Vu la procédure suivante :
Les sociétés PPG AC France et Cromology services, à l'appui de leurs demandes présentées devant la cour administrative d'appel de Versailles tendant à l'annulation des jugements n° 1909639 et n° 1909636 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ayant ramené les sanctions prononcées à leur encontre, à raison de manquements aux obligations découlant de la responsabilité élargie de producteur de déchets, par décisions du 21 juin 2019 du ministre de la transition écologique et solidaire, aux montants de 507 801,50 euros pour la première, et de 281 347 euros pour la seconde, ont produit chacune un mémoire, tous deux enregistrés le 16 septembre 2022 au greffe de cette cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elles soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 22VE00793 - 22VE00794 du 30 juin 2023, enregistrée le 7 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Versailles, avant qu'il soit statué sur les requêtes d'appel des sociétés PPG AC France et Cromology services, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement, dans sa version antérieure à la loi n° 2020-105 du 10 février 2020.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par deux mémoires, enregistrés au secrétariat de la section du contentieux les 31 juillet et 15 septembre 2023, produits par chacune des sociétés PPG AC France et Cromology services, ces dernières soutiennent que les dispositions de l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement, dans leur rédaction issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, et méconnaissent les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe d'égalité devant la loi répressive garanti par l'article 6 de la même Déclaration et qu'elles sont entachées d'une incompétence négative du législateur affectant l'égalité devant la loi et les droits de la défense, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
Par un mémoire, enregistré le 19 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société PPG AC France et de la société Cromology services ;
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 124 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : " En cas d'inobservation d'une prescription définie par la présente section ou les textes réglementaires pris pour son application, le ministre chargé de l'environnement avise la personne intéressée des faits qui lui sont reprochés et de la sanction qu'elle encourt. La personne intéressée est mise à même de présenter ses observations, écrites ou orales, dans le délai d'un mois, le cas échéant, assistée d'un conseil ou représentée par un mandataire de son choix. / Au terme de cette procédure, le ministre chargé de l'environnement peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours, prononcer une amende administrative dont le montant tient compte de la gravité des manquements constatés et des avantages qui en sont retirés. Ce montant ne peut excéder, par unité ou par tonne de produit concerné, 1 500 € pour une personne physique et 7 500 € pour une personne morale. La décision mentionne le délai et les modalités de paiement de l'amende. / Les sanctions administratives mentionnées au présent article sont recouvrées comme des créances étrangères à l'impôt et au domaine ".
3. Ces dispositions prévoient les modalités selon lesquelles est déterminée l'amende administrative qui peut être prononcée à l'encontre des producteurs, importateurs et distributeurs de produits relevant de la responsabilité élargie du producteur en raison, notamment, de l'inobservation des obligations qui leur sont applicables en matière de gestion de déchets. A ce titre, l'article L. 541-10 du code de l'environnement prévoit que ces personnes peuvent être soumises à une obligation de pourvoir ou de contribuer à la gestion de déchets, soit en mettant en place collectivement des éco-organismes agréés, dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation en leur versant en contrepartie une contribution financière, soit en mettant en place des systèmes individuels de collecte et de traitement des déchets, en l'absence d'éco-organisme agréé.
4. En premier lieu, les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impliquent qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Les dispositions de l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement citées au point 2 prévoient que le montant de l'amende administrative doit tenir compte de la gravité des manquements constatés et des avantages qui en sont retirés. En prévoyant, en outre, que ce montant ne peut excéder un montant déterminé, par unité ou par tonne de produit concerné, pour les personnes physiques et pour les personnes morales, ces dispositions déterminent un plafond applicable à l'amende. Dans la fixation du montant de celle-ci, il est loisible à l'autorité compétente de tenir compte, après mise en œuvre d'une procédure contradictoire et sous le contrôle du juge administratif, des circonstances dans lesquelles les manquements sont intervenus, et notamment des volumes de déchets ayant fait l'objet du manquement constaté, lesquels sont en lien avec la gravité du manquement, les avantages qu'a pu en retirer le producteur de déchets qui ne respecte pas ses obligations en matière de gestion des déchets, et les conséquences défavorables qui ont pu en résulter pour les collectivités territoriales chargées de la collecte des déchets. Eu égard à l'intérêt public qui s'attache à la prévention des atteintes à l'environnement et à la limitation de leurs conséquences, ainsi qu'à la contribution à la réparation des dommages causés à l'environnement par leur auteur, le grief tiré de ce que ces dispositions auraient méconnu le principe de proportionnalité et d'individualisation des peines n'a pas de caractère sérieux.
5. En deuxième lieu, l'amende administrative que le ministre chargé de l'environnement peut prononcer à l'encontre d'une personne relevant de la responsabilité élargie du producteur n'a pas le même objet que celle prévue par le 4° de l'article L. 171-8 du même code, qui permet au préfet de sanctionner la non-exécution d'une injonction de satisfaire à ses obligations légales prononcée à l'égard de l'exploitant d'une installation ou d'une activité. Il suit de là que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement et l'article L. 171-8 du même code ne prévoient pas deux amendes administratives pouvant être infligées au regard des mêmes manquements, de sorte que le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe d'égalité devant la loi répressive garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'a pas de caractère sérieux.
6. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, les dispositions de l'article L. 541-10-11 du code de l'environnement permettent à l'autorité administrative compétente de prendre en compte, après mise en œuvre d'une procédure contradictoire et sous le contrôle du juge, les éléments pertinents pour déterminer le montant de l'amende administrative qu'elles prévoient, en veillant à ce que ce montant ne soit pas disproportionné par rapport aux manquements imputés aux personnes responsables. Le grief tiré de ce que ces dispositions seraient entachées, faute de prévoir expressément la prise en compte du comportement des personnes concernées, d'une incompétence négative qui affecterait le principe de légalité des peines, l'égalité devant la loi et les droits de la défense ou méconnaîtraient l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi n'a pas de caractère sérieux.
7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés PPG AC France et Cromology services, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société PPG AC France, à la société Cromology services, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Versailles.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 septembre 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 29 septembre 2023.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Laïla Kouas