La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2023 | FRANCE | N°436864

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 12 juillet 2023, 436864


Vu les procédures suivantes :

Par une requête, un nouveau mémoire, un mémoire en réplique et quatre nouveaux mémoires, enregistrés le 18 décembre 2019, le 25 juillet 2020, les 7 avril et 8 octobre 2021, les 24 juin, 1er août et 22 novembre 2022 et le 20 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SPS Betting France limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'Etat sur la société La Française des jeux ; <

br>
2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'E...

Vu les procédures suivantes :

Par une requête, un nouveau mémoire, un mémoire en réplique et quatre nouveaux mémoires, enregistrés le 18 décembre 2019, le 25 juillet 2020, les 7 avril et 8 octobre 2021, les 24 juin, 1er août et 22 novembre 2022 et le 20 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SPS Betting France limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'Etat sur la société La Française des jeux ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 ;

- le décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-42/07 du 8 septembre 2009, n° C-203/08 du 3 juin 2010, n° C-212/08 du 30 juin 2011 et n° C-284/12 du 21 novembre 2013;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux (LFDJ) et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution. Le IV du même article a autorisé le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à prendre par ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi afin, d'une part, de préciser le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, de définir les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'Etat sur leur titulaire, et, d'autre part, de redéfinir les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a adopté l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard. La société SPS Betting France limited demande à titre principal l'annulation du décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'Etat sur la société La Française des jeux, qui a été pris pour son application, et à titre subsidiaire l'abrogation du même décret.

Sur la légalité externe :

2. Lorsque, comme en l'espèce, un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Le respect de cette exigence doit être apprécié par ensemble de dispositions ayant un rapport entre elles. Il ressort de l'examen des pièces versées au dossier par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique que le texte du décret attaqué ne contient pas de disposition qui diffèrerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Ainsi, aucune méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat du projet de décret ne saurait être retenue.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

3. L'article L. 320-1 du code de la sécurité intérieure, créé par l'article 2 de l'ordonnance du 2 octobre 2019, prohibe les jeux d'argent et de hasard, sous réserve des dérogations prévues à l'article L. 320-6 du même code, parmi lesquelles figurent les jeux de loterie et les paris sportifs en réseau physique de distribution. En vertu de l'article 15 de l'ordonnance, le monopole d'exploitation de ces jeux a été confié à la société LFDJ pour une durée de 25 ans, en contrepartie du versement par celle-ci d'une indemnité à l'Etat dans les conditions prévues par l'article 17 de l'ordonnance. Conformément à l'article L. 320-4 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la même ordonnance, l'offre de jeu de la société LFDJ, comme celle de tout opérateur de jeux autorisé, doit contribuer " à canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique et à prévenir le développement d'une offre illégale de jeux d'argent " et concourir aux objectifs de la politique de l'Etat en matière de jeux d'argent et de hasard mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 320-3 du même code, à savoir prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs, assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu et prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

