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05/07/2023 | FRANCE | N°465188

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 05 juillet 2023, 465188


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 22 juin 2022, 24 janvier, 15 mars et 8 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre d

e l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du doss...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 22 juin 2022, 24 janvier, 15 mars et 8 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 ;

- la loi n° 2019-1146 du 24 décembre 2019 ;

- la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 ;

- le décret n° 2021-216 du 25 février 2021 ;

- la décision du 27 décembre 2022 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation à l'encontre des dispositions de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale ;

- la décision n° 465422 du 27 décembre 2022 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation à l'encontre des dispositions de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 juin 2023, présentée par la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. En vertu du I de l'article L. 162-23 du code de la sécurité sociale, chaque année, est défini un objectif de dépenses d'assurance maladie afférents aux activités de soins de suite et de réadaptation qui sont exercées par les différents établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 de ce code. Cet objectif est constitué du montant annuel de charges supportées par les régimes obligatoires d'assurance maladie afférentes aux frais d'hospitalisation au titre des soins dispensés au cours de l'année dans le cadre de ces activités. L'article L. 162-23-1 du code de la sécurité sociale prévoit que, pour ces activités, " un décret en Conseil d'Etat, pris après avis des organisations les plus représentatives des établissements de santé, détermine : / 1° Les catégories de prestations d'hospitalisation sur la base desquelles les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la classification des prestations donnant lieu à une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; / 2° Les catégories de prestations pour exigence particulière des patients, sans fondement médical, qui donnent lieu à une facturation sans prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; / 3° Les modalités de facturation des prestations d'hospitalisation faisant l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie ". L'article L. 162-23-3 du même code précise que, pour ces activités de soins, les différents établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 de ce code " bénéficient d'un financement mixte sous la forme de recettes issues directement de l'activité, dans les conditions prévues au I de l'article L. 162-23-4, et d'une dotation forfaitaire visant à sécuriser de manière pluriannuelle le financement de leurs activités, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ". Le I de l'article L. 162-23-4 de ce code dispose que : " Chaque année, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent, selon les modalités prévues au II de l'article L. 162-23 : / 1° Les tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° de l'article L. 162-23-1, qui peuvent être différenciés par catégories d'établissements, notamment en fonction des conditions d'emploi du personnel médical. Ces tarifs sont calculés en fonction de l'objectif défini à l'article L. 162-23 ; / 2° Le cas échéant, les coefficients géographiques s'appliquant aux tarifs nationaux mentionnés au 1° du présent article et au forfait prévu à l'article L. 162-23-7 des établissements implantés dans certaines zones, afin de tenir compte d'éventuels facteurs spécifiques qui modifient de manière manifeste, permanente et substantielle le prix de revient de certaines prestations dans la zone considérée ; / 3° Le coefficient mentionné au I de l'article L. 162-23-5 ; / 4° Les modalités de calcul de la dotation forfaitaire mentionnée à l'article L. 162-23-3 ; / 6° Le montant des forfaits annuels mentionnés à l'article L. 162-23-7. / Sont applicables au 1er mars de l'année en cours les éléments mentionnés aux 1° à 3°. / Sont applicables au 1er janvier de l'année en cours les éléments mentionnés aux 4° à 6° ". Sur le fondement de ces dispositions, le décret du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation détermine les modalités de calcul des recettes issues de l'activité et de la dotation composant le financement mixte des établissements exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation, fixe les conditions du versement à ces établissements des dotations et des forfaits composant ce financement et organise, pour la période des années 2023 à 2025, l'entrée en vigueur de ces nouvelles modalités de financement. En outre, le même décret, d'une part, précise la composition de la section dédiée aux soins de suite et de réadaptation au sein du comité consultatif d'allocation des ressources de l'article R. 162-29 du code de la sécurité sociale placé auprès de chaque agence régionale de santé et les conditions dans lesquelles cette section émet un avis sur l'allocation des ressources à ces activités, d'autre part, fixe les critères d'inscription, de radiation et de prise en charge des spécialités pharmaceutiques entrant dans le champ des activités de soins de suite et de réadaptation et, enfin, modifie l'article R. 162-34-1 du code de la sécurité sociale définissant les prestations d'hospitalisation au sens de l'article L. 162-23-1 du même code. La Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur la légalité externe :

En ce qui concerne la compétence :

2. En premier lieu, l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, cité au point 1, prévoit que les modalités selon lesquelles les établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 de ce code exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation bénéficient d'une dotation forfaitaire sont définies par décret en Conseil d'Etat.

3. D'une part, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, le Premier ministre, qui exerce le pouvoir règlementaire en vertu de l'article 21 de la Constitution, avait compétence pour créer, au besoin, une section dédiée aux activités de soins de suite et de réadaptation au sein du comité consultatif d'allocation des ressources, lequel est placé auprès de chaque agence régionale de santé en vertu de l'article R. 162-29 de ce code, alors même que l'article L. 162-23-3 ne le prévoit pas. Au demeurant, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, l'existence de cette section résulte, non de l'article R. 162-29-3 inséré au code de la sécurité sociale par l'article 1er du décret attaqué, qui se borne à prévoir sa consultation et à en préciser la composition, mais du 3° de l'article R. 162-29 du même code dans sa rédaction issue du décret du 25 février 2021 relatif à la réforme du financement des structures des urgences et des structures mobiles d'urgence et de réanimation et portant diverses dispositions relatives aux établissements de santé. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait à ce titre entaché d'incompétence ne peut qu'être écarté.

