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19/07/2023 | FRANCE | N°469986

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 19 juillet 2023, 469986


Vu la procédure suivante :

La Ligue des droits de l'homme, Mme G... A..., M. F... C..., Mme H... B..., Mme I... D... et Mme J... E... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l'évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou. Par une ordonnance n°s 2205231, 2205236, 2205345 du 8 décembre 202

2, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécu...

Vu la procédure suivante :

La Ligue des droits de l'homme, Mme G... A..., M. F... C..., Mme H... B..., Mme I... D... et Mme J... E... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l'évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou. Par une ordonnance n°s 2205231, 2205236, 2205345 du 8 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cette décision en tant qu'elle concerne Mme A... et les autres requérants personnes physiques, transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et rejeté les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 décembre 2022 et le 13 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : " I.- À Mayotte et en Guyane, lorsque des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituent un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l'article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, forment un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette et présentent des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique, le représentant de l'État dans le département peut, par arrêté, ordonner aux occupants de ces locaux et installations d'évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à leur démolition à l'issue de l'évacuation. L'arrêté prescrit toutes mesures nécessaires pour empêcher l'accès et l'usage de cet ensemble de locaux et installations au fur et à mesure de leur évacuation. / Un rapport motivé établi par les services chargés de l'hygiène et de la sécurité placés sous l'autorité du représentant de l'État dans le département et une proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant sont annexés à l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent I. / Le même arrêté précise le délai accordé pour évacuer et démolir les locaux et installations mentionnés au même premier alinéa, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la notification de l'arrêté et de ses annexes aux occupants et aux propriétaires. Lorsque le propriétaire est non occupant, le délai accordé pour procéder à la démolition est allongé de huit jours à compter de l'évacuation volontaire des lieux. À défaut de pouvoir identifier les propriétaires, notamment en l'absence de mention au fichier immobilier ou au livre foncier, la notification les concernant est valablement effectuée par affichage à la mairie de la commune et sur la façade des locaux et installations concernés. / (...) / III.- L'obligation d'évacuer les lieux et l'obligation de les démolir résultant des arrêtés mentionnés aux I et II ne peuvent faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration des délais accordés pour y procéder volontairement, ni avant que le tribunal administratif n'ait statué, s'il a été saisi, par le propriétaire ou l'occupant concerné, dans les délais d'exécution volontaire, d'un recours dirigé contre ces décisions sur le fondement des articles L. 521-1 à L. 521-3 du code de justice administrative. L'État supporte les frais liés à l'exécution d'office des mesures prescrites ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le préfet de Mayotte a pris le 19 septembre 2022, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011, un arrêté par lequel il a ordonné l'évacuation et la démolition des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou. Mme A..., quatre autres requérants, occupants de certaines de ces constructions, et la Ligue des droits de l'homme ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté. Par un mémoire distinct, certains de ces requérants, dont la Ligue des droits de l'homme, ont saisi le juge des référés de la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011. Par une ordonnance du 8 décembre 2022, le juge des référés a décidé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité des dispositions législatives contestées à la Constitution, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de Mayotte du 19 septembre 2022 en tant qu'il concerne Mme A... et les autres requérants personnes physiques et de rejeter comme irrecevables les conclusions de la Ligue des droits de l'homme au motif que cette association ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir.

3. La Ligue des droits de l'homme doit être regardée, eu égard à la teneur de ses écritures, comme demandant l'annulation de cette ordonnance en tant qu'elle rejette, d'une part, sa demande de suspension de l'arrêté du 19 septembre 2022 en tant qu'il concerne les occupants des constructions qu'il vise autres que Mme A... et les autres requérants personnes physiques et en tant qu'elle rejette, d'autre part, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

4. En premier lieu, lorsque, postérieurement à l'introduction d'un recours en cassation dirigé contre une ordonnance du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande de suspension d'une décision administrative, cette décision, qu'elle ait ou non fait l'objet d'une suspension par le juge des référés, a été entièrement exécutée, ce recours devient sans objet.

5. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient, sans être contesté sur ce point, que ceux des occupants des constructions visées par l'arrêté du 19 septembre 2022 qui sont en cause dans le présent litige, c'est-à-dire les occupants autres que Mme A..., M. C..., Mme B..., Mme D... et Mme E..., ont évacué les lieux et qu'il a été procédé le 14 janvier 2022, à l'issue de leur évacuation, à la démolition des constructions qu'ils occupaient. L'arrêté contesté ayant ainsi été entièrement exécuté en tant qu'il concerne ces occupants, le recours en cassation introduit par la Ligue des droits de l'homme le 23 décembre 2022 contre l'ordonnance du 8 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a, dans cette mesure, perdu son objet. Il n'y a dès lors, sur ce point, plus lieu d'y statuer.

6. En second lieu, si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial limité fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

7. En se fondant, pour dénier à l'association requérante, laquelle a un ressort national, un intérêt lui donnant qualité pour agir, sur la seule circonstance que l'arrêté du 19 septembre 2022 contesté, qui a été pris sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011, ne répond pas à une situation susceptible d'être rencontrée en dehors du territoire de Mayotte, sans rechercher si cet arrêté soulève, ainsi que le soutenait la Ligue des droits de l'homme, des questions qui excèdent les seules circonstances locales en raison de ses implications dans le domaine des libertés publiques, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle rejette ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 19 septembre 2022 du préfet de Mayotte contesté, qui est de nature à affecter de façon spécifique l'accès au logement et le respect de la vie privée et familiale d'un nombre important de personnes en situation de précarité occupant sur certaines parties du territoire de Mayotte des habitats informels, soulève, de ce fait, des questions dont la portée excède son seul objet local. Par suite, alors même qu'elle présente un champ d'action national, l'association requérante, qui, aux termes de ses statuts, s'est notamment donnée pour objet la défense des principes énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le combat contre " l'injustice, l'illégalité, l'arbitraire, l'intolérance, toute forme de racisme et de discrimination (...) et plus généralement toute atteinte au principe fondamental d'égalité entre les êtres humains ", justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir à l'encontre de cet arrêté. Le préfet de Mayotte n'est par suite pas fondé à soutenir que les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées comme irrecevables.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser, pour l'ensemble de la procédure, à la Ligue des droits de l'homme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la Ligue des droits de l'homme tendant à l'annulation de l'ordonnance du 8 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'elle rejette sa demande tendant à la suspension de l'arrêté du 19 septembre 2022 du préfet de Mayotte en tant qu'il concerne les occupants des constructions qu'il vise autres que Mme A..., M. C..., Mme B..., Mme D... et Mme E....

Article 2 : L'ordonnance du 8 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée en tant qu'elle rejette les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : L'Etat versera à la Ligue des droits de l'homme la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat et M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Joachim Bendavid

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 469986
Date de la décision : 19/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2023, n° 469986
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Joachim Bendavid
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469986.20230719
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