4. L'ordonnance du 2 octobre 2019 a, par ailleurs, délimité le périmètre des jeux de loterie sous monopole et a prévu qu'un cahier des charges et une convention conclue avec l'Etat encadrent l'organisation et l'exploitation des droits exclusifs octroyés à la société LFDJ, dont les statuts sont approuvés par décret. Un commissaire du Gouvernement, placé auprès de cette société, s'assure que ses activités sont conformes aux objectifs mentionnés à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure et peut s'opposer à une délibération de son conseil d'administration pour des motifs tirés de la méconnaissance de ces objectifs. Ses dirigeants sont nommés après agrément des ministres chargés de l'économie et du budget. La société LFDJ est soumise au contrôle économique et financier de l'Etat et à celui de la Cour des comptes. Elle est également soumise au contrôle de l'Autorité nationale des jeux, autorité administrative indépendante chargée notamment, par l'article 34 de la loi du 12 mai 2010 dans sa rédaction issue de l'ordonnance, du respect des objectifs de la politique des jeux définis à l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure et de la surveillance des opérations des jeux d'argent et de hasard sous droits exclusifs. En vertu de l'article 34 de la loi du 12 mai 2010, dans sa rédaction issue de l'article 12 de l'ordonnance du 2 octobre 2019, la société LFDJ doit soumettre, chaque année, à l'approbation de cette Autorité un document présentant sa stratégie promotionnelle et son programme des jeux et paris et rendre compte de l'exécution de l'année précédente. L'exploitation des jeux sous droits exclusifs est également soumise à autorisation préalable de l'Autorité nationale des jeux. Cette autorisation peut être suspendue ou retirée par l'Autorité si les conditions qui ont permis son autorisation ne sont plus réunies, ou par le ministre chargé du budget pour des motifs tirés de la sauvegarde de l'ordre public. L'Autorité homologue également les règlements des jeux autorisés de la société LFDJ. Comme tous les opérateurs de jeux, la société LFDJ doit enfin soumettre, chaque année, conformément aux cadres ministériels de référence, à l'approbation de l'Autorité un plan d'actions en vue de prévenir le jeu excessif et le jeu des mineurs et rendre compte de la mise en œuvre du plan précédent. Il en va de même en matière de lutte contre la fraude, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le cahier des charges de la société LFDJ, approuvé par le décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019, détaille les obligations mises à sa charge afin de contribuer aux objectifs de la politique de l'Etat en matière de jeux, en particulier à la protection des mineurs et à la lutte contre le jeu excessif. L'article 8 du décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019, désormais repris à l'article D. 322-14 du code de la sécurité intérieure, fixe respectivement à 40 et 100 le nombre de jeux qui peuvent être simultanément exploités en réseau physique de distribution et en ligne par la société LFDJ. L'espérance mathématique de gain des jeux fait l'objet d'un encadrement défini par décret. Si le nombre de points de distribution relevant du réseau physique de la société LFDJ n'a pas été limité, l'arrêté du 31 octobre 2019 a fixé le maximum d'une seule borne de jeux de loterie et d'une seule borne de paris sportif par point de vente.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'octroi des droits exclusifs porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services :

5. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. (...) ". Aux termes de l'article 56 du même traité : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ".

6. Une législation nationale autorisant les jeux d'argent de façon limitée ou dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, en ce qu'elle restreint l'exercice d'une activité économique, porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services. Toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité ou si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l'individu et la société susceptibles de résulter de la pratique des jeux de hasard. Même justifiée, l'entrave ne peut, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 30 juin 2011, Zeturf Ltd, n° C-212/08, être acceptée que si les mesures restrictives sont proportionnées à la réalisation des objectifs invoqués, c'est-à-dire si elles sont propres à garantir ces objectifs et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre. Ainsi que l'a relevé la Cour de justice dans ses arrêts n° C-42/07 du 8 septembre 2009 et n° C-212/08 du 30 juin 2011, un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs de jeux de hasard peut être fondé à considérer que seul l'octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics est de nature à permettre de maîtriser les risques propres à cette activité et de poursuivre une politique efficace de lutte contre le jeu excessif. Dans ce cas, il incombe au juge national de rechercher si les contrôles auxquels l'organisme bénéficiant d'un droit exclusif est soumis sont effectivement mis en œuvre de manière cohérente et systématique pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés et si la politique menée par celui-ci, si elle peut impliquer l'offre d'une gamme de jeux étendue, une publicité d'une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution, n'est pas pour autant expansionniste.

7. Les dispositions mentionnées ci-dessus, qui réservent à la société LFDJ l'exercice de l'activité économique que constitue l'exploitation des jeux de loterie et des jeux de pronostics sportifs sur le territoire national par l'intermédiaire d'un réseau physique de détaillants, si elles n'instaurent pas d'inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, dès lors qu'elles s'appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles de proposer des jeux de loterie, quelle que soit leur nationalité, peuvent cependant être de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d'un des Etats membres de l'Union européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l'exploitation des jeux de hasard et faire obstacle à leur liberté d'établissement.

Quant aux objectifs d'intérêt général poursuivis :

8. Si la requérante soutient, par la voie de l'exception, qu'en instituant un cadre favorable au développement de la société LFDJ, l'ordonnance du 2 octobre 2019 viserait uniquement à favoriser la valorisation de la société LFDJ dans la perspective du transfert au secteur privé de la majorité de son capital, il ressort cependant des pièces du dossier que ces dispositions ont pour objet la protection de la santé et de l'ordre public en raison des risques avérés de jeu excessif, de fraude et d'exploitation des jeux de loterie à des fins criminelles, par la limitation des jeux et leur organisation par une société privée étroitement contrôlée par l'Etat. Ces objectifs constituent des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier une limitation à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement.

