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09/08/2023 | FRANCE | N°441166

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 09 août 2023, 441166


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 441166, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juin 2020 et 15 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française du gaz demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'il prévoit, d'une part, que le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité sera fixé à 2,3 et, d'autre part, que le facteur d'émission de l

'électricité pour le chauffage électrique sera déterminé par la méthode mensualisé...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 441166, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juin 2020 et 15 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française du gaz demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'il prévoit, d'une part, que le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité sera fixé à 2,3 et, d'autre part, que le facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique sera déterminé par la méthode mensualisée par usage, qui conduit à une valeur de 79 gCO2/kWh ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner l'Etat aux éventuels dépens.

2° Sous le n° 457566, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 octobre 2021 et 28 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française du gaz demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'article R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation, en tant qu'il fixe la valeur du coefficient de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité à 2,3 et la valeur du facteur d'émission de l'électricité de chauffage à 79 gCO2/kWh ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 ;

- la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 ;

- le règlement (UE) 2018/1999 du parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'urbanisme;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 ;

- le décret n° 2021-1004 du 29 juillet 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Association française du gaz ;

Considérant ce qui suit :

1. En premier lieu, aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'énergie : " La programmation pluriannuelle de l'énergie, fixée par décret, définit les modalités d'action des pouvoirs publics pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d'atteindre les objectifs définis aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du présent code ainsi que par la loi prévue à l'article L. 100-1 A. Elle est compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés dans le budget carbone mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement, ainsi qu'avec la stratégie bas-carbone mentionnée à l'article L. 222-1 B du même code (...) ". L'article L. 141-2 du code de l'énergie prévoit également que la programmation pluriannuelle de l'énergie contient un volet relatif à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à la baisse de la consommation d'énergie primaire, en particulier fossile. Ce volet peut identifier des usages pour lesquels la substitution d'une énergie à une autre est une priorité et indique des priorités de baisse de la consommation d'énergie fossile par type d'énergie en fonction du facteur d'émission de gaz à effet de serre de chacune. En application des articles L. 141-3 et L. 141-4 du même code, qui prévoient qu'elle couvre deux périodes successives de cinq ans, le Premier ministre a, par un décret n° 2020-456 du 21 avril 2020, fixé la programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2019-2028.

2. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 171-1 du code de la construction et de l'habitation : " La construction et la rénovation de bâtiments contribuent à atteindre les objectifs de la politique nationale énergétique fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. / Elles limitent les consommations d'énergie et de ressources des bâtiments construits et rénovés ainsi que leur impact sur le changement climatique sur leur cycle de vie, afin qu'ils soient les plus faibles possible (...) ". L'article R. 172-4 du même code, issu du décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et pris pour l'application de ces dispositions législatives, précise que la construction de tout bâtiment atteint des résultats minimaux notamment dans les domaines suivants : " (...) 2° La consommation d'énergie primaire et la consommation d'énergie primaire non renouvelable du bâtiment, calculées pour des conditions de fonctionnement définies, pour le chauffage, le refroidissement, la production d'eau chaude sanitaire, l'éclairage, la mobilité des occupants interne au bâtiment, les auxiliaires de chauffage, de refroidissement, d'eau chaude sanitaire et de ventilation, sont inférieures ou égales respectivement à une consommation d'énergie primaire maximale et à une consommation d'énergie primaire non renouvelable maximale, exprimée en kWh/ m2/ an ; / 3° L'impact sur le changement climatique de la consommation d'énergie primaire mentionnée au 2° est inférieur ou égal à un impact maximal. L'indice global est exprimé en kgCO2eq/ m2 (...) ". Conformément à l'article R. 122-24-1 du code de la construction et de l'habitation, applicable à compter du 1er janvier 2022 aux bâtiments à usage d'habitation, le maître d'ouvrage de toute construction de bâtiments établit un document attestant qu'il a pris en compte ou fait prendre en compte les exigences de performance énergétique et environnementale définies aux articles R. 172-4 et R. 172-5, en conformité avec l'article R. 172-6. Cette attestation est jointe à la demande de permis de construire dans les conditions prévues au j de l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme. L'article R. 172-4 du code de la construction et de l'habitation dispose également que : " Les résultats minimaux sont fixés, par catégorie de bâtiment et en fonction de leur localisation géographique, en annexe au présent article. Les modalités de calcul des indicateurs ainsi que de leurs paramètres de modulations, sont fixés par arrêté des ministres chargés de l'énergie et de la construction ". Selon l'article R. 172-6 du même code : " L'atteinte des résultats minimaux fixés à l'article R. 172-4 et de certaines exigences minimales fixées à l'article R. 172-5 est vérifiée suivant une méthode de calcul définie par arrêté des ministres chargés de l'énergie et de la construction. Elle précise, notamment, les règles et hypothèses de calcul à prendre en compte (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 126-29 du même code : " Un arrêté conjoint des ministres chargés de la construction et de l'énergie (...) précise notamment, par catégorie de bâtiments, (...) les éléments des méthodes de calcul conventionnel, (...) les facteurs de conversion des quantités d'énergie finale en quantités d'émissions de gaz à effet de serre (...) ". C'est sur le fondement de ces dispositions que les ministres chargés de l'énergie et de la construction ont pris, en application du décret du 29 juillet 2021 précité, l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'article R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation, au titre de la réglementation environnementale des bâtiments neufs dite " RE 2020 ".

