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13/07/2023 | FRANCE | N°457724

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 13 juillet 2023, 457724


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 octobre et 1er décembre 2021, le 28 octobre 2022 et le 13 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Terrachanvre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 avril 2021 portant extension d'un accord interprofessionnel conclu dans le cadre de l'association interprofessionnelle du chanvre applicable aux campagnes 2020/2021, 2021/2022 et 2022/2023 ainsi que la dé

cision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agricult...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 octobre et 1er décembre 2021, le 28 octobre 2022 et le 13 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Terrachanvre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 avril 2021 portant extension d'un accord interprofessionnel conclu dans le cadre de l'association interprofessionnelle du chanvre applicable aux campagnes 2020/2021, 2021/2022 et 2022/2023 ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur son recours gracieux en date du 24 juin 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet François Pinet, avocat de la société Terrachanvre ;

Considérant ce qui suit :

1. Après la conclusion, le 20 janvier 2021, d'un accord interprofessionnel applicable aux campagnes 2020/21, 2021/22 et 2022/23 (récolte 2023) instaurant deux cotisations assises sur le tonnage de semences de chanvre certifiées et inscrites au catalogue européen et utilisées en France, l'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre, reconnue organisation interprofessionnelle au sens de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime pour le secteur du chanvre, a saisi le ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'une demande d'extension de cet accord. La société Terrachanvre demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 19 avril 2021 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie, des finances et de la relance portant extension de cet accord, ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les ministres sur son recours gracieux en date du 24 juin 2021.

2. D'une part, aux termes de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. / (...) 3. Une organisation ou association est considérée comme représentative lorsque, dans la ou les circonscriptions économiques concernées d'un État membre, elle représente : a) en proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés: i) pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, au moins 60 % ; ou ii) dans les autres cas, au moins deux tiers ; et b) dans le cas des organisations de producteurs, plus de 50 % des producteurs concernés. Toutefois, lorsque, dans le cas des organisations interprofessionnelles, la détermination de la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, un État membre peut fixer des règles nationales afin de déterminer le niveau précis de représentativité visé au premier alinéa, point a) ii) (...) ". Aux termes de l'article 165 du même règlement : " Dans le cas où les règles d'une organisation de producteurs reconnue, d'une association d'organisations de producteurs reconnue ou d'une organisation interprofessionnelle reconnue sont étendues au titre de l'article 164 et lorsque les activités couvertes par ces règles présentent un intérêt économique général pour les opérateurs économiques dont les activités sont liées aux produits concernés, l'État membre qui a accordé la reconnaissance peut décider, après consultation des acteurs concernés, que les opérateurs économiques individuels ou les groupes d'opérateurs non membres de l'organisation qui bénéficient de ces activités sont redevables à l'organisation de tout ou partie des contributions financières versées par les membres, dans la mesure où ces dernières sont destinées à couvrir les coûts directement liés à la conduite des activités concernées ".

3. D'autre part, l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ". L'article L. 632-4 du même code dispose que : " (...) L'extension des accords est également subordonnée au respect des conditions prévues par le droit de l'Union européenne applicable à ces accords. / Pour l'application de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (...), la représentativité des organisations interprofessionnelles est appréciée en tenant compte de la structuration économique de chaque filière. Les volumes pris en compte sont ceux produits, transformés ou commercialisés par les opérateurs professionnels auxquels sont susceptibles de s'appliquer les obligations prévues par les accords. En outre, lorsque la détermination de la proportion du volume de la production ou de la commercialisation ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, l'organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d'affaires. / Pour la production, ces conditions sont présumées respectées lorsque des organisations syndicales d'exploitants agricoles représentant au total au moins 70 % des voix aux élections des chambres d'agriculture participent à l'organisation interprofessionnelle, directement ou par l'intermédiaire d'associations spécialisées adhérentes à ces organisations. / Pour tout secteur d'activité, ces conditions sont présumées respectées lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné (...) ". Aux termes de l'article D. 632-4-4 du même code : " La composition et les modalités de dépôt des dossiers de demande d'extension d'accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle ainsi que les modalités de la consultation prévue par l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de l'économie, du budget et de l'outre-mer ". Enfin, l'article 2 de l'arrêté du 26 février 2015 relatif aux demandes d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue dispose que : " Le dossier de demande d'extension d'un accord interprofessionnel doit comprendre : / (...) 8. Le document joint au présent arrêté (annexe 1) dûment renseigné et signé par les familles professionnelles ou le président de l'organisation interprofessionnelle dans le cas d'une demande d'extension d'un accord portant sur une cotisation. Ce document a vocation à figurer en annexe d'un avis qui fera l'objet d'une publication au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture (BO-agri) conformément à la procédure mise en œuvre pour consulter les acteurs concernés (...) " et son article 3 dispose que : " La consultation des acteurs concernés lors d'une demande d'extension d'un accord en application de l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 susvisé est réalisée par une publication pendant trois semaines au Bulletin officiel du ministère chargé de l'agriculture (BO-agri) d'un avis, auquel est annexé le document mentionné au point 8 de l'article 1. Les observations des acteurs concernés sur les actions menées par l'organisation interprofessionnelle et financées par ces contributions sont adressées par écrit ou/et par voie électronique, conformément aux dispositions de l'avis publié, dans le délai de trois semaines prévu pour la consultation ". Il ressort des termes de ce même arrêté que le document qui lui est annexé comporte une partie I intitulée : " Objet et description des actions prévisionnelles financées par les cotisations interprofessionnelles (conformément à la liste d'actions déclinées à l'article 164 (4) du règlement n° 1308/2013) " et une partie II intitulée : " Modalités de financement par les contributions des acteurs concernés ".

