononce sur la quotité de propriété revenant à M. DKK... et à ses frère, sœur et neveu sur ce lot.

Par un jugement n° RG 17/00083 du 27 août 2020, le tribunal foncier de la Polynésie française s'est prononcé sur cette question.

Par un jugement n° 1600355 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la commune de Faa'a à verser la somme de 1 400 000 francs CFP à M. DKK... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n°s 20PA04101, 21PA00340 du 11 avril 2022, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par M. DKK... et autres et par la commune de Faa'a, a annulé les jugements du tribunal administratif et rejeté la demande indemnitaire.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 août et 8 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. DKK... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Faa'a la somme de 4 000 euros à verser à Me Soltner, son avocat, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Soltner, avocat de M. DKK... ;

Considérant ce qui suit :

1. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.

2. M. BKK... DKK... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à lui verser, ainsi qu'à son frère, sa sœur et son neveu, agissant en qualité d'ayants droit de sa mère, copropriétaire indivisaire du lot n° 9 de la terre Mumuvai située à Faa'a (Polynésie française), une somme de 68 743 600 francs CFP en réparation du préjudice subi du fait de l'occupation irrégulière de la parcelle par la commune qui l'a utilisée comme site de décharge et d'enfouissement de déchets. M. DKK... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 avril 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé les jugements par lesquels le tribunal administratif de la Polynésie française les 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020 avait partiellement accueilli sa demande, a rejeté les conclusions indemnitaires portées devant la juridiction administrative.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté comme irrecevable la demande présentée par M. DKK... au nom d'autres membres de l'indivision :

3. Aux termes de l'article 815-2 du code civil : " Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence. " Aux termes de l'article 815-3 du même code : " Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité : 1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que, par un jugement du 9 juillet 2003, le tribunal civil de première instance de Papeete a ordonné le partage de certaines terres situées sur la commune de Faa'a et a attribué le lot n° 9, en indivision, aux descendants de Mme KK..., décédée en 1918, parmi lesquels sa petite-fille Mme HKK... JKK... IKK..., également décédée, disposant d'un septième des droits indivis. M. BKK... DKK..., fils de Mme HKK... JKK... IKK..., disposant à lui seul d'un vingt-huitième des droits indivis, a engagé, ainsi qu'il a été dit au point 2, une action indemnitaire contre la commune en son nom et au nom de son frère, sa sœur et son neveu, autres ayants droit de Mme HKK... JKK... IKK..., pour obtenir la condamnation de la commune de Faa'a à leur verser une somme correspondant à leur part du préjudice subi du fait de l'occupation irrégulière de la parcelle.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, faisant application de l'article 815-3 du code civil, a retenu, pour juger irrecevable l'action indemnitaire présentée par M. DKK... au nom de ses frère, sœur et neveu, que cette action ne pouvait être regardée comme régulièrement formée au nom de l'indivision KK..., dès lors que M. DKK... ne disposait pas des deux-tiers des droits indivis dans cette indivision. En statuant ainsi, alors qu'il lui revenait, si elle faisait application de l'article 815-3 du code civil à l'espèce, d'apprécier le respect de la condition posée par cet article au sein de l'indivision HKK... IKK..., branche de l'indivision possédant le lot n° 9 de la terre Mumuvai, et non au sein de cette dernière indivision, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Son arrêt doit, dans cette mesure, être annulé.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté la demande présentée par M. DKK... en son nom propre :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ".

7. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi.

8. Pour l'application de ces règles, la créance du propriétaire d'un bien immobilier relative à l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de l'occupation irrégulière, sans extinction du droit de propriété, de ce bien par une personne publique présente un caractère continu et évolutif et doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.

9. En jugeant que les préjudices subis par M. DKK... présentaient un caractère définitif, alors que ce dernier demandait à être indemnisé de la privation du droit de jouissance de la parcelle du fait de son occupation irrégulière par la commune et qu'un tel préjudice présente un caractère continu et évolutif, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce. Son arrêt doit, par suite, être annulé dans cette mesure.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. DKK... est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la commune de Faa'a la somme de 3 000 euros à verser à Me Soltner au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 11 avril 2022 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : La commune de Faa'a versera à Me Soltner, avocat de M. DKK..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. BKK... DKK... et à la commune de Faa'a.

Délibéré à l'issue de la séance 25 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 6 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466523
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - DETTES DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES - PRESCRIPTION QUADRIENNALE - RÉGIME DE LA LOI DU 31 DÉCEMBRE 1968 - POINT DE DÉPART DU DÉLAI - LITIGE RELATIF À LA CRÉANCE RELATIVE À L’INDEMNISATION DES PRÉJUDICES RÉSULTANT DE L’OCCUPATION IRRÉGULIÈRE - SANS EXTINCTION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ [RJ1] - D’UN BIEN IMMOBILIER PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE – CONSÉQUENCE DU CARACTÈRE CONTINU ET ÉVOLUTIF DU PRÉJUDICE [RJ2] – CRÉANCE DEVANT ÊTRE RATTACHÉE À CHACUNE DES ANNÉES AU COURS DESQUELLES CES PRÉJUDICES ONT ÉTÉ SUBIS [RJ3].

18-04-02-04 Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. ...Pour l’application de ces règles, la créance du propriétaire d’un bien immobilier relative à l’indemnisation des préjudices résultant pour lui de l’occupation irrégulière, sans extinction du droit de propriété, de ce bien par une personne publique présente un caractère continu et évolutif et doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - PRÉJUDICE RÉSULTANT DE L’OCCUPATION IRRÉGULIÈRE D’UN BIEN IMMOBILIER PAR UNE PERSONNE PUBLIQUE [RJ1] – 1) NATURE – PRÉJUDICE CONTINU ET ÉVOLUTIF [RJ2] – 2) CONSÉQUENCE – RATTACHEMENT DE LA CRÉANCE À CHACUNE DES ANNÉES AU COURS DESQUELLES LE PRÉJUDICE A ÉTÉ SUBI [RJ3].

60-02 Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. ...1) Pour l’application de ces règles, la créance du propriétaire d’un bien immobilier relative à l’indemnisation des préjudices résultant pour lui de l’occupation irrégulière, sans extinction du droit de propriété, de ce bien par une personne publique présente un caractère continu et évolutif et 2) doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.


Références :

[RJ1]

Cf., sur la compétence du juge administratif en l’absence d’extinction du droit de propriété, TC, 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ commune de Saint-Palais-sur-Mer, n° 3931, p. 376....

[RJ2]

Comp., Cass. civ. 3ème, 5 novembre 2007, n° 06-14404....

[RJ3]

Cf., sur le point de départ de la prescription quadriennale en cas de préjudice évolutif, CE, Section, 3 décembre 2018, M. Bermond, n° 412010, p. 438.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 oct. 2023, n° 466523
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:466523.20231006
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