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10/07/2023 | FRANCE | N°454277

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 10 juillet 2023, 454277


Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 81 791,35 euros en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 12 décembre 2016 condamnant la République démocratique socialiste du Sri Lanka à lui verser la somme de 69 791,35 euros. Par un jugement n° 1818426 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 69 791,35 euros assortie des intérêts légaux.
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Vu la procédure suivante :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 81 791,35 euros en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 12 décembre 2016 condamnant la République démocratique socialiste du Sri Lanka à lui verser la somme de 69 791,35 euros. Par un jugement n° 1818426 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 69 791,35 euros assortie des intérêts légaux.

Par un arrêt n° 20PA02200 du 4 mai 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 5 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de M. A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... A... B... a travaillé en qualité de chauffeur à l'ambassade de la République démocratique socialiste du Sri-Lanka du 15 mai 2007 au 3 mai 2014. Par un jugement du 12 décembre 2016, le conseil des prud'hommes de Paris a condamné la République démocratique socialiste du Sri-Lanka à lui verser la somme de 69 791,35 euros, correspondant à des rémunérations qui ne lui avaient pas été versées, à son indemnité de licenciement, à des dommages et intérêts pour travail dissimulé et pour perte de droits à la retraite complémentaire ainsi qu'à la somme accordée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ayant implicitement rejeté la demande formée le 27 juillet 2018 par M. A... B..., tendant à ce que l'Etat lui verse une indemnité de 81 791,35 euros pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, au titre des condamnations prononcées contre l'Etat du Sri-Lanka qui n'ont pu être recouvrées, M. A... B... a saisi le tribunal administratif de Paris. Par un jugement du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A... B... la somme de 69 791,35 euros, assortie des intérêts moratoires avec capitalisation. Par un arrêt du 4 mai 2021, contre lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre contre ce jugement.

En ce qui concerne le fondement de la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution : " (...) L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ". Aux termes de l'article L. 111-1-1 du même code, issu de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de l'action publique : " Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger que sur autorisation préalable du juge par ordonnance rendue sur requête ". Aux termes de l'article L. 111-1-2 du même code : " Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée visant un bien appartenant à un Etat étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l'une des conditions suivantes est remplie : / 1° L'Etat concerné a expressément consenti à l'application d'une telle mesure ; / 2° L'Etat concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de la procédure ; / 3° Lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'Etat concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée./ Pour l'application du 3°, sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat à des fins de service public non commerciales, les biens suivants : / a) Les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales ; / b) Les biens de caractère militaire ou les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions militaires ; / c) Les biens faisant partie du patrimoine culturel de l'Etat ou de ses archives qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ; / d) Les biens faisant partie d'une exposition d'objet d'intérêt scientifique, culturel ou historique qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ; / e) Les créances fiscales ou sociales de l'Etat ".

3. Ces dispositions reprennent en droit interne la règle coutumière du droit public international selon laquelle les Etats bénéficient par principe de l'immunité d'exécution pour les actes qu'ils accomplissent à l'étranger, cette immunité faisant obstacle à la saisie de leurs biens, à l'exception de ceux qui ne se rattachent pas à l'exercice d'une mission de souveraineté.

4. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.

5. En jugeant que la responsabilité de l'Etat était susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en raison de l'impossibilité, pour M. A... B..., de faire exécuter par l'Etat du Sri Lanka le jugement du conseil de prud'hommes de Paris, la cour administrative d'appel, qui, tout en rappelant la règle coutumière du droit public international, a bien visé le code des procédures civiles d'exécution et mentionné les dispositions citées au point 2, lesquelles n'ont pas entendu exclure toute indemnisation, n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne le caractère certain du préjudice :

6. En application de l'article L. 111-1-1 du code des procédures civiles d'exécution cité au point 2, les mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger, dans les conditions prévues à l'article L. 111-1-2 du même code, que sur autorisation préalable du juge de l'exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l'intervention préalable du juge de l'exécution, le préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'un jugement par un Etat étranger ne peut revêtir un caractère certain tant que le juge, qui doit être ainsi saisi, n'a pas constaté qu'aucune des conditions posées à l'article L. 111-1-2, permettant l'exécution forcée, n'est remplie.

7. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que M. A... B... n'a pas saisi le juge de l'exécution pour obtenir le paiement de la créance dont il a été reconnu titulaire, par le jugement du 12 décembre 2016 du conseil des prud'hommes de Paris, à l'encontre de la République démocratique socialiste du Sri-Lanka, mais a directement demandé au ministre des affaires étrangères que l'Etat français lui verse une indemnisation correspondant au montant de cette créance. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'en jugeant qu'en dépit de l'absence de saisine préalable du juge de l'exécution, le préjudice qu'il invoquait revêtait un caractère certain, la cour a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 4 mai 2021 qu'il attaque.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 4 mai 2021 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. C... A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 454277
Date de la décision : 10/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2023, n° 454277
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:454277.20230710
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