3. Par une première requête, l'Association française du gaz demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'il précise, d'une part, que le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité sera fixé à 2,3 et, d'autre part, que le facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique sera déterminé par la méthode mensualisée par usage, qui conduit à une valeur de 79 gCO2/kWh. Par une deuxième requête, qu'il y a lieu de joindre à la première pour statuer par une seule décision, l'Association française du gaz demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 4 août 2021 précité, en tant qu'il fixe, à son article 9, la valeur du coefficient de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité à 2,3 et, à son article 10, celle du facteur d'émission de l'électricité de chauffage à 79 gCO2/kWh.

Sur l'intervention :

4. L'association Equilibre des énergies (EDEN), qui a pour objet de promouvoir dans les secteurs de l'énergie, de la construction et du bâtiment, l'amélioration de la performance énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, justifie d'un intérêt suffisant au maintien des actes attaqués. Ainsi, son intervention en défense est recevable.

Sur la légalité externe de l'arrêté du 4 août 2021 :

5. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat (...) ".

6. L'arrêté du 4 août 2021 en litige a été signé, pour la ministre de la transition écologique et par délégation de celle-ci, par M. D... A..., directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et par M. C... B..., directeur général de l'énergie et du climat et, pour la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement et par délégation de celle-ci, également par M. D... A.... M. B... ayant été nommé par un décret du 19 décembre 2012 publié au Journal officiel de la République française le 21 décembre 2012 et M. A... ayant été nommé par un décret du 9 mai 2018 publié au Journal officiel du 10 mai 2018, ils avaient, en leur qualité de directeurs d'administration centrale, du fait de cette publication, qualité pour signer l'arrêté attaqué. Le moyen tiré de ce que ce dernier aurait été pris par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté du 4 août 2021 :

En ce qui concerne l'article 9 de l'arrêté attaqué relatif au facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité :

7. Par l'article 9 de l'arrêté attaqué du 4 août 2021, les ministres chargés de l'énergie et de la construction ont fixé, pour chaque type d'énergie, les coefficients de transformation de l'énergie entrant dans le bâtiment en énergie primaire. Ces coefficients, également dénommés facteurs de conversion de l'énergie finale en énergie primaire, sont utilisés dans la détermination des indicateurs destinés à mesurer la consommation d'énergie primaire des bâtiments. La requérante demande l'annulation de cet article 9 en ce qu'il a arrêté ce coefficient à 2,3 pour l'électricité.

8. D'une part, aux termes de son article 1er, la directive du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments : " 1. (...) promeut l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments (...). / 2. La (...) directive fixe des exigences en ce qui concerne : / a) le cadre général commun d'une méthode de calcul de la performance énergétique intégrée des bâtiments et de leurs parties et des unités de bâtiment ; / b) l'application d'exigences minimales en matière de performance énergétique aux bâtiments (...) ". Selon son article 3 : " Les États membres appliquent une méthode de calcul de la performance énergétique des bâtiments conforme au cadre général commun établi à l'annexe I. / Cette méthode est adoptée au niveau national ou régional ". Enfin, aux termes de son annexe I : " 1. La performance énergétique d'un bâtiment est déterminée sur la base de la consommation calculée ou réelle d'énergie et correspond à la consommation énergétique courante pour le chauffage des locaux, le refroidissement des locaux, la production d'eau chaude sanitaire, la ventilation, l'éclairage intégré et d'autres systèmes techniques de bâtiment. / La performance énergétique d'un bâtiment est exprimée au moyen d'un indicateur numérique d'utilisation d'énergie primaire en kWh (m2/an), pour les besoins tant de la certification de la performance énergétique que de la conformité aux exigences minimales en matière de performance énergétique. La méthode appliquée pour la détermination de la performance énergétique d'un bâtiment est transparente et ouverte à l'innovation (...). / 2. (...) L'énergie primaire est calculée sur la base de facteurs d'énergie primaire ou de facteurs de pondération associés à chaque transporteur d'énergie, qui peuvent être fondés sur des moyennes annuelles, et éventuellement aussi saisonnières ou mensuelles, pondérées nationales, régionales ou locales, ou sur des données plus spécifiques communiquées pour les systèmes urbains isolés. / Les facteurs d'énergie primaire ou les facteurs de pondération sont définis par les États membres. Lors de l'application de ces facteurs pour le calcul de la performance énergétique, les États membres veillent à ce que la performance énergétique optimale de l'enveloppe du bâtiment soit recherchée. / Dans le calcul des facteurs d'énergie primaire aux fins du calcul de la performance énergétique des bâtiments, les États membres peuvent tenir compte des sources d'énergie renouvelables fournies via le transporteur d'énergie ainsi que des sources d'énergie renouvelables générées et utilisées sur place, à condition que cela s'applique de façon non discriminatoire (...) ".

