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06/10/2023 | FRANCE | N°465781

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 06 octobre 2023, 465781


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée CGI France a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 31 juillet 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre cent vingt et une amendes d'un montant unitaire de 330 euros, représentant un montant total de 39 930 euros, et, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant. Par un jugement n° 1704449 du 12 novembre 2019, le tribunal administratif de Nice a fait d

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Par un arrêt n° 20MA00087 du 13 mai 2022, la...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée CGI France a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 31 juillet 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre cent vingt et une amendes d'un montant unitaire de 330 euros, représentant un montant total de 39 930 euros, et, à titre subsidiaire, d'en réduire le montant. Par un jugement n° 1704449 du 12 novembre 2019, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande.

Par un arrêt n° 20MA00087 du 13 mai 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par la société CGI France.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société CGI France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société CGI France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle effectué par l'inspection du travail dans les locaux de la société CGI France situés à Valbonne, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a, le 31 juillet 2017, infligé à cette société une amende administrative d'un montant de 39 930 euros, sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail, sanctionnant l'absence de décompte de la durée de travail conforme aux prescriptions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. Le tribunal administratif de Nice a, par un jugement du 12 novembre 2019, annulé cette décision. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 mai 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté sa demande d'annulation ou de minoration de la sanction prononcée.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. " En vertu de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. " Aux termes de l'article L. 8115-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ".

3. Il résulte des dispositions citées au point précédent que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible.

4. En premier lieu, aux termes de l'article D. 3171-9 du code du travail, " Les dispositions de l'article D. 3171-8 ne sont pas applicables : / 1° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de travail prévoyant des conventions de forfait en heures lorsque ces conventions ou accords fixent les modalités de contrôle de la durée du travail ; ". L'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail conclu le 30 juin 2008, applicable à l'établissement de Valbonne, prévoit trois modalités de travail pour les salariés à temps complet, parmi lesquelles la modalité " réalisation de mission " dont les bénéficiaires sont régis par une convention de forfait en heures. L'article 3.3 de cet accord prévoit que les salariés relevant de cette modalité sont régis par l'article 3 du chapitre 2 de l'accord de réduction du temps de travail de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil. L'article 3.4 de ce même accord dispose que " conformément aux dispositions du chapitre 7 de l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail de la convention collective SYNTEC du 22 juin 1999, le dispositif permettant d'assurer la mesure du temps de travail effectif est constitué d'un document auto-déclaratif mensuel établi à la journée, renseigné par le salarié et visé par sa hiérarchie ". Le chapitre VII de cette convention, relatif à la mesure du temps de travail effectif, prévoit qu'" en cas d'horaire individualisé et de document déclaratif, la récapitulation hebdomadaire est effectuée conformément à l'article D. 212-21 du code du travail, le contrôle hiérarchique restant en général mensuel. "

5. En jugeant que les dispositions de ce chapitre VII de l'accord du 22 juin 1999, lesquelles ne font que se référer aux dispositions de l'article D. 212-21 du code du travail, qui figurent désormais aux articles D. 3171-8 et D. 3171-9 de ce même code, ne déterminent pas de modalités de contrôle de la durée du travail distinctes de celles prévues à ces mêmes articles, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu'ainsi que l'a relevé la cour, les salariés de la société CGI France devaient déclarer, à la date du contrôle de l'inspection du travail, les heures travaillées chaque semaine en utilisant le logiciel " PSA Time ". A ce titre, jusqu'en mars 2017, un formulaire devait être rempli chaque semaine, avant le jeudi midi, portant sur les heures travaillées entre le dimanche et le samedi de la semaine en cours, les heures effectuées entre le jeudi et le samedi devant être déclarées de manière anticipée, le salarié ayant ensuite la possibilité de rectifier la durée du travail initialement déclarée. À compter du 6 mars 2017, les heures travaillées entre le dimanche et le samedi de la semaine en cours devaient être déclarées avant le vendredi à 17h. Quand un salarié souhaitait déclarer un nombre d'heures supérieur à la durée quotidienne de travail prévue à son contrat, un message s'affichait indiquant : " Votre déclaration dépasse le nombre d'heures attendu. Toute heure supplémentaire doit avoir été validée au préalable et ensuite être renseignée avec la sous-catégorie adéquate pour être payée. Merci de corriger le cas échéant ". Par ailleurs, l'inspection du travail a constaté, à l'occasion de plusieurs visites dans les locaux de l'établissement, que le taux de déclaration d'heures supplémentaires par les salariés employés dans l'établissement était quasiment nul.

7. En jugeant, au regard des faits ainsi relevés, que les modalités de fonctionnement de ce logiciel n'incitaient pas à la déclaration des heures supplémentaires effectuées et donc à celle de la durée effective de travail du salarié et en déduisant que les modalités de décompte de la durée du travail mises en œuvre par la société CGI France dans son établissement de Valbonne ne permettaient pas en l'espèce de les regarder comme assurant une " récapitulation " du nombre d'heures de travail telle qu'exigée par les dispositions de l'article D. 3171-8 du code du travail, faute de garantir, par un système objectif, fiable et accessible, que les éventuelles discordances entre la déclaration anticipée imposée à chaque salarié et le nombre d'heures effectivement accomplies soient assurées d'être corrigées, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas dénaturé les faits de l'espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis, n'a pas commis d'erreur de droit.

8. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 8115-5 du code du travail : " (...) l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende (...) ". Le premier alinéa de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que le montant maximal de l'amende prononcée est de 2 000 euros et qu'il peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement.

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'ensemble des cent vingt et un salariés employés selon la modalité " standard " ou " réalisation de mission " au moment de la décision en litige se trouvaient dans la même situation au regard de la déclaration de la durée de leur travail hebdomadaire et étaient donc également concernés par le manquement reproché à la société CGI France. Par suite, en jugeant que la décision en litige n'avait pas à comporter la liste des salariés concernés par le manquement ni à procéder à une analyse individuelle de leur situation, dès lors que le manquement invoqué concernait nécessairement l'ensemble des salariés employés selon ces modalités, lesquels étaient identifiés avec suffisamment de certitude en étant désignés par la modalité d'organisation du temps de travail à laquelle ils étaient soumis, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 8115-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. " En vertu de l'article L. 8115-4 du même code dans sa rédaction applicable au litige, " pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. "

11. Il ressort de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que les modalités de décompte du temps de travail de ses salariés mis en œuvre par la société CGI France ne garantissaient pas, par un système objectif, fiable et accessible, que les éventuelles discordances entre la déclaration anticipée imposée à chaque salarié et le nombre d'heures effectivement accomplies soient assurées d'être corrigées. Au regard de la gravité du manquement et du nombre de salariés concernés, ainsi que des autres conditions prévues à l'article L. 8115 4 du code du travail, la cour a pu légalement estimer que les actes commis par la société justifiaient la sanction prononcée, laquelle n'est pas hors de proportion avec les manquements constatés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société CGI France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société CGI France est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée CGI France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 6 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 465781
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 oct. 2023, n° 465781
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:465781.20231006
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