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04/10/2023 | FRANCE | N°467121

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 04 octobre 2023, 467121


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 février 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire associé au sein de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique " B... Notaires ".

Par un jugement n° 2107098/6-3 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de

la demande de M. B..., dans un délai de trois mois à compter de la notification...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 février 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire associé au sein de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique " B... Notaires ".

Par un jugement n° 2107098/6-3 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de la demande de M. B..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt nos 22PA00379 et 22PA00401 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur la demande de sursis à exécution et l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice, a annulé ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 août 2022 et le 18 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 93-78 du 13 janvier 1993 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., nommé notaire en résidence à Paris par un arrêté du garde des sceaux du 28 octobre 1999, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 février 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'accepter sa démission en qualité de notaire titulaire d'un office et a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire associé de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique " B... Notaires ", constituée afin de remplacer l'intéressé dans son office. Par un jugement du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer la demande de M. B.... Par un arrêt du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, sur appel du garde des sceaux, ministre de la justice, et rejeté la demande de M. B.... M. B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le pourvoi en cassation :

2. Lorsque le juge d'appel, saisi par le défendeur de première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, il lui appartient, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés par le requérant en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à l'exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel.

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, après avoir censuré le motif par lequel le tribunal administratif de Paris avait fait droit au moyen soulevé par M. B..., tiré de l'erreur d'appréciation entachant le refus de nomination qui lui avait été opposé, a estimé qu'il y avait lieu de faire droit à l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice tendant à l'annulation de ce jugement et au rejet du recours de M. B.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que, devant le tribunal administratif, M. B... avait soulevé d'autres moyens à l'appui de son recours, tirés de l'insuffisante motivation de la décision attaquée, de l'atteinte excessive à la liberté d'entreprendre, de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée et du principe non bis in idem. Par suite, en statuant sans se prononcer sur ces moyens, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. En application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond.

Sur le règlement au fond :

6. Aux termes de l'article 3 du décret du 13 janvier 1993 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé : " II. - Lorsque l'un au moins des associés est titulaire d'un office, la société d'exercice libéral peut être nommée dans un ou plusieurs offices relevant des catégories suivantes : / 1° L'office dont un associé est titulaire, en remplacement de celui-ci (...) / III. - Une personne physique remplissant les conditions requises pour exercer la profession peut également constituer une société d'exercice libéral à associé unique nommée titulaire d'un office existant ou d'un office créé ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : / (...) 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ; / 3° N'avoir pas été l'auteur d'agissements de même nature ayant donné lieu à mise à la retraite d'office ou à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation (...) ".

7. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 6 que lorsqu'une personne physique entend constituer une société d'exercice libéral à associé unique pour être titulaire d'un office notarial, y compris d'un office existant, elle doit remplir les conditions requises pour exercer la profession de notaire, notamment celle de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité. Lorsqu'il vérifie le respect de cette condition, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté, ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

8. D'une part, les dispositions du 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 étaient applicables à la demande de nomination de M. B... en qualité de notaire associé de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique " B... Notaires ", alors même qu'il exerçait auparavant la profession de notaire et était titulaire de l'office que devait reprendre cette société.

9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur les manquements de M. B... à ses obligations professionnelles, constatés en 2011, relatifs à la conclusion de conventions de séquestre amiable avec la République de Côte-d'Ivoire pour trois comptes séquestres, à partir desquels M. B... a perçu une rémunération d'un montant total de 300 262 euros alors qu'il n'était pas fondé à accepter ces sommes reposant sur des actes ne relevant pas de son office public. La circonstance que ces faits sont anciens, isolés et que le comportement de M. B... dans l'exercice de son office n'a donné lieu, postérieurement à ces faits et à la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercice pendant deux ans qui lui a été infligée par jugement du 6 juin 2012 du tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière disciplinaire, à aucun manquement à ses obligations, ne fait pas obstacle à ce que le ministre de la justice puisse estimer que la condition posée par les dispositions de 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 n'est pas remplie. Or, il est constant que les agissements commis par M. B..., qui constituent des faits contraires à l'honneur et à la probité, sont, compte tenu de leur nature et de leur particulière gravité, et alors même qu'ils sont relativement anciens et qu'ils n'auraient donné lieu à aucune sanction pénale, de nature à justifier le refus de sa nomination au sein de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique " B... Notaires ". Par suite, c'est à tort que tribunal administratif a estimé que le garde des sceaux, ministre de la justice avait entaché la décision du 8 février 2021 d'une erreur d'appréciation.

10. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

11. En premier lieu, l'arrêté du 8 février 2021 mentionne les circonstances de fait et de droit sur lesquelles il se fonde. Le moyen tiré d'une insuffisance de motivation ne peut dès lors qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, si M. B... soutient que les dispositions du 2° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ne sauraient être opposées à des notaires déjà installés dont la demande tend uniquement à la modification de la forme juridique de leur activité, ces dispositions, qui sont applicables à toutes les demandes de nomination en qualité de notaire, poursuivent l'objectif d'intérêt général de s'assurer de l'honorabilité des membres de cette profession exerçant cette activité réglementée. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'elles porteraient une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

13. En troisième et dernier lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, refusant la nomination d'un notaire n'a pas le caractère d'une sanction disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait le principe non bis in idem et l'autorité de la chose jugée par le jugement du 6 juin 2012 du tribunal de grande instance de Paris ayant prononcé une sanction disciplinaire à l'encontre de M. B... ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 8 février 2021. Le jugement du 26 novembre 2021 doit dès lors être annulé. Les conclusions du ministre à fins de sursis à exécution du jugement du 26 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris sont par suite devenues sans objet et il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 30 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 26 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête du garde des sceaux, ministre de la justice.

Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 4 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467121
Date de la décision : 04/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

55-02 PROFESSIONS, CHARGES ET OFFICES. - ACCÈS AUX PROFESSIONS. - NOTAIRES – PERSONNE PHYSIQUE ENTENDANT CONSTITUER UNE SEL NOMMÉE TITULAIRE D’UN OFFICE NOTARIAL – CONDITION TENANT À L’ABSENCE DE COMMISSION DE FAITS CONTRAIRES À L’HONNEUR ET LA PROBITÉ – 1) PORTÉE [RJ1] – 2) CHAMP D’APPLICATION – INCLUSION – DEMANDE FORMULÉE PAR UN NOTAIRE TITULAIRE DE L’OFFICE QUE DEVAIT REPRENDRE CETTE SOCIÉTÉ – 3) ILLUSTRATION.

55-02 1) Il résulte de la combinaison des II et III de l’article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 et des 2° et 3° de l’article 3 du décret n° 93-78 du 13 janvier 1993 que lorsqu’une personne physique entend constituer une société d’exercice libéral (SEL) à associé unique pour être titulaire d’un office notarial, y compris d’un office existant, elle doit remplir les conditions requises pour exercer la profession de notaire, notamment celle de n’avoir pas été l’auteur de faits contraires à l’honneur et à la probité. Lorsqu'il vérifie le respect de cette condition, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté, ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination....2) Le 2° de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973 est applicable à la demande de nomination d’un notaire associé d’une SEL alors même qu’il exerçait auparavant la profession de notaire et était titulaire de l’office que devait reprendre cette société....3) Notaire ayant perçu une rémunération d’un montant de plusieurs centaines de milliers d’euros pour la conclusion de conventions de séquestre amiable alors qu’il n’était pas fondé à accepter ces sommes reposant sur des actes ne relevant pas de son office public. Notaire demandant au garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer en qualité de notaire associé d’une SEL à responsabilité limitée à associé unique constituée afin de le remplacer dans son office. Litige portant sur le refus qui lui a été opposé par le ministre....La circonstance que ces faits sont anciens, isolés et que le comportement de ce notaire dans l’exercice de son office n’a donné lieu, postérieurement à ces faits et à la sanction disciplinaire d’interdiction d’exercice pendant deux ans qui lui a été infligée par un jugement d’un tribunal de grande instance, à aucun manquement à ses obligations, ne fait pas obstacle à ce que le ministre de la justice puisse estimer que la condition posée par le 2° de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973 n’est pas remplie. Or, il est constant que les agissements commis par ce notaire, qui constituent des faits contraires à l’honneur et à la probité, sont, compte tenu de leur nature et de leur particulière gravité, et alors même qu’ils sont relativement anciens et qu’ils n’auraient donné lieu à aucune sanction pénale, de nature à justifier le refus de sa nomination au sein de la société d’exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique.


Références :

[RJ1]

Rappr., pour la nomination d’un notaire, CE, 25 juin 2018, Ministère de la justice c/ Bichel, n° 412970, T. pp. 510-519-616-880.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2023, n° 467121
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467121.20231004
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