9. D'autre part, l'article 21 de la directive du 25 octobre 2012 modifiée relative à l'efficacité énergétique prévoit : " Aux fins de la comparaison des économies d'énergie et de la conversion en une unité permettant la comparaison, les facteurs de conversion énoncés à l'annexe IV s'appliquent, sauf si le recours à d'autres facteurs de conversion peut être justifié ". Selon l'annexe IV de cette directive : " (...) Pour les économies d'électricité en kWh, les États membres appliquent un coefficient défini grâce à une méthode transparente en s'appuyant sur les circonstances nationales qui influent sur la consommation d'énergie primaire, afin de calculer précisément les économies réelles. Ces circonstances sont justifiées, vérifiables et fondées sur des critères objectifs et non discriminatoires. Pour les économies d'électricité en kWh, les États membres peuvent appliquer un coefficient par défaut de 2,1 ou exercer la faculté de définir un coefficient différent, à condition de pouvoir le justifier. Dans ce contexte, les États membres tiennent compte de leurs bouquets énergétiques figurant dans leurs plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat qui doivent être notifiés à la Commission conformément au règlement (UE) 2018/1999 (...). / Les États membres peuvent appliquer des facteurs de conversion différents, à condition de pouvoir les justifier ".

10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour déterminer le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité, une " note de cadrage " ayant pour objet d'expliciter l'actualisation de ce facteur et comportant, en son annexe 1, une description de la méthode à retenir a été communiquée le 29 mars 2019 à différents acteurs de l'énergie. Il ressort notamment de cette note que pour fixer à 2,3 ce facteur de conversion, qui était auparavant fixé à 2,58, ont été pris en compte, par une moyenne calculée sur cinquante ans permettant de tenir compte du cycle de vie des bâtiments, les objectifs de diversification du mix électrique fixés par la loi, et notamment par l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le facteur ainsi arrêté n'aurait pas été déterminé selon une méthode transparente, comme le prévoient les dispositions des directives du 19 mai 2010 et du 25 octobre 2012 précitées.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue pour arrêter le facteur de conversion litigieux est cohérente avec les objectifs assignés à la politique énergétique nationale et déclinés par la programmation pluriannuelle de l'énergie, dès lors qu'elle repose sur des critères objectifs, la requérante n'apportant aucun élément permettant d'estimer que l'atteinte des objectifs fixés par la politique énergétique nationale pour l'évolution du mix électrique à moyen terme serait, en l'état des connaissances, manifestement irréaliste. La circonstance que le facteur de conversion arrêté diffèrerait de celui calculé sur la base d'une méthodologie proposée par la Commission européenne est sans incidence sur la légalité des dispositions en cause dès lors que cette méthodologie ne revêt pas un caractère contraignant et qu'il appartient, aux termes mêmes des deux directives précitées, aux seuls Etats membres de calculer ce facteur.

12. En troisième lieu, ni la circonstance que les auteurs de l'arrêté attaqué n'aient pas uniquement tenu compte de l'énergie primaire consommée à la date à laquelle cet arrêté est intervenu, ni celle qu'ils aient tenu compte d'objectifs postérieurs à 2030 ne sont de nature à caractériser une méconnaissance des dispositions des deux directives précitées imposant aux Etats membres de tenir compte de leurs bouquets énergétiques figurant dans leurs plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat prévus par le règlement du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, nonobstant la circonstance que le plan national notifié à la Commission européenne par la France, conformément à ces dispositions, ne couvre à ce jour que la période 2021-2030. En particulier, les bâtiments étant construits pour une durée de vie de plus de cinquante ans, les ministres chargés de la construction et de l'énergie ont pu légalement retenir une moyenne calculée sur cette période afin de tenir compte du cycle de vie des bâtiments et de l'évolution du mix énergétique.