Quant à l'absence de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable :

9. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt Sporting Exchange Limited, n° C-203/08, du 3 juin 2010, l'attribution d'un monopole à un opérateur unique, sans mise en œuvre d'une procédure transparente d'octroi, constitue une restriction à la liberté fondamentale d'établissement et à la libre prestation de services consacrées par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, ainsi que l'a relevé la Cour, une telle restriction peut n'être pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par la loi, notamment si le bénéficiaire du monopole est un opérateur privé sur les activités duquel l'Etat est en mesure d'exercer un contrôle étroit.

10. Dès lors, eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur en l'espèce, qui ont été rappelés au point 8 ci-dessus, et aux caractéristiques particulières de la société LFDJ, en particulier au contrôle étroit, détaillé au point 4, que les dispositions mentionnées ci-dessus permettent à l'Etat d'exercer sur ses activités, qui résulte notamment de l'encadrement, par un cahier des charges et une convention conclue avec l'Etat, de l'organisation et de l'exploitation des droits exclusifs qui lui sont octroyés, du placement auprès de cette société d'un commissaire du Gouvernement et de l'agrément de ses dirigeants par les ministres chargés de l'économie et du budget, mais aussi du contrôle spécifique exercé par l'Autorité nationale des jeux sur LFDJ, dont l'Autorité doit approuver chaque année la stratégie promotionnelle et le programme de jeux et de paris et dont l'exploitation des jeux sous droits exclusifs est soumise à l'autorisation préalable de cette Autorité, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de ce que, en lui octroyant des droits exclusifs sans procédure préalable transparente, l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 aurait été adopté en méconnaissance de l'obligation de transparence prévue par le droit de l'Union européenne doit être écarté.

Quant à la nécessité des droits exclusifs :

11. En premier lieu, la circonstance que le législateur ait, par la loi du 12 mai 2010, afin de lutter contre le développement incontrôlé de l'offre illégale de jeux et de paris sur internet, décidé de légaliser l'offre de paris en ligne et de l'encadrer en ouvrant à la concurrence les jeux et paris faisant appel au savoir-faire des joueurs tout en maintenant un monopole national sur les autres jeux et paris proposés dans les réseaux physiques de distribution et sur les jeux de loterie en ligne, n'est pas de nature à affecter la cohérence de la politique de l'Etat en la matière, eu égard aux objectifs légitimes poursuivis d'encadrement et de canalisation de l'offre de jeux afin d'en limiter l'expansion.

12. En second lieu, la requérante soutient, par la voie de l'exception, qu'une ouverture à la concurrence à un nombre limité d'opérateurs agréés, sous le contrôle de l'Autorité nationale des jeux, permettrait de poursuivre les objectifs fixés par l'article L. 320-3 du code de la sécurité intérieure sans porter atteinte à la libre prestation de service et à la liberté d'établissement. Comme l'a relevé la Cour de justice, notamment dans son arrêt n° C390/12 du 30 avril 2014, " à la différence de l'instauration d'une concurrence libre et non faussée au sein d'un marché traditionnel, l'application d'une telle concurrence dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c'est-à-dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux de hasard, est susceptible d'entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d'inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques de dépendance de ces derniers ". Il en résulte que le système de droits exclusifs attribués à un seul opérateur institué par la loi peut être regardé comme participant à une progression limitée tant du nombre de jeux proposés que du nombre de points de vente et canalisant l'exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, ce qui est de nature à assurer une meilleure maîtrise des risques liés aux jeux de hasard et à poursuivre l'objectif de lutte contre la dépendance au jeu de manière plus efficace qu'un régime d'ouverture à la concurrence d'opérateurs privés, fussent-ils assujettis à un système d'autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions.

Quant à la proportionnalité et à la cohérence du dispositif :

13. En premier lieu, la requérante soutient, par la voie de l'exception, que la durée des droits exclusifs de la société LFDJ, qui a été fixée à 25 ans par l'article 15 de l'ordonnance du 2 octobre 2019, est excessive. Toutefois, il était loisible à l'Etat, qui a considéré que seul l'octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit des pouvoirs publics était de nature à lui permettre d'assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs de jeux de hasard, d'octroyer à la société LFDJ des droits exclusifs, en sachant qu'il lui appartient de s'assurer, pendant toute la période pour laquelle ces droits ont été octroyés, que les mesures restrictives qu'il a ainsi instituées restent proportionnées à la réalisation des objectifs fixés et, dans le cas contraire, d'y mettre fin.

