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10/07/2023 | FRANCE | N°461669

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 10 juillet 2023, 461669


Vu la procédure suivante :

Mme A... C..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 61 465,32 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2016 et de la capitalisation des intérêts. Par un jugement n° 1701636 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 19PA02946 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères contre ce jugement.

Par

un pourvoi, enregistré le 17 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil ...

Vu la procédure suivante :

Mme A... C..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser la somme de 61 465,32 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2016 et de la capitalisation des intérêts. Par un jugement n° 1701636 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 19PA02946 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 17 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a travaillé du 1er juillet 2003 au 7 décembre 2005 comme attachée au secrétariat à l'Ambassade de la République démocratique du Congo à Paris. Par un arrêt du 11 septembre 2008, la cour d'appel de Paris a condamné la République démocratique du Congo à verser à Mme C... la somme de 38 584 euros au titre de salaires et de diverses indemnités dues à la suite de son licenciement le 7 décembre 2005, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des frais de justice. Pour obtenir le recouvrement de cette somme, Mme C... a fait procéder, le 28 novembre 2013, à une saisie-attribution à l'encontre de l'ambassade de cet Etat. Par un arrêt du 16 avril 2015, la cour d'appel de Paris a ordonné la mainlevée de cette saisie, après avoir constaté l'immunité d'exécution dont se prévalait l'ambassade. Par un courrier du 26 octobre 2016, Mme C... a demandé au ministre de l'économie et des finances le versement d'une somme de 61 465,32 euros correspondant au montant total des sommes mises à la charge de la République démocratique du Congo par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 septembre 2008, augmenté des intérêts. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Melun, saisi par Mme C... à la suite du refus implicite qui lui a été opposé par le ministre, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 61 465,32 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts. Par un arrêt du 17 décembre 2021, contre lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre contre ce jugement.

2. A la date de la constitution du préjudice dont Mme C... a demandé l'indemnisation au ministre, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de l'action publique, qui a édicté le régime de la procédure d'exécution forcée sur les biens appartenant à un Etat étranger, n'était pas encore entrée en vigueur. Cependant, il résulte d'une règle coutumière du droit public international que les Etats bénéficient par principe de l'immunité d'exécution pour les actes qu'ils accomplissent à l'étranger et que cette immunité fait obstacle à la saisie de leurs biens, à l'exception de ceux qui ne se rattachent pas à l'exercice d'une mission de souveraineté.

3. En premier lieu, c'est sans contradiction de motifs qu'après avoir rappelé cette règle coutumière du droit public international, la cour a relevé que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ne fournissait aucun élément dont il ressortirait que la République démocratique du Congo détiendrait, notamment sur le sol français, des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par cet Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales, dès lors que de tels biens correspondent, tant en droit international qu'en droit interne, à la catégorie des biens susceptibles de faire l'objet d'une saisie.

4. En deuxième lieu, en relevant, d'une part, qu'il ne pouvait être exigé de Mme C... qu'elle fasse entreprendre une recherche des éventuels biens détenus par la République démocratique du Congo susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée et, d'autre part, que le ministre n'apportait aucun élément dont il ressortirait que de tels biens existeraient, la cour administrative d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve, ni, par suite, commis d'erreur de droit.

5. En troisième lieu, en l'absence d'obligation de saisine préalable du juge de l'exécution dans les conditions prévues à l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution à la date des faits, une telle obligation n'ayant été posée que par la loi du 9 décembre 2016 citée au point 2, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur la circonstance que rien ne permettait de penser que la République démocratique du Congo détiendrait des biens susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'exécution pour juger que le préjudice subi par Mme C... devait être regardé comme certain, alors, au demeurant, qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l'intéressée avait saisi le juge de l'exécution afin d'obtenir le paiement de sa créance.

6. Enfin, en se fondant, d'une part, sur le faible nombre de victimes d'agissements analogues imputables à des ambassades d'Etats étrangers sur le territoire français, pour juger que le préjudice invoqué présentait un caractère spécial, et, d'autre part, sur le montant des sommes en cause et la situation de Mme C..., pour considérer que ce préjudice revêtait également un caractère de gravité, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit au regard des conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du ministre de l'Europe et des affaires étrangères doit être rejeté.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Mme A... C..., épouse B....

Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461669
Date de la décision : 10/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2023, n° 461669
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461669.20230710
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