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22/08/2023 | FRANCE | N°472024

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 22 août 2023, 472024


Vu la procédure suivante :

L'association " Une idée dans la tête " a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 16 décembre 2022 par laquelle le recteur de la région académique d'Ile-de-France, recteur de Paris, l'a retirée de la liste recensant les organismes dispensant en Ile-de-France des formations civiques et citoyennes. Par une ordonnance n° 2302438/6 du 22 février 2023, la juge des référés du tribunal administratif a su

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Vu la procédure suivante :

L'association " Une idée dans la tête " a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 16 décembre 2022 par laquelle le recteur de la région académique d'Ile-de-France, recteur de Paris, l'a retirée de la liste recensant les organismes dispensant en Ile-de-France des formations civiques et citoyennes. Par une ordonnance n° 2302438/6 du 22 février 2023, la juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de la décision du recteur de la région académique d'Ile-de-France.

Par un pourvoi, enregistré le 10 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande de l'association " Une idée dans la tête ".

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du service national ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de l'association " Une idée dans la tête " ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Paris que le recteur de la région académique d'Ile-de-France a retiré, par une décision du 16 décembre 2022, l'association " Une idée dans la tête " de la liste recensant les organismes dispensant en Ile-de-France des formations civiques et citoyennes. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 22 février 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cette décision.

Sur le cadre juridique :

3. Aux termes de l'article L. 120-1 du code du service national : " I. Le service civique a pour objet de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale et offre à toute personne volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet collectif en effectuant une mission d'intérêt général en France ou à l'étranger auprès d'une personne morale agréée. / (...) II.-Le service civique est un engagement volontaire d'une durée continue de six à douze mois donnant lieu à une indemnisation prise en charge par l'Agence du service civique, ouvert aux personnes âgées de seize à vingt-cinq ans ou aux personnes reconnues handicapées âgées de seize à trente ans, en faveur de missions d'intérêt général reconnues prioritaires pour la Nation (...) ". Aux termes de l'article L. 120-14 du même code : " (...) La personne morale agréée assure en outre à la personne volontaire effectuant un engagement de service civique une formation civique et citoyenne et un accompagnement dans sa réflexion sur son projet d'avenir. La formation civique et citoyenne, dont la durée minimale est fixée par décret, est délivrée au moins pour la moitié de cette durée dans les trois mois suivant le début de l'engagement de service civique (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 120-2 du code du service national, l'Agence du service civique " a pour missions (...) 9° de définir le contenu de la formation civique et citoyenne prévue à l'article L. 120-14 ". Aux termes de son article R. 121-15 : " Le référentiel de la formation civique et citoyenne mentionnée à l'article L. 120-14 ainsi que les modalités de mise en œuvre de cette formation sont définis par l'Agence du service civique. La formation civique et citoyenne comprend un volet théorique et la participation à l'unité d'enseignement "Prévention et secours civiques de niveau 1". La durée minimale de la formation au titre du volet théorique est de deux jours ".

Sur le pourvoi :

5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés qu'à la suite d'une formation civique et citoyenne comportant un module intitulé " Peut-on être qui on veut en France ' Laïcité = Vivre ensemble ' " dispensée les 5 et 6 décembre 2022 par l'association " Une idée dans la tête ", organisme dispensant des formations civiques et citoyennes au sens de l'article L. 120-14 du code du service national, le recteur de la région académique d'Ile-de-France, auquel a été communiqué l'enregistrement audio de propos tenus par des intervenants de l'association à l'occasion de ce module, a retiré, par une décision du 16 décembre 2022, cette association de la liste recensant les organismes dispensant en Ile-de-France des formations civiques et citoyennes, en estimant que les propos tenus étaient susceptibles de porter atteinte aux valeurs de la République.

7. Il ressort des termes mêmes de l'ordonnance attaquée que, pour juger que la condition d'urgence mentionnée à l'article L. 521-1 du code de justice administrative devait être regardée comme remplie, la juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur les seules conséquences financières de la décision en litige pour l'association " Une idée dans la tête ", en se bornant à relever que celle-ci démontrait que les formations civiques et citoyennes qu'elle a dispensées en 2021 et 2022 constituaient sa principale source de revenus et qu'elle employait au moins une salariée à temps plein en 2022. En statuant ainsi, sans tenir compte de l'argumentation en défense du délégué régional académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports de la région académique d'Ile-de-France, relative à l'intérêt public s'attachant au maintien de l'exécution de sa décision au regard de la nature des propos en cause, du nombre de volontaires formés chaque année par l'association, de leur vulnérabilité liée à leur jeune âge et des exigences spécifiques liées à la formation civique et citoyenne dans le cadre du service civique, la juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'insuffisance de motivation.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par l'association " Une idée dans la tête ", en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension de la décision du recteur :

10. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la décision du recteur de la région académique d'Ile-de-France retirant l'association " Une idée dans la tête " de la liste recensant les organismes dispensant en Ile-de-France des formations civiques et citoyennes prive cette association de la source principale de ses revenus, d'autre part, que les propos en cause, tenus par des intervenants de l'association, portent atteinte aux objectifs tant du service civique, lequel vise, aux termes de l'article L. 120-1 du code du service national cité au point 1, à renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale et à offrir à toute personne volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République, que des formations civiques et citoyennes, financées par des fonds publics, auxquelles s'attachent des exigences spécifiques précisées notamment par le référentiel de l'Agence du service civique prévu par l'article R. 121-15 du code du service national. Au regard du jeune âge des personnes volontaires effectuant un engagement de service civique et assistant aux formations civiques et citoyennes, du nombre important de personnes ainsi formées par l'association chaque année, et partant, de l'intérêt public s'attachant à l'exécution de la décision attaquée, la condition d'urgence ne peut être regardée comme satisfaite.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, que l'association " Une idée dans la tête " n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du recteur de la région académique d'Ile-de-France du 16 décembre 2022.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Paris du 22 février 2023 est annulée.

Article 2 : La demande de l'association " Une idée dans la tête " est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'association " Une idée dans la tête " en cassation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à l'association " Une idée dans la tête ".


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 472024
Date de la décision : 22/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 aoû. 2023, n° 472024
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:472024.20230822
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