14. En deuxième lieu, la requérante soutient, par la voie de l'exception, que la société LFDJ développe une stratégie d'expansion de son offre de jeux et de son réseau de distribution qui compromet le respect des objectifs d'ordre et de santé publics qui lui sont assignés et que le contrôle que l'Etat exerce sur cette société n'est, du fait de sa privatisation, pas suffisant pour limiter l'expansion par LFDJ de son activité. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, si la politique de développement des jeux de loterie offerts par la société LFDJ se caractérise par un certain dynamisme, les obligations et les restrictions qui sont imposées à cette société, s'agissant en particulier du plafonnement du nombre de jeux susceptibles d'être exploités simultanément et de l'encadrement de l'espérance mathématique de gain, ainsi que les modalités de contrôle renforcées exercées sur son activité tant par les représentants de l'Etat que par l'Autorité nationale des jeux, permettent d'orienter sa politique promotionnelle et de s'assurer que son offre de jeux reste quantitativement limitée et qualitativement aménagée. Ces mesures sont, à la date du décret attaqué, de nature à éviter l'exploitation de jeux susceptibles de provoquer le développement de pratiques excessives tout en offrant la possibilité à la société LFDJ d'adapter et de diversifier son offre de jeux afin de répondre aux évolutions des attentes de ses clients, de façon à les détourner des circuits illégaux.

15. En troisième lieu, la requérante fait valoir, par la voie de l'exception, que le périmètre des droits exclusifs de la société LFDJ ne serait pas défini de façon suffisamment précise, ce qui lui ouvrirait des possibilités de développement illimité dans des conditions incompatibles avec l'objectif de limitation et d'encadrement de l'offre de jeux, dès lors que celle-ci est par ailleurs désormais soumise à des exigences de rentabilité accrues du fait de sa privatisation. Il ressort toutefois de l'article 7 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 que, conformément à l'habilitation donnée au Gouvernement par le 1° du IV de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 pour prendre les mesures de nature législative nécessaires à sa mise en œuvre, les articles L. 322-8 à L. 322-9-3 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction issue de l'ordonnance, définissent de façon claire et détaillée les différents jeux, catégories de jeux et gammes de jeux sous droits exclusifs confiés à la société LFDJ, qui correspondent d'ailleurs au périmètre des jeux que cette société était déjà autorisée à exploiter sous l'empire des textes antérieurs à la loi du 22 mai 2019. Si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que la société LFDJ modernise et diversifie à l'avenir son offre de jeux en fonction notamment des évolutions technologiques et des attentes du public, dans la limite des plafonds fixés par le décret du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain et sous réserve des autorisations d'exploitation de jeu accordées par l'Autorité nationale des jeux, elles ne sauraient être regardées comme permettant à la société LFDJ de développer, au titre de son monopole, des jeux qui relèveraient des segments de jeux et de paris ouverts à la concurrence.

16. En quatrième lieu, la requérante soutient, par la voie de l'exception, que les dispositions du 2° de l'article L. 322-9-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019, qui autorisent la société LFDJ à proposer des " jeux à aléa immédiat, pour lesquels l'intervention du hasard, générée à la demande individuelle du joueur, résulte d'une action de celui-ci ", permettraient à la société LFDJ de développer des " machines à sous en ligne ", lesquelles présentent un important risque d'addiction. Toutefois, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'autoriser l'exploitation par la société LFDJ de " machines à sous en ligne ", laquelle ne figure pas au nombre des dérogations au principe de prohibition des jeux d'argent et de hasard que pose l'article L. 320-1 du code de la sécurité intérieure.

17. En cinquième lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 320-9 du code de la sécurité intérieure : " Les opérateurs de jeux d'argent et de hasard exploités en ligne ou sur des terminaux d'enregistrement physique sans intermédiation humaine au moyen d'un compte sont tenus de faire obstacle à la participation aux activités de jeu qu'ils proposent des personnes interdites de jeu en vertu des dispositions de l'article L. 320-9-1. / Les opérateurs de jeux d'argent et de hasard mentionnés aux 3°, 4° et 5° de l'article L. 320-6 s'assurent périodiquement que les personnes réalisant des opérations de jeux dans les postes d'enregistrement de jeux de loterie, de jeux de paris sportifs ou de paris hippiques au moyen d'un compte ne sont pas interdites de jeu en vertu de l'article L. 320-9-1. Tout compte joueur dont le titulaire est interdit de jeu est clôturé ". Aux termes de l'article L. 320-9-1 du même code : " I.- Une interdiction de jeux peut être prononcée par l'autorité administrative compétente à l'égard des personnes dont le comportement est de nature à troubler l'ordre, la tranquillité ou le déroulement normal des jeux. / L'interdiction administrative de jeux s'applique à l'égard des jeux d'argent et de hasard proposés : / 1° Dans les casinos ; / 2° Sur les sites de jeux en ligne autorisés en vertu de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne ; / 3° Sur le site de jeux en ligne de la personne morale unique titulaire de droits exclusifs mentionnée à l'article 137 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ; / 4° Sur les terminaux de jeux sans intermédiation humaine mentionnés au premier alinéa de l'article L. 320-9 ; / 5° Sur les postes d'enregistrement mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 320-9. / Elle est prononcée pour une durée maximale de cinq ans. / II.- Toute personne peut engager des démarches auprès de l'autorité administrative compétente afin d'empêcher sa participation à des jeux d'argent et de hasard. / L'interdiction volontaire de jeux s'applique à l'égard des jeux d'argent et de hasard visés aux 1° à 4° du I. / Elle est prononcée pour une durée de trois ans renouvelable tacitement ".

