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26/07/2023 | FRANCE | N°461130

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 26 juillet 2023, 461130


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la directrice départementale de la sécurité publique de la Haute-Corse sur sa demande de communication d'un rapport d'audit interne et, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de lui communiquer ce rapport. Par une ordonnance n° 2100681 du 29 décembre 2021, le président du tribunal administratif de Bastia a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions a

ux fins d'annulation, d'injonction et d'astreinte et rejeté le surpl...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la directrice départementale de la sécurité publique de la Haute-Corse sur sa demande de communication d'un rapport d'audit interne et, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de lui communiquer ce rapport. Par une ordonnance n° 2100681 du 29 décembre 2021, le président du tribunal administratif de Bastia a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et d'astreinte et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un pourvoi, enregistré le 4 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du ministre de l'intérieur la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2008-633 du 27 juin 2008 ;

- le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 ;

- l'arrêté du 1er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la sécurité publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., brigadier de police à la circonscription de sécurité publique de Bastia, a saisi la directrice départementale de la sécurité publique de la Haute-Corse le 14 janvier 2021 d'une demande tendant à la communication du rapport dressé à la suite de la mission d'audit de fonctionnement du service de voie publique effectuée par la sous-direction des audits et du contrôle interne de la direction générale de la sécurité publique du 23 au 27 novembre 2020. Le 15 avril 2021, la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), sans prendre connaissance du document sollicité, a donné un avis favorable à sa communication sous réserve, notamment, de l'occultation des mentions qui porteraient atteinte à l'un des intérêts énoncés à l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, et qu'une telle occultation ne conduise pas à priver de son sens le document sollicité. La demande de M. B... étant restée sans réponse, il a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus de la directrice départementale de la sécurité publique de la Haute-Corse et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui communiquer ce rapport. M. B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 décembre 2021 par laquelle le président du tribunal administratif de Bastia a, d'une part, prononcé un non-lieu à statuer au motif que le document avait été produit en cours d'instance par le ministre de l'intérieur et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

2. Aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs (...) les documents élaborés ou détenus par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d'un service public, dans le cadre de leur mission de service public ". En vertu de l'article L.311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " Ne sont pas communicables (...) les documents administratifs dont la communication porterait atteinte (...) 2° d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information (...)/ g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infraction de toute nature (...). " Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / (...) - 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 de ce code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

3. Aux termes de l'article 21 du décret du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer : " La direction centrale de la sécurité publique est une direction active de la direction générale de la police nationale. / Sous réserve des compétences du préfet de police et de dispositions particulières relatives à la répartition des compétences entre les forces de sécurité intérieure, la direction centrale de la sécurité publique est chargée de l'exercice des missions de sécurité et de paix publiques dans les communes où la police est étatisée. / Elle concourt à l'exercice des missions de police judiciaire sur l'ensemble du territoire (...) ". En vertu de l'article 1er du décret du 27 juin 2008 relatif à l'organisation déconcentrée de la direction centrale de la sécurité publique : " Les services déconcentrés du ministère de l'intérieur chargés des missions relevant de la compétence de la direction centrale de la sécurité publique définies à l'article 21 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer sont : / (...) - dans chaque département de métropole, les directions départementales de la sécurité publique sauf à Paris, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et dans les ressorts des directions territoriales de la police nationale (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 1er février 2011 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la sécurité publique : " La direction centrale de la sécurité publique définit la doctrine générale et la stratégie en vue d'assurer les missions qui lui sont confiées. / Elle exerce son autorité sur l'ensemble des services, dont elle détermine l'organisation et les modes de fonctionnement. Elle définit les règles d'emploi des personnels, dont elle anime l'action et contrôle et évalue l'activité (...) ". Elle comprend notamment une sous-direction des audits et du contrôle interne qui, en vertu de l'article 8 de cet arrêté, " réalise des audits et évalue l'organisation et le fonctionnement des services déconcentrés auprès desquels elle remplit une fonction d'appui et d'assistance technique, sans préjudice des attributions de l'inspection générale de la police nationale. / Elle définit les processus de contrôle à mettre en œuvre pour une meilleure maîtrise des risques en sécurité publique et assure l'animation du réseau des contrôleurs internes. / Elle assure l'exploitation et le suivi des audits. A partir de leur analyse, elle réalise, d'initiative ou à la demande du directeur central, des études portant sur l'amélioration de l'organisation ou du fonctionnement des services de sécurité publique ".

4. Il résulte de ce qui précède que les rapports d'audit et les études adressés par la direction centrale de la sécurité publique aux directeurs départementaux de la sécurité publique à la suite des contrôles effectués dans leurs services déconcentrés sont des documents administratifs au sens l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Saisi d'un recours relatif au refus de communication de tels documents, il incombe au juge du fond d'examiner si les éléments contenus dans les documents dont il est demandé communication peuvent notamment porter atteinte aux intérêts ou aux secrets protégés par la loi et faire ainsi obstacle à cette communication.

5. Si le juge administratif a la faculté, par une appréciation souveraine, d'ordonner avant-dire droit la production devant lui, par les administrations compétentes, des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige, sans que la partie à laquelle ce refus a été opposé ait le droit d'en prendre connaissance au cours de l'instance, il ne commet d'irrégularité en s'abstenant de le faire que si l'état de l'instruction ne lui permet pas de déterminer, au regard des contestations des parties, le caractère légalement communicable de ces documents ou d'apprécier les modalités de cette communication. A cet égard, dans le cas où tous les éléments d'information que doit comporter un document administratif sont définis par un texte, le juge administratif, saisi d'un litige relatif au refus de le communiquer, peut, sans être tenu d'en ordonner la production, décider si, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, il est, en tout ou partie, communicable. En revanche, lorsque le contenu d'un document administratif n'est défini par aucun texte, le juge ne saurait, au seul motif qu'il est susceptible de comporter des éléments couverts par un secret que la loi protège, décider qu'il n'est pas communicable, sans avoir au préalable ordonné sa production, hors contradictoire, afin d'apprécier l'ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur occultation.

6. Ni l'objet, ni le contenu des rapports d'audit adressés par la direction centrale de la sécurité publique aux directions départementales de la sécurité publique à l'issue de contrôles effectués dans leurs services déconcentrés ne sont définis par aucun texte. Il suit de là que le président du tribunal administratif de Bastia a entaché son ordonnance d'irrégularité en estimant, sans s'être fait produire au préalable hors contradictoire le document dans une version intégrale, que la communication à M. B... par le ministre de l'intérieur d'une version occultée du rapport d'audit et de contrôle interne privait le litige de son objet, alors qu'il était soutenu devant lui que certaines des mentions occultées avaient un caractère communicable.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du président du tribunal administratif de Bastia du 29 décembre 2021 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Bastia.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 26 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 461130
Date de la décision : 26/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2023, n° 461130
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461130.20230726
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