Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er septembre et 2 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret du 1er juillet 2022 rapportant le décret du 25 octobre 2019 le naturalisant ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des dispositions de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant algérien, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture de Meurthe-et-Moselle le 14 septembre 2018, par laquelle il a indiqué être célibataire et s'est engagé sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret le 25 octobre 2019, publié au Journal officiel de la République française le 27 octobre 2019. Toutefois, par bordereau du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, a été informé de ce que M. B... avait contracté mariage avec Mme A... C..., ressortissante algérienne résidant habituellement à l'étranger, le 19 juin 2018 à Chlef (Algérie). Par décret du 1er juillet 2022, publié au Journal officiel le 2 juillet 2022, la Première ministre a rapporté le décret du 25 octobre 2019 prononçant la naturalisation de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie l'engagement de la procédure de retrait à l'intéressé " qui dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification (...) pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Après l'expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé a perdu la qualité de français ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'intéressé a présenté des observations en défense, dans les conditions énoncées ci-dessus, elles doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci se prononce.
4. Il ressort des visas du décret attaqué que les observations en défense de M. B..., produites le 5 novembre 2021, ont été portées à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci ne rende son avis conforme, le 7 juin 2022. Dès lors, le moyen selon lequel la procédure suivie aurait été irrégulière doit être écarté.
5. En deuxième lieu, ni la procédure rappelée au point 3, ni le respect des droits de la défense qu'elle met en œuvre n'implique la communication à l'intéressé du compte-rendu de l'entretien d'assimilation ayant précédé sa naturalisation. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret du 1er juillet 2022 méconnaît les droits de la défense doit être écarté.
6. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs au mariage de l'intéressé, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 27 juillet 2020, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 1er juillet 2022, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27 2 du code civil.
7. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a contracté mariage le 19 juin 2018 à Chlef (Algérie) avec Mme A... C..., ressortissante algérienne résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage aurait dû être porté à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. Si M. B... soutient qu'il était de bonne foi, ainsi que le démontre sa demande de regroupement familial, antérieure à sa naturalisation, en faveur de son épouse, transmise à l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 2 juillet 2019, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 20 février 2019, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée, en particulier de la nécessité de déclarer un mariage conclu en France ou à l'étranger ainsi qu'il ressort du formulaire qu'il a rempli et signé. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale, alors même que, postérieurement au décret le naturalisant, son mariage a été dissous. Son insertion professionnelle et sa bonne intégration sont, par ailleurs, sans incidence sur le caractère frauduleux des déclarations au vu desquelles la nationalité française lui avait été accordée. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.
9. En cinquième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle est intervenu le décret attaqué et aux motifs qui le fondent, à la Première ministre, qui a procédé au contrôle de proportionnalité exigé par le droit de l'Union européenne, de rapporter légalement le décret accordant à M. B... la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'il aurait perdu la nationalité algérienne.
10. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. B... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 1er juillet 2022 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 25 octobre 2019. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 juin 2023 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 11 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
La secrétaire :
Signé : Mme Catherine Xavier