Vu la procédure suivante :
La société Lidl a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 101 730,81 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'illégalité des décisions du 30 août 2010 et du 9 février 2011 par lesquelles l'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Pas-de-Calais et le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ont refusé de l'autoriser à licencier M. B... A.... Par un jugement n° 1401129 du 30 décembre 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 16DA00371 du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Lidl contre ce jugement.
Par une décision n° 428198 du 4 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.
Par un arrêt n° 20DA01949 du 5 août 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête de la société Lidl tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 30 décembre 2015.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 octobre et 31 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lidl demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Lidl ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lidl a sollicité l'autorisation de licencier M. A..., responsable de magasin ayant la qualité de salarié protégé, pour inaptitude consécutive à une maladie non professionnelle. L'inspecteur du travail de l'unité territoriale du Pas-de-Calais, par une décision du 30 août 2010, puis le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, par une décision du 9 février 2011, ont refusé de délivrer cette autorisation au motif que la société Lidl n'avait pas satisfait à son obligation de recherche sérieuse de reclassement. Toutefois, par un jugement du 3 juillet 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions au motif qu'elles étaient entachées d'un vice de procédure. La société Lidl a alors recherché la responsabilité de l'Etat afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des décisions de refus d'autorisation de licenciement, à hauteur de 101 730,81 euros, au titre des salaires versés à M. A... et des charges sociales afférentes pour la période du 1er septembre 2010 au
24 mai 2012, date à laquelle M. A... s'est vu notifier son licenciement après autorisation du ministre du travail, de l'emploi et de la santé par une décision du 14 mai 2012. Par un jugement du 30 décembre 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Lidl contre ce jugement. Par une décision n° 428198 du 4 novembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai. Par un arrêt du 5 août 2021, contre lequel la société Lidl se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a de nouveau rejeté la requête de la société Lidl tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 30 décembre 2015.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, en application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. Le refus illégal d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. Lorsqu'un employeur sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un refus d'autorisation de licenciement entaché d'un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des pièces produites par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d'une procédure régulière.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ".
4. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 et des articles suivants du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur.
Sur le pourvoi :
5. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la société Lidl n'est pas fondée à demander réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité entachant les décisions par lesquelles l'inspecteur du travail puis le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ont refusé d'autoriser le licenciement de M. A..., alors même que par un jugement du 3 juillet 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Lille les avait annulées pour irrégularité, la cour administrative d'appel de Douai a retenu l'absence de lien de causalité direct entre cette illégalité et le préjudice allégué, au motif que ces décisions auraient pu être légalement prises si elles étaient intervenues à l'issue d'une procédure régulière. A ce titre, elle a jugé qu'elles étaient légalement fondées sur le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de reclassement, dès lors notamment qu'il existait d'autres postes de travail équivalents aux fonctions exercées par M. A... qui ne lui avaient pas été proposés. Si la requérante soutient que les emplois de responsable technique de magasin en Lorraine, de responsable technique de magasin en Provence-Alpes-Côte d'Azur, de responsable expédition/transport et de responsable réception/préparation à Angoulême, ainsi que de cadre logistique à Strasbourg, retenus par la cour comme équivalents à l'emploi précédemment occupé par M. A..., ne pouvaient être proposés à l'intéressé au seul motif qu'ils relevaient d'une catégorie d'emplois, celle de cadre, supérieure à celle à laquelle appartenait le salarié, employé en tant qu'agent de maîtrise, cette seule circonstance, alors même qu'il pouvait en être tenu compte, parmi d'autres éléments, pour apprécier la comparabilité des postes disponibles aux fonctions jusqu'alors exercées, ne saurait, par elle-même, faire obstacle à ce que ces postes aient été au nombre de ceux qui devaient être proposés par l'employeur au salarié au titre de ses obligations en matière de reclassement. Il s'ensuit qu'en jugeant, pour apprécier le bien-fondé de l'appréciation de l'administration sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, que la circonstance que ces fiches de postes mentionnaient un statut de cadre alors que M. A... avait un statut d'agent de maîtrise ne suffisait pas pour retenir que ces emplois n'étaient pas équivalents à celui de responsable de magasin qu'il occupait alors, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, en relevant que, si la société Lidl avait sollicité le médecin du travail pour obtenir des précisions sur l'aptitude de M. A... à occuper d'autres postes, celui-ci n'avait pas été en mesure de se prononcer sur cette aptitude dès lors qu'il ne connaissait pas les conditions de travail des postes en cause, la cour administrative d'appel a estimé que ces échanges entre le médecin du travail et la société n'étaient pas de nature à établir, par eux-mêmes, que cette dernière avait valablement rempli ses obligations en matière de reclassement. Ce faisant, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.
7. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que si la cour administrative d'appel a relevé que la société avait interrogé le médecin du travail sur les aptitudes du salarié sur certains postes, que M. A... n'avait pas donné suite aux propositions de reclassement qui lui avaient été adressées par courrier du 14 avril 2010 et que des recherches de reclassement avaient été menées en interne auprès des différentes directions régionales de l'entreprise, elle a toutefois jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société Lidl ne pouvait être regardée comme ayant mené une recherche suffisamment sérieuse pour reclasser l'intéressé, eu égard à l'existence de postes appropriés qui ne lui avaient pas été proposés. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit en ne portant pas une appréciation globale sur le caractère sérieux des recherches de reclassement menées par l'entreprise et en faisant peser sur elle une obligation de résultat.
8. En quatrième et dernier lieu, il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant, pour rejeter la demande de la société requérante tendant à obtenir de l'Etat réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des décisions des 30 août 2010 et 9 février 2011, qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre cette illégalité et le préjudice allégué dès lors que les mêmes décisions de refus d'autorisation de licenciement de M. A... auraient pu légalement être prises à l'issue d'une procédure régulière au motif que la société Lidl n'avait pas respecté ses obligations en matière de reclassement.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Lidl n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Lidl est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Lidl et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.