Vu la procédure suivante :
La société Suviga a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la réduction des cotisations de taxe sur les surfaces commerciales qu'elle exploite à Montmorillon (Vienne) auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 à 2019. Par un jugement n° 2100086 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Poitiers a réduit les cotisations de taxe en litige et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 janvier et 31 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société Suviga.
Il soutient que le tribunal :
- a inexactement qualifié les faits et commis une erreur de droit en jugeant que les quatre locaux commerciaux exploités par la société relevaient de quatre établissements distincts pour l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales et non d'un seul et même établissement ;
- a inexactement qualifié les faits et commis une erreur de droit en jugeant que le tarif majoré prévu au dixième alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 n'était pas applicable, au motif que l'hypermarché et la station-service ne constituaient pas un même ensemble commercial.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2023, la société Suviga conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le pourvoi est irrecevable et, à titre subsidiaire, que ni les moyens ni la demande reconventionnelle présentée par le ministre ne sont fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;
- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Suviga ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Suviga exploite à Montmorillon (Vienne), d'une part, sous l'enseigne " E.°Leclerc ", un hypermarché, une station-service et un commerce de vins au détail, et d'autre part, sous l'enseigne " Norauto ", un centre d'entretien automobile. Pour l'ensemble de ces locaux, elle a été assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales au titre des années 2017 à 2019.
Le 27 décembre 2019, elle a déposé des déclarations rectificatives au motif que les quatre locaux devaient être considérés comme des établissements distincts pour le calcul de la taxe et que, par suite, seul l'hypermarché devait y être assujetti. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre le jugement du
8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a réduit les cotisations de la taxe sur les surfaces commerciales en litige à concurrence des conséquences financières résultant du seul assujettissement de l'hypermarché, sans que soit appliqué le tarif majoré au titre de la vente de carburants.
2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. (...) Le montant de la taxe calculé selon le présent article et avant application de la modulation prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l'article 77 de la
loi 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 est majoré de 50'% pour les établissements dont la surface de vente excède 2'500 mètres carrés (...) ".
3. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe sur les surfaces commerciales : " Pour l'application de la loi du 13 juillet 1972 (...), l'établissement s'entend de l'unité locale où s'exerce tout ou partie de l'activité d'une entreprise. Lorsque plusieurs locaux d'une même entreprise sont groupés en un même lieu comportant une adresse unique ou sont assujettis à une même taxe professionnelle, ils constituent un seul établissement (...) ". Constituent une unité locale au sens de ces dispositions les locaux d'une même entreprise formant un ensemble géographiquement cohérent pour l'exercice de tout ou partie de l'activité de cette entreprise, notamment ceux comportant une adresse unique ou assujettis à une même cotisation foncière des entreprises.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'hypermarché, la station-service, le commerce de vins au détail et le centre d'entretien automobile exploités par la société Suviga sont situés au sein de la même zone commerciale sur un ensemble de parcelles contiguës ou voisines formant un ensemble intégré d'établissements et doivent être regardés comme formant un ensemble géographiquement cohérent pour l'exercice de l'activité de l'entreprise. Dès lors, en jugeant que ces locaux ne constituaient pas une seule unité locale et, par suite, un seul établissement au sens de la loi du 13 juillet 1972, aux motifs qu'ils étaient assujettis séparément à la cotisation foncière des entreprises et que les différents sites commerciaux n'étaient pas aménagés pour que leurs clientèles respectives puissent librement circuler de l'un à l'autre sans emprunter la voie publique, le tribunal a inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation, ainsi que le soutient le ministre par un moyen qui, contrairement à ce que fait valoir en défense la société Suviga, n'est pas nouveau en cassation.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que le ministre est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la société Suviga soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 8 novembre 2022 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Poitiers.
Article 3 : Les conclusions de la société Suviga présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Suviga.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 septembre 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 29 septembre 2023.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Katia Nunes
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Suviga en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :