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29/09/2023 | FRANCE | N°464677

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 29 septembre 2023, 464677


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin et 5 septembre 2022 et le 17 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union France Alzheimer, l'Association France parkinson, l'APF France handicap et la société française de neurologie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 mars 2022 fixant la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements ou restrictions pour l'obtention, le renouvellem

ent ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivra...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin et 5 septembre 2022 et le 17 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union France Alzheimer, l'Association France parkinson, l'APF France handicap et la société française de neurologie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 mars 2022 fixant la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements ou restrictions pour l'obtention, le renouvellement ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance du permis de conduire de durée de validité limitée ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive n° 2006/126/CE du 20 décembre 2006 ;

- la charte sociale européenne révisée, signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ;

- la convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New-York le 30 mars 2007 ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'Union France Alzheimer, de l'Association France Parkinson, de la société APF France Handicap et de la société française de neurologie.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article R. 221-10 du code de la route : " I. - Les catégories A1, A2, A, B1, B et BE du permis de conduire sont délivrées sans visite médicale préalable sauf dans les cas où cette visite est rendue obligatoire par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière pris en application de l'article R. 226-1./ II.- Les catégories A1, A2, A, B1 et B délivrées pour la conduite des véhicules spécialement aménagés pour tenir compte du handicap du conducteur et les catégories C1, C1E, C, CE, D1, D1E, D et DE ne peuvent être obtenues ou renouvelées qu'à la suite d'un avis médical favorable (...) ". Aux termes de l'article R. 221-11 du même code : " I. - Lorsqu'une visite médicale est obligatoire en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire, celui-ci peut être:/ 1° Dans les cas prévus au I de l'article R. 221-10, accordé sans limitation de durée ou délivré ou prorogé selon une périodicité qui ne peut excéder cinq ans ;/ 2° Dans les cas prévus aux II, III et IV de l'article R. 221-10, délivré ou prorogé selon la périodicité maximale suivante : cinq ans pour les conducteurs de moins de soixante ans, deux ans à partir de l'âge de soixante ans et un an à partir de l'âge de soixante-seize ans. Toutefois, pour les conducteurs titulaires des catégories D1, D, D1E ou DE du permis de conduire, la périodicité maximale est d'un an à partir de l'âge de soixante ans (...) ". Aux termes de l'article R. 221-12 : " La validité d'une ou plusieurs catégories du permis peut être limitée dans sa durée, si lors de la délivrance ou de son renouvellement, il est constaté que le candidat est atteint d'une affection compatible avec l'obtention du permis de conduire mais susceptible de s'aggraver ".

2. D'autre part, l'article R. 226-1 du code de la route dispose que : " le contrôle médical de l'aptitude à la conduite consiste en une évaluation de l'aptitude physique, cognitive et sensorielle du candidat au permis ou du titulaire du permis:/ (...) 2° Atteint d'une affection médicale incompatible avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée, figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité routière et de la santé (...) ". Aux termes de l'article R. 226-2 du même code : " " Ce contrôle est effectué par un médecin agréé par le préfet, consultant hors commission médicale, ou des médecins siégeant dans une commission médicale primaire départementale ou interdépartementale, mentionnés à l'article R. 221-11. (...) Lors de ce contrôle médical, le médecin agréé ou la commission médicale peut prescrire tout examen complémentaire. Il peut également solliciter, dans le respect du secret médical, l'avis de professionnels de santé qualifiés dans des domaines particuliers. ".

3. Les associations requérantes doivent être regardées, eu égard à la teneur de leurs écritures, comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des points 4.4.2 et 4.4.5 de chacune des annexes I et II de l'arrêté du 28 mars 2022 fixant la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements ou restrictions pour l'obtention, le renouvellement ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée, pris en application de ces dispositions, qui fixent les règles d'incompatibilité temporaire ou définitive avec la conduite en ce qui concerne respectivement les troubles cognitifs des pathologies neuroévolutives type maladie d'Alzheimer et maladies apparentées et les autres troubles neurologiques liés à une atteinte du système nerveux central ou périphérique.

Sur la méconnaissance des stipulations du paragraphe 3 de l'article 4 et de l'article 20 de la convention relative aux droits des personnes handicapées :

4. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 4 de la convention relative aux droits des personnes handicapées: " Dans l'élaboration et la mise en œuvre des lois et des politiques adoptées aux fins de l'application de la présente Convention, ainsi que dans l'adoption de toute décision sur des questions relatives aux personnes handicapées, les Etats parties consultent étroitement et font activement participer ces personnes, y compris les enfants handicapés, par l'intermédiaire des organisations qui les représentent ". L'article 20 de la même convention fait obligation aux Etats parties de prendre " des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en:/ a) Facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable ; (...) ". Ces stipulations, qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats. Dès lors, leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée à l'encontre de l'arrêté attaqué.

Sur la méconnaissance des stipulations de l'article 15 de la charte sociale européenne révisée :

5. Les stipulations du paragraphe 3 de l'article 15 de la charte sociale européenne révisée, par lesquelles les Etats parties s'engagent à favoriser la " pleine intégration " des personnes handicapées et leur " participation à la vie sociale, notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité et à leur permettre d'accéder aux transports, au logement, aux activités culturelles et aux loisirs ", qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats. Par suite, les associations requérantes ne peuvent utilement s'en prévaloir.

Sur la méconnaissance des objectifs de la directive n° 2006/126/CE susvisée et de l'article R. 226-1 du code de la route :

6. D'une part, l'article 7 de la directive n° 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire prévoit que celui-ci ne peut être délivré ou renouvelé que si le demandeur respecte, s'agissant de la délivrance et du renouvellement, des normes médicales ou des normes minimales concernant l'aptitude physique et mentale à la conduite, précisées par les annexes II et III de la directive. Le point 11.1 de l'annexe III consacrée aux " normes minimales concernant l'aptitude physique et mentale à la conduite d'un véhicule à moteur " indique que " Le permis de conduire ne doit être ni délivré ni renouvelé à tout candidat ou conducteur atteint d'une affection neurologique grave, sauf si la demande est appuyée par un avis médical autorisé ". Le point 5 de la même annexe précise que les Etats membres peuvent exiger, " lors de la délivrance ou de tout renouvellement ultérieur d'un permis de conduire, des normes plus sévères que celles mentionnées " dans l'annexe. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, éclairées par le considérant 8, que la directive fixe des normes minimales concernant l'aptitude physique et mentale à la conduite de certains véhicules. Par suite, en ne prévoyant pas qu'un avis médical permette de faire obstacle aux incompatibilités qu'elles définissent, lesquelles s'appliquent uniquement après un examen de l'aptitude effectué par un médecin agréé par le préfet ou des médecins siégeant dans une commission médicale primaire départementale ou interdépartementale, en application de l'article R. 226-2 du code de la route, les dispositions attaquées des annexes de l'arrêté du 28 mars 2022 ne sont pas susceptibles de méconnaître les objectifs de la directive.

7. D'autre part, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les incompatibilités définies par les dispositions de l'arrêté qu'elles attaquent méconnaissent les conditions dans lesquelles l'article R. 226-1 du code de la route prévoit que le médecin est tenu d'évaluer l'aptitude à la conduite, dès lors que cet article envisage lui-même la situation du conducteur atteint d'une affection médicale incompatible avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire, figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité routière et de la santé. Les associations requérantes ne sont pas non plus fondées à soutenir que les mêmes dispositions de l'arrêté méconnaissent sur ce point les objectifs de la directive mentionnée au point précédent, qui ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire précise, pour une pathologie donnée, en fonction de son stade d'évolution, les conséquences qui doivent être tirées du diagnostic effectué par le médecin agréé ou par la commission médicale sur l'aptitude de la personne concernée à la conduite d'un véhicule terrestre à moteur, selon la catégorie de permis de conduire requise.

Sur les autres moyens :

8. En premier lieu, l'arrêté attaqué prévoit, lors de la consultation du médecin agréé, une règle d'incompatibilité temporaire des troubles en cause avec la conduite tant qu'un doute sur la nature du trouble subsiste (point 4.4.2) ou jusqu'à un avis médical spécialisé (point 4.4.5). Cette règle d'incompatibilité temporaire, pendant la durée nécessaire pour préciser le diagnostic, qui ne saurait interdire au médecin agréé ou à la commission médicale d'autoriser la conduite lorsqu'ils sollicitent un avis médical spécialisé sans pour autant éprouver de doute sur la compatibilité de l'état de l'intéressé avec celle-ci, est justifiée par les enjeux de sécurité routière et la nature des pathologies dont il s'agit, qui, ainsi que l'arrêté le précise " peuvent exposer un conducteur à une défaillance neurologique (...) qui provoque une altération des fonctions cognitives, constituent un danger pour la sécurité routière ", alors que " Les pathologies ou lésions du système nerveux central ou périphérique qui se manifestent par des signes moteurs, sensitifs, sensoriels, trophiques, ou perturbant l'équilibre et la coordination sont évaluées en fonction des conséquences fonctionnelles et de leur évolutivité ". Au regard de ces éléments, la mesure contestée n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif d'intérêt général d'assurer la sécurité des usagers de la route.

9. En deuxième lieu, s'agissant des points 4.4.5 des deux annexes, relatifs aux autres troubles neurologiques liés à une atteinte du système nerveux central ou périphérique, il ressort des pièces du dossier que les symptômes attachés à ces pathologies, et notamment à la maladie de Parkinson ou à la sclérose en plaques, apparaissent de manière variable selon les patients, de sorte qu'il n'est pas aisé de distinguer des stades nettement identifiés en fonction desquels une classification plus fine des hypothèses dans lesquelles des avis d'incompatibilité et de compatibilité temporaire ou définitive devraient être émis. Par suite, les auteurs de l'arrêté pouvaient légalement confier au médecin agréé le soin d'apprécier les conséquences sur l'aptitude à la conduite des troubles révélés par l'examen.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la référence à l'échelle de Reisberg pour assurer l'évaluation de l'aptitude à la conduite des personnes atteintes de troubles cognitifs des pathologies neuroévolutives type maladie d'Alzheimer, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une opinion favorable de la fédération des centres mémoires, soit, eu égard aux troubles caractérisant les différents stades décrits par cette échelle, entachée d'illégalité. Les ministres compétents ont, par ailleurs, légalement pu, aux points 4.4.2 des annexes I et II de l'arrêté attaqué, prévoir une incompatibilité attachée au stade 3 de cette échelle de Reisberg pour la conduite des véhicules relevant de l'annexe I de l'arrêté et à la confirmation du diagnostic pour la conduite des véhicules relevant de l'annexe II de ce même arrêté.

11. En quatrième lieu, si les associations requérantes soutiennent que l'arrêté attaqué dissuaderait le dépistage précoce des pathologies qu'il mentionne et, faute de s'appliquer à tous les types de véhicules, ne serait pas une mesure adaptée aux impératifs de la sécurité routière, une telle argumentation est sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

12. Il ressort de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir des associations requérantes, que celles-ci ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Union France Alzheimer, l'Association France parkinson, l'APF France handicap et la société française de neurologie est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union France Alzheimer, première requérante dénommée, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 septembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat ; M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 29 septembre 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Flavie Le Tallec

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464677
Date de la décision : 29/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

01-01-02-01 ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS. - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES. - ACCORDS INTERNATIONAUX. - APPLICABILITÉ. - EFFET DIRECT [RJ1] – ABSENCE – PARAGRAPHE 3 DE L’ARTICLE 4 DE LA CIDPH.

01-01-02-01 Le paragraphe 3 de l’article 4 de la convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), signée à New-York le 30 mars 2007, qui requiert l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers, a pour objet exclusif de régir les relations entre Etats. ...Dès lors, il est dépourvu d’effet direct.


Références :

[RJ1]

Cf., sur cette notion, CE, Assemblée, 11 avril 2012, Groupe d'information et de soutien des immigrés et Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, n° 322326, p. 142.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 sep. 2023, n° 464677
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Flavie Le Tallec
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464677.20230929
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