4. En premier lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'en application des dispositions citées aux points 2 et 3, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a organisé, par la publication d'un avis au Bulletin officiel du ministère de l'agriculture du 25 février 2021, la consultation des acteurs concernés par la demande d'extension de l'accord conclu le 20 janvier 2021 dans le cadre de l'association interprofessionnelle du chanvre, lesquels ont eu la possibilité, pendant une durée de trois semaines, de formuler des observations sur cette demande. Si, comme le soutient la société Terrachanvre et ainsi que le reconnaît le ministre en défense, le document annexé à cet avis ne comportait que la partie I retraçant les actions prévues dans l'accord interprofessionnel et le budget qu'il était prévu d'y consacrer, mais pas sa partie II présentant les modalités de financement de ces actions par les contributions des acteurs concernés, il ressort toutefois des pièces du dossier, ainsi que l'établit l'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre, que ces informations étaient disponibles sur le site Internet de l'association à compter du 3 février 2021 et pendant toute la période de la consultation officielle des acteurs concernés. Dans ces conditions, et alors que l'avis publié mettait les acteurs concernés par la consultation, qui doivent être regardés comme des professionnels avertis, en mesure de demander communication du texte de l'accord dont l'extension était envisagée ou de prendre connaissance sur le site Internet d'InterChanvre des informations relatives au montant des contributions destinées à financer les actions prévues par l'accord, l'absence de publication de la partie II du document annexé à l'avis de consultation n'a, dans les circonstances de l'espèce, ni exercé une influence sur le sens de la décision prise, ni porté atteinte à la garantie constituée par la consultation prévue à l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier des éléments qui ont été produits en défense par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ainsi que par InterChanvre et qui ne sont pas sérieusement contestés par la requérante, que l'interprofession, composée d'un collège des producteurs et d'un collège des transformateurs, représente, à travers ses adhérents, plus de 90 % des volumes de graines et de paille de chanvre produites et environ 90 % des graines et de la paille de chanvre transformées. Elle peut, dès lors, être regardée comme représentant au moins les deux tiers des volumes de production et de transformation des graines et de paille de chanvre. Il n'est pas contesté qu'elle représente plus de 50% des producteurs concernés. Elle satisfait donc aux conditions posées par l'article 164, paragraphe 3, sous a), ii), du règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, reprises par l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime, et doit, dès lors, être regardée comme une organisation interprofessionnelle représentative, au sens de ces dispositions, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le respect des critères subsidiaires ou alternatifs prévus par ces dispositions.

7. En troisième lieu, la société requérante conteste les modalités de prélèvement des cotisations interprofessionnelles prévues par l'article 2-2 de l'accord interprofessionnel du 20 janvier 2021 étendu par l'arrêté litigieux, en tant qu'elles diffèrent selon que le producteur est adhérent ou non à l'Union des Transformateurs de Chanvre. Comme le fait valoir le ministre en défense, les stipulations contestées ont pour effet de prévoir que les producteurs s'acquittent de leurs cotisations lors de l'achat des semences, soit auprès des établissements multiplicateurs pour les producteurs non adhérents à l'Union des Transformateurs de Chanvre, soit auprès des chanvrières pour les producteurs membres de cette union, et fixent deux modalités distinctes de versement à l'interprofession des sommes collectées auprès des producteurs, en l'occurrence deux acomptes versés en janvier et septembre d'une année donnée pour les établissements multiplicateurs ou deux acomptes versés en novembre et février de l'année suivante pour les chanvrières. Il résulte de ce qui précède que les modalités de versement des cotisations sont identiques pour tous les producteurs, puisque c'est lors de l'achat de semences qu'ils doivent s'acquitter de celles-ci, les modalités de reversement des cotisations à l'interprofession par les établissements multiplicateurs ou les chanvrières étant sans incidence pour les producteurs. Par suite, d'une part, la société requérante ne peut utilement soutenir que les stipulations contestées caractériseraient une rupture du principe d'égalité entre producteurs. D'autre part, elle n'est pas fondée à soutenir que ces stipulations, en tant que telles, conduiraient à procurer aux producteurs adhérents à l'Union des Transformateurs de Chanvre un avantage financier constitutif d'une discrimination prohibée par l'article 210 du règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ou, en tout état de cause, d'une aide d'Etat prohibée par l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Terrachanvre n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque et de la décision implicite par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ont rejeté son recours gracieux contre cet arrêté.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la société Terrachanvre soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Terrachanvre la somme que demande l'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Terrachanvre est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Terrachanvre, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2023

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 457724
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2023, n° 457724
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Autret
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:457724.20230713
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