13. En quatrième lieu, s'il ne peut être exclu que la mise en œuvre du facteur de conversion ainsi calculé induise, de façon transitoire, un biais en faveur du recours au chauffage électrique, au détriment d'autres systèmes de chauffage, compte tenu du caractère progressif de l'évolution du mix énergétique, il ne ressort pas des pièces du dossier que la valeur retenue pour ce facteur serait, à elle seule, de nature à entraver l'innovation.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 10 à 13 qu'en fixant à 2,3 le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité selon la méthode à laquelle ils ont eu recours, les auteurs de l'arrêté attaqué n'ont ni entaché celui-ci d'erreur manifeste d'appréciation, ni méconnu les dispositions des directives du 19 mai 2010 et du 25 octobre 2012 précitées. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le facteur de conversion ainsi arrêté serait fondé sur un critère discriminatoire ou révèlerait un détournement de pouvoir dès lors qu'il n'a pas, par lui-même, pour objet ou pour effet d'imposer certains dispositifs de chauffage au détriment d'autres ou de déterminer un unique mode de chauffage d'un bâtiment, d'autres paramètres entrant en ligne de compte pour opérer de tels choix.

En ce qui concerne l'article 10 de l'arrêté attaqué, relatif au facteur d'émission de gaz à effet de serre de l'électricité pour le chauffage électrique :

15. Par l'article 10 de l'arrêté attaqué, les ministres chargés de l'énergie et de la construction ont fixé, pour chaque type d'énergie, les coefficients de transformation de l'énergie entrant dans le bâtiment en quantité de gaz à effet de serre émis. Ces coefficients, également dénommés facteurs d'émission de gaz effet de serre, sont utilisés dans la détermination des indicateurs destinés à mesurer l'impact sur le changement climatique de la consommation d'énergie primaire des bâtiments. La requérante demande l'annulation de cet article 10 en tant qu'il a arrêté ce coefficient à 0,079 kgCO2/kWh pour le chauffage électrique.

16. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les auteurs de l'arrêté attaqué ont eu recours, pour calculer le facteur d'émission de gaz à effet de serre de l'électricité pour le chauffage électrique, à la méthode dite " mensualisée par usage ", laquelle permet, contrairement à la méthode dite " saisonnalisée par usage " précédemment utilisée, d'associer à chaque mois de l'année un contenu carbone moyen et à chaque usage une consommation différente pour chaque mois de l'année. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la valeur issue de l'application de cette méthode, fixée par l'arrêté attaqué à 0,079 kgCO2/kWh, contre 0,210 kg avec la précédente méthode, conduise à favoriser indûment les systèmes de chauffage électrique au détriment d'autres systèmes de chauffage, notamment de gaz naturel, et méconnaîtrait ainsi les principes d'égalité et de libre concurrence ou, en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 111-1 du code de l'énergie. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la fixation du facteur d'émission de l'électricité à 79 gCO2/kWh pour le chauffage électrique méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 100-1 du même code qui assignent à la politique énergétique l'objectif de favoriser l'émergence d'une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes les filières industrielles.

17. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la méthode ainsi retenue méconnaîtrait le principe général du droit de l'Union européenne d'égalité de traitement en ce qu'elle serait appliquée de manière identique pour l'électricité et le gaz naturel manque en fait.

18. Il résulte de tout ce qui précède que l'Association française du gaz n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions des articles 9 et 10 de l'arrêté du 4 août 2021 qu'elle attaque. Ses conclusions tendant, par les mêmes moyens, à l'annulation pour excès de pouvoir des passages relatifs aux mêmes coefficients du décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie doivent être rejetées par voie de conséquence. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'Association française du gaz à ce titre, de même qu'à celles présentées par l'association EDEN, qui n'a pas la qualité de partie pour l'application de ces dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention en défense de l'association Equilibre des énergies (EDEN) dans l'instance n° 441166 est admise.

Article 2 : Les requêtes nos 441166 et 457566 de l'Association française du gaz sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association française du gaz, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l'association Equilibre des énergies (EDEN).

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 9 août 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441166
Date de la décision : 09/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 aoû. 2023, n° 441166
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:441166.20230809
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