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02/08/2023 | FRANCE | N°468561

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 02 août 2023, 468561


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 25 août 2022 par lequel la préfète de la Loire a rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de résident et de délivrance d'une carte de résident permanent, d'enjoindre à la préfète de la Loire de réexaminer sa situation et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Par une ordonnance n°

2207564 du 12 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 25 août 2022 par lequel la préfète de la Loire a rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de résident et de délivrance d'une carte de résident permanent, d'enjoindre à la préfète de la Loire de réexaminer sa situation et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Par une ordonnance n° 2207564 du 12 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 octobre, 14 novembre et 14 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision du 28 février 2023 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... ;

- la décision n° 2023-1048 QPC du Conseil constitutionnel du 4 mai 2023 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lyon que M. B..., de nationalité marocaine, est entré régulièrement en France en 1977, à l'âge de trois ans dans le cadre d'un regroupement familial. En 1992, à sa majorité, il s'est vu délivrer une carte de résident de 10 ans, qui a été renouvelée en 2002, puis à nouveau en 2012. Le 5 janvier 2022, il a demandé le renouvellement de sa carte de résident de 10 ans, ainsi que la délivrance d'une carte de résident permanent. Un récépissé de demande de carte de séjour lui a été délivré le même jour pour renouvellement de son titre de séjour. Par arrêté du 25 août 2022, la préfète de la Loire a rejeté sa demande de délivrance d'une carte de résident permanent, motif pris de ce qu'il ne remplissait pas les conditions d'intégration républicaine et d'absence de menace pour l'ordre public respectivement prévues par les articles L. 413-7 et L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". Enfin, aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Le juge des référés (...) se prononce dans les meilleurs délais ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2, qui imposent au juge des référés de statuer avec diligence sur les demandes dont il est saisi, qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire du délai dans lequel il statue une condition de la régularité de l'ordonnance rendue. Par suite, en ayant statué sur la demande dès le 12 octobre 2022, sans attendre l'expiration du délai de recours contentieux le 25 octobre 2022, le juge des référés de première instance n'a pas entaché son ordonnance d'irrégularité.

En ce qui concerne la délivrance d'une carte de résident permanent :

4. En premier lieu, par sa décision n° 2023-1048 QPC du 4 mai 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le renvoi opéré par le deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux mots " menace pour l'ordre public " figurant au premier alinéa du même article. Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance du juge des référés serait entachée d'une erreur de droit en ce qu'il a regardé comme manifestement dépourvu de sérieux le moyen tiré de ce que la décision de refus de délivrance d'une carte de résident permanent ne pouvait pas légalement être fondée sur la condition tenant à l'absence de menace pour l'ordre public mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile porteraient une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été invoqué devant le juge des référés de première instance. Par suite, dès lors qu'il n'est pas né de l'ordonnance attaquée et n'est pas d'ordre public, M. B... ne peut utilement soulever ce moyen pour contester le bien-fondé de l'ordonnance qu'il attaque.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I. - Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, (...) les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : / (...) / 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat ".

7. Si le requérant soutient que le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale n'était manifestement pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté attaqué, il ne ressort pas de l'arrêté attaqué que la préfète de la Loire aurait fondé le rejet de sa demande de délivrance d'une carte de résident permanent sur des informations qui seraient seulement issues d'une consultation des données personnelles figurant dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de première instance que M. B... a fait l'objet de trois condamnations pénales, dont deux d'entre elles, en 2018 et 2019, ont prononcé des peines d'emprisonnement, et qu'il est connu des services de police pour des faits répétés, récurrents et graves de violences, sur plus d'une dizaine d'années. Par suite, c'est sans erreur de droit que le juge des référés a jugé que les moyens tirés de ce que c'est à tort que la préfète de la Loire a considéré que M. B... ne satisfaisait pas aux conditions d'intégration républicaine de l'étranger dans la société française et d'absence de menace pour l'ordre public prévues aux articles L. 413-7 et L. 426-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étaient manifestement pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté attaqué.

9. En cinquième lieu, M. B... ne peut utilement soutenir que l'arrêté lui refusant la délivrance d'une carte de résident permanent, qui ne le prive pas de tout droit de séjour en France et n'est pas assorti d'une obligation de quitter le territoire français, porterait au droit de mener une vie familiale normale qu'il tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.

En ce qui concerne le renouvellement de la carte de résident de 10 ans

10. Aux termes de l'article L. 433-2 de ce même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 411-5 et L. 432-3, une carte de résident est renouvelable de plein droit ".

11. Il résulte des dispositions citées au point 10 qu'aucune restriction n'est prévue au renouvellement d'une carte de résident tenant à l'existence d'une menace à l'ordre public. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de ce que le refus de renouvellement de la carte de résident du requérant méconnaissait les dispositions l'article L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était manifestement pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a commis une erreur de droit.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a jugé que le moyen tiré de ce que le refus de renouvellement de la carte de résident du requérant méconnaissait l'article L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était manifestement pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et dans la mesure de l'annulation prononcée au point 12, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension

14. D'une part, l'urgence à suspendre une décision de refus de renouvellement d'un titre de séjour doit, en principe, être reconnue.

15. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le refus de renouvellement de la carte de résident du requérant méconnaît l'article L. 433-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

16. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire droit à la demande de M. B... et de suspendre l'exécution de la décision par laquelle la préfète de la Loire a refusé de renouveler son titre de séjour. En l'espèce, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Loire de réexaminer la demande de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification qui lui sera faite de la présente décision et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais qu'il a exposés tant en première instance qu'en cassation.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon du 12 octobre 2022 est annulée en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision par laquelle la préfète de la Loire a refusé de renouveler le titre de séjour de M. B....

Article 2 : L'exécution de la décision par laquelle la préfète de la Loire a refusé de renouveler le titre de séjour de M. B... est suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande présentée par l'intéressé devant le tribunal administratif de Lyon.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Loire de réexaminer la demande de renouvellement du titre de séjour de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de M. B... est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 468561
Date de la décision : 02/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 aoû. 2023, n° 468561
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468561.20230802
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