18. Il résulte de la combinaison des articles L. 320-9 et L. 320-9-1 du code de la sécurité intérieure que seuls les opérateurs qui proposent des jeux en ligne ou sur des terminaux d'enregistrement physique sans intermédiation humaine au moyen d'un compte sont tenus de contrôler qu'une personne qui souhaite accéder à leur offre de jeux ne fait pas l'objet d'une interdiction administrative de jeu. Une telle obligation ne s'applique donc pas aux jeux de loterie vendus par la société LFDJ en réseau physique de distribution directement ou par l'utilisation d'un terminal d'enregistrement physique sans utilisation d'un compte personnel. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne saurait toutefois être déduit de cette différence, qui s'explique par des considérations techniques liées à la possibilité dont disposent les opérateurs proposant des jeux en ligne ou sur des terminaux d'enregistrement physique sans intermédiation humaine au moyen d'un compte de contrôler, de façon automatique, grâce à un système d'information, l'identité du joueur lors de la création du compte et à chaque connexion à celui-ci, que le cadre normatif mis en place ne serait pas propre à garantir que le titulaire du monopole sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, les objectifs de santé publique qui lui sont assignés. En revanche, la requérante, dont les écritures ne sont pas contestées en défense sur ce point, est fondée à soutenir qu'aucune différence objective ne justifie que l'interdiction volontaire de jeux ne s'applique pas, contrairement à l'interdiction administrative de jeux, à l'égard des jeux d'argent et de hasard visés au 5° du I de l'article L. 320-9-1, soit aux jeux proposés sur les postes d'enregistrement de jeux de loterie, de jeux de paris sportifs ou de paris hippiques et que, dans cette mesure, les règles applicables ne permettent pas d'atteindre de façon cohérente l'objectif de lutte contre le jeu excessif. Si le Conseil d'Etat a, pour ces motifs, par une décision du 14 avril 2023 (n° 436434, 436450, 436814, 436822, 436866), annulé l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 en tant qu'elle ne prévoit pas que le deuxième alinéa du II de l'article L. 320-9-1 du code de la sécurité intérieure s'applique au 5° du I du même article, la circonstance que le Conseil d'Etat ait procédé à cette annulation est toutefois sans incidence sur la légalité du décret attaqué.

19. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 320-8 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 2 octobre 2019 : " Les opérateurs de jeux d'argent et de hasard légalement autorisés sont tenus de faire obstacle à la participation de mineurs, même émancipés, aux activités de jeu ou de pari qu'ils proposent. Il est interdit de vendre ou d'offrir gratuitement à des mineurs des jeux d'argent et de hasard mentionnés aux 1°, 3°, 4°, 5° et 6° de l'article L. 320-6. Sur les hippodromes et dans les postes d'enregistrement de jeux de loterie, de jeux de paris sportifs ou de paris hippiques mentionnés aux 3°, 4° et 5° de l'article L. 320-6, la personne physique qui commercialise directement auprès du client les jeux d'argent et de hasard peut exiger du client qu'il établisse la preuve de sa majorité. L'accès aux terminaux de jeux sans intermédiation humaine permettant l'engagement de jeux relevant du 3° ou 4° de l'article L. 320-6 est réservé aux joueurs dont l'identité et la date de naissance ont été préalablement vérifiées aux fins de contrôle de leur majorité ". L'article L. 324-6 du code de la sécurité intérieure punit " d'une amende de 100 000 euros le fait, pour un opérateur de jeux d'argent et de hasard : (...) 2° De permettre un accès direct aux dispositifs de jeu sans intermédiation humaine à un joueur dont l'identité et la date de naissance n'ont pas été préalablement vérifiées conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 320-8 ".

20. Il résulte des dispositions précitées qu'un contrôle systématique de la majorité du joueur doit être assuré par la société LFDJ et le PMU pour l'accès aux terminaux de jeux sans intermédiation humaine dans leur réseau physique de distribution, sous peine de sanction pénale. L'article L. 320-8 du code de la sécurité intérieure doit également être interprété comme imposant à la personne physique qui commercialise directement auprès du client les jeux d'argent et de hasard sous droits exclusifs l'obligation d'exiger du client qu'il établisse la preuve de sa majorité en cas de doute sur son âge. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que, faute de soumettre les opérations de jeux à la lecture automatisée d'un document d'identité afin de s'assurer que les joueurs sont majeurs, l'ordonnance du 2 octobre 2019 ne permettrait pas de garantir le respect, de façon cohérente et systématique, de l'objectif de prévention contre le jeu des mineurs que l'Etat a assigné au titulaire du monopole.

21. En septième lieu, le moyen tiré de ce que la réglementation en matière de prévention des activités frauduleuses serait insuffisante n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

22. En dernier lieu, la circonstance que la législation et la réglementation ne prévoient pas expressément la possibilité pour le législateur de prononcer la déchéance des droits exclusifs de la société LFDJ ne saurait, compte tenu de ce qui a été dit au point 13 ci-dessus, être regardée comme y faisant obstacle et n'est pas de nature à affecter la légalité du décret attaqué.

23. Il résulte de ce qui est dit ci-dessus que la requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait illégal au motif que l'ordonnance du 2 octobre 2019 ne serait pas conforme aux dispositions des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre :

24. D'une part, dès lors que le monopole attribué à la société LFDJ a été institué par l'article 137 de la loi du 22 mai 2019, le moyen tiré de la violation, par l'ordonnance du 2 octobre 2019, de la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne peut être utilement invoqué, par la voie de l'exception, à l'encontre du décret attaqué.

25. D'autre part, aux termes de l'article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent (...) aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Le moyen tiré de la méconnaissance, par l'ordonnance du 2 octobre 2019, de l'article 16 de cette Charte, qui garantit la liberté d'entreprendre, ne saurait être utilement invoqué, par la voie de l'exception, à l'encontre du décret attaqué, dès lors que cette ordonnance ne met pas en œuvre le droit de l'Union.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'abus de position dominante :

26. Aux termes de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ". A supposer que l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 ait contribué, en raison des droits exclusifs qu'il prévoit, à assurer à la société LFDJ une position dominante sur le marché des paris en ligne et soit susceptible d'affecter les échanges entre les Etats-membres de l'Union européenne, cette disposition ne serait incompatible avec l'article 102 du traité que si l'entreprise était amenée, par l'exercice du droit exclusif dans les conditions dans lesquelles il lui a été conféré, à exploiter sa position dominante de façon abusive.

27. En premier lieu, la durée d'exploitation du monopole ne constitue pas en elle-même un abus de nature à mettre la société LFDJ en situation de contrevenir aux stipulations précitées du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

28. En second lieu, les dispositions de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 ne mettent pas par elles-mêmes la société LFDJ en situation d'abuser de manière automatique de sa position dominante, en exploitant indûment, par exemple, comme le soutient la requérante, sur les marchés concurrentiels des paris sportifs et des jeux de cercle en ligne les moyens et la notoriété qu'elle retire de ses activités sous droits exclusifs ou encore les informations obtenues dans ce cadre sur ses clients et leurs habitudes de jeu.

29. Le moyen tiré, par la voie de l'exception, de la méconnaissance de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :

30. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 13 ci-dessus que la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que l'ordonnance du 2 octobre 2019 méconnaîtrait le principe d'égalité, faute de prévoir la possibilité de déchoir la société LFDJ de ses droits exclusifs, alors que l'agrément des opérateurs de paris en ligne est susceptible de faire l'objet d'une mesure d'abrogation.

31. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les différences de traitement concernant les obligations de contrôle des personnes faisant l'objet d'une interdiction de jeu pesant sur les opérateurs en application des articles L. 320-9 et L. 320-9-1 du code de la sécurité intérieure, selon que l'offre de jeux est ou non accessible en ligne ou par l'intermédiaire d'un poste d'enregistrement avec un compte personnel, sont justifiées par des différences de situation objectives tenant à la possibilité, lorsque l'offre de jeux est disponible en ligne ou par l'intermédiaire d'un poste d'enregistrement avec un compte personnel, de contrôler de façon automatique, grâce à l'utilisation d'un système d'information, l'identité du joueur lors de la création de son compte et à chaque connexion. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que cette différence de traitement, en rapport avec l'objet de la réglementation, ne serait pas justifiée ni proportionnée au regard des motifs qui la justifient.

32. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 20 que l'article L. 320-8 du code de la sécurité intérieure doit être interprété comme imposant à la personne physique qui commercialise directement auprès du client des jeux d'argent et de hasard sous droits exclusifs l'obligation d'exiger du client qu'il établisse la preuve de sa majorité, en cas de doute sur son âge. Le moyen tiré, par la voie de l'exception, de la méconnaissance, par l'ordonnance du 2 octobre 2019, du principe d'égalité, faute d'avoir prévu une obligation de contrôle de la majorité pour la commercialisation des jeux d'argent et de hasard en réseau physique contrairement à celle des autres produits à potentiel addictif, doit donc être écarté.

En ce qui concerne la présence de représentants de l'Etat au sein du collège de l'Autorité nationale des jeux :

33. Aux termes de l'article 35 de la loi du 12 mai 2010, dans sa rédaction issue de l'article 12 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 : " II (...) Un commissaire du Gouvernement nommé par arrêté du ministre chargé du budget assiste, avec voix consultative, aux séances du collège, à l'exception des points de l'ordre du jour portant sur les décisions exclusivement relatives aux opérateurs de jeux ou paris en ligne agréés. Il fait connaitre les positions du Gouvernement. Il est destinataire de l'ordre du jour des séances et des documents afférents ainsi que de tout projet de décision du collège. Il peut demander une réunion extraordinaire de ces instances sur un ordre du jour déterminé. Sauf pour les décisions exclusivement relatives aux opérateurs de jeux ou paris en ligne agréés et pour les décisions prévues au premier alinéa du X de l'article 34 et au II de l'article 43, il peut demander une deuxième délibération au collège, dans les cinq jours suivant la délibération initiale. Il peut se faire communiquer toute information et tout document et demander au collège de l'Autorité de faire procéder à toutes vérifications relatives aux opérateurs entrant dans le champ de compétence de l'Autorité. (...) III.- Pour l'exercice de ses attributions, le collège s'appuie sur trois commissions consultatives permanentes, compétentes respectivement pour la prévention du jeu excessif ou pathologique, pour le contrôle des opérations de jeux et, enfin, pour la lutte contre la fraude et contre le blanchiment des capitaux. Les commissions comprennent, dans des conditions fixées par décret pris après avis de l'Autorité, des membres du collège de celle-ci, des représentants des ministres concernés et des personnalités choisies en raison de leurs compétences. L'Autorité fixe les conditions dans lesquelles les commissions lui apportent son concours. Le commissaire du Gouvernement assiste aux séances des commissions consultatives permanentes ".

34. En premier lieu, dès lors que le principe d'impartialité qui s'impose aux membres d'organismes publics implique uniquement que ceux-ci s'abstiennent de participer aux délibérations lorsqu'ils ont un intérêt personnel à l'affaire qui en est l'objet, la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que la présence d'un commissaire du Gouvernement au sein du collège de l'Autorité nationale des jeux et de représentants de l'Etat dans les commissions consultatives de cet organisme porterait atteinte au principe d'impartialité, au seul motif que l'Etat serait actionnaire de LFDJ.

35. En deuxième lieu, les dispositions précitées, qui prévoient uniquement la présence et le rôle des représentants de l'Etat au sein de l'Autorité nationale des jeux, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au secret des affaires des opérateurs concurrents de la société LFDJ, protégé par les articles L. 151-1 et suivants du code du commerce.

36. En troisième lieu, il est soutenu que la présence de représentants de l'Etat au sein du collège et des commissions de l'Autorité nationale des jeux, instance de régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard, serait de nature à porter une atteinte illégale à la liberté d'établissement et à la libre prestation de service, en raison de la participation de l'Etat au capital de la société LFDJ, concurrente des autres opérateurs du secteur. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le rôle, au sein du collège et des commissions de l'Autorité nationale des jeux, du commissaire du Gouvernement et des représentants des ministres concernés, qui représentent l'Etat et non pas la société LFDJ, est de faire connaître les analyses du Gouvernement s'agissant de la politique en matière des jeux d'argent et de hasard. Ces représentants de l'Etat sont soumis à l'obligation de secret professionnel auquel sont astreintes les personnes qui participent, même occasionnellement, à l'activité de l'Autorité nationale des jeux en application du IV de l'article 36 de la loi du 12 mai 2010 et le commissaire du Gouvernement ne peut, en application des dispositions précitées de l'article 35 de cette même loi, connaître des décisions relatives aux opérateurs de jeux ou paris en ligne agréés non plus que demander au collège de l'Autorité une deuxième délibération en cette matière, comme en ce qui concerne les décisions prévues au premier alinéa du X de l'article 34 et au II de l'article 43 de la même loi. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que l'ordonnance du 2 octobre 2019 n'instituerait pas les garanties nécessaires pour prévenir les risques d'atteintes illégales, par les représentants de l'Etat au sein de l'Autorité nationale des jeux, à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services protégées par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

En ce qui concerne les autres moyens :

37. En premier lieu, si l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi afin " 1° De préciser le périmètre des droits exclusifs (...) et les contreparties dues par la personne morale unique mentionnée au même I au titre de leur octroi ; (...) 3° De définir (...) les modalités du contrôle étroit sur la personne morale unique (...) en prévoyant la conclusion d'une convention entre l'Etat et la personne morale (...) ou le respect par cette même personne d'un cahier des charges défini par l'Etat ", ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'article 16 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 soumette la société LFDJ non seulement à un cahier des charges mais également à une convention, ni à ce qu'elle renvoie au décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 le soin de préciser le contenu de ces actes. Ces dispositions, par ailleurs, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire que le montant du versement mis à la charge de la société LFDJ en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été confiés soit fixé dans le cahier des charges de cette société.

38. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 322-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'article 7 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 : " I.- L'espérance mathématique de gain de chaque jeu, gamme de jeux ou catégorie de jeux de loterie fait l'objet d'un encadrement défini par décret, qui peut porter sur sa valeur minimale, sa valeur maximale, une valeur maximale moyenne sur une période donnée ". Contrairement à ce qui est soutenu, l'ordonnance du 2 octobre 2019, qui n'avait pas à fixer l'espérance mathématique de gain de chaque jeu commercialisé par la société LFDJ, a pu renvoyer à un décret, sans méconnaître, en tout état de cause, le droit à la santé protégé par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le soin de déterminer les fourchettes dans lesquelles le taux de retour au joueur peut être arrêté.

39. En troisième lieu, l'ordonnance du 2 octobre 2019 a également pu, sans méconnaître sa compétence ni, en tout état de cause, la liberté d'entreprendre, se borner à arrêter le principe du versement par la société LFDJ d'une indemnité en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été octroyés, sans en préciser les modalités de calcul.

40. En quatrième lieu, il était loisible à l'auteur de l'ordonnance du 2 octobre 2019, après avoir posé, par ses articles 19 à 23, les principes et les modalités du contrôle étroit de l'Etat sur la société LFDJ, de renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation des modalités d'application de ce contrôle.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'abrogation du décret attaqué :

41. En premier lieu, aux termes de l'article 38 de la Constitution : " Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. / Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. / A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par une loi dans les matières qui sont du domaine législatif ". Le IV de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises a fixé à trois mois, à compter de la publication de l'ordonnance prise sur son fondement, le délai de dépôt devant le Parlement du projet de loi de ratification de cette ordonnance. Il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté que le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de l'ordonnance du 2 octobre 2019 devant l'Assemblée nationale le 30 octobre 2019, soit avant l'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation en application de l'article 38 de la Constitution. Dès lors, la circonstance que, postérieurement à l'expiration de ce délai, le Gouvernement ait retiré le projet de loi de ratification de l'Assemblée nationale et l'ait déposé au Sénat n'est pas de nature à avoir rendu caduque l'ordonnance du 2 octobre 2019.

42. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à la signature de cette ordonnance et de ces décrets devrait conduire à porter une appréciation différente sur les conclusions de la société requérante à fin d'abrogation de celle portée sur ses conclusions à fin d'annulation.

43. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société SPS Betting France limited doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

44. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros à verser à la société La Française des jeux.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société SPS Betting France limited est rejetée.

Article 2 : La société SPS Betting France limited versera à la société La Française des jeux la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à aux sociétés SPS Betting France limited et La Française des jeux, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Amel Hafid, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 12 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

La rapporteure :

Signé : Mme Amel Hafid

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 436864
Date de la décision : 12/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2023, n° 436864
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amel Hafid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:436864.20230712
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award