4. D'autre part, il résulte également de l'article 21 de la Constitution que le Premier ministre peut déléguer le pouvoir règlementaire aux ministres, sans qu'il soit besoin qu'une disposition législative l'y autorise. Au 10° de son article 1er, le décret attaqué modifie les dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale pour définir, comme il le devait en application de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, les modalités selon lesquelles les établissements de santé concernés bénéficient d'une dotation forfaitaire, sous forme de trois types de dotation et d'un forfait, dont il prévoit que le montant, arrêté de la façon qu'il précise, est, s'agissant de la " dotation forfaitaire populationnelle ", réparti entre établissements de santé de la région en tenant compte de l'offre hospitalière existante, sur la base de critères fixés au niveau régional par le directeur général de l'agence régionale de santé après avis de la section dédiée du comité consultatif d'allocation des ressources, notamment à partir d'une liste de critères arrêtée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, et que les critères régionaux ne prennent pas en compte les données d'activité. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en renvoyant à un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale le seul soin d'établir une liste de critères dont les directeurs généraux des agences régionales de santé doivent notamment partir pour déterminer les critères régionaux de cette répartition, le décret attaqué serait, faute qu'une disposition législative l'autorise à opérer un tel renvoi, entaché d'incompétence ou qu'il procèderait à une délégation insuffisamment encadrée de sa compétence à ces ministres.

En ce qui concerne les consultations préalables :

5. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 162-23-1 du code de la sécurité sociale, citées au point 1, que l'avis des organisations les plus représentatives des établissements de santé est notamment requis lorsque le pouvoir réglementaire détermine les catégories de prestations d'hospitalisation sur la base desquelles les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la classification des prestations donnant lieu à une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale.

6. Les dispositions du 2° de l'article 1er du décret attaqué se bornent à modifier les dispositions de l'article R. 162-34-1 du code de la sécurité sociale, qui disposait déjà que constitue une catégorie de prestations d'hospitalisation, au sens du 1° de l'article L. 162-23-1 de ce code, la prise en charge des frais occasionnés par les séjours et soins, pour préciser, à son alinéa premier, en raison de la composition mixte du nouveau financement, qu'il s'agit de la prise en charge d'une partie seulement de ces frais et pour modifier, à son deuxième alinéa, le texte législatif de référence relatif aux tarifs nationaux. Ni ces dispositions, ni celles résultant du 3° de l'article 1er du décret attaqué modifiant la rédaction de l'article R. 162-34-2 du code la sécurité sociale pour préciser le mode de calcul des deux parts du financement mixte mentionné à l'article L. 162-23-3, ni aucune autre disposition du décret attaqué ne déterminent, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, de nouvelle catégorie de prestations d'hospitalisation qui aurait imposé, en application des dispositions citées au point précédent, que l'avis des organisations les plus représentatives des établissements de santé soit recueilli.

7. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Le conseil ou les conseils d'administration (...) de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et la commission prévue à l'article L. 221-4 ", c'est-à-dire la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, " sont saisis, pour avis et dans le cadre de leurs compétences respectives, de tout projet de mesure législative ou réglementaire ayant des incidences sur l'équilibre financier de la branche ou entrant dans leur domaine de compétence et notamment des projets de loi de financement de la sécurité sociale (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 225-1 du même code : " L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale est chargée d'assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches gérées par la Caisse nationale des allocations familiales, par la Caisse nationale de l'assurance maladie, par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et par la caisse nationale d'assurance vieillesse (...) ". L'article L. 225-1-1 du même code donne mission à cette agence d'assurer l'application homogène des lois et des règlements relatifs aux cotisations et aux contributions de sécurité sociale et de coordonner les actions de contrôle et de recouvrement de ces cotisations et son article L. 225-1-4 lui permet à titre exceptionnel de consentir des avances d'une durée inférieure à un mois aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Enfin, en vertu du 2° de l'article L. 221-1 et de l'article L. 221-4 de ce code, la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles a pour mission de concourir à la détermination des recettes nécessaires au maintien de l'équilibre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

8. Aucune disposition du décret attaqué n'a d'incidence sur l'équilibre financier de la branche assurance maladie ou n'affecte les domaines de compétence de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Par suite le moyen tiré de ce qu'il aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédé de la consultation de cette agence et de cette commission, doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 462-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ".

10. Le décret attaqué, qui fait application de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale prévoyant que les activités de soins de suite et de rééducation bénéficient d'un financement mixte sous la forme de recettes issues directement de l'activité et d'une dotation forfaitaire, ainsi que des dispositions transitoires prévues aux E et F du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, n'institue pas lui-même un régime nouveau en précisant les modalités de ce financement, les conditions de versement des dotations qui le composent, ainsi que les modalités d'entrée en vigueur de ces dispositions. Il n'institue pas plus un régime nouveau impliquant l'un des effets prévus par l'article L. 462-2 du code de commerce en déterminant la composition et le fonctionnement de la section du comité consultatif d'allocation des ressources chargée d'émettre un avis sur les activités de soins de suite et de réadaptation déjà instituée par l'article R. 162-29 du code de la sécurité sociale. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à être consultée préalablement à l'édiction du décret attaqué.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la conformité du décret attaqué à l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, au principe d'indépendance des législations, à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et au principe d'égalité :

11. En premier lieu, aux termes du II de l'article R. 162-29-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du 1° de l'article 1er du décret contesté, la section dédiée aux activités de soins de suite du comité consultatif d'allocation des ressources " est constituée : / 1° De cinq à dix représentants des organisations nationales les plus représentatives des établissements de santé publics et privés désignés par celles-ci. Le nombre de représentants est arrêté par le directeur général de l'agence régionale de santé en tenant compte notamment du nombre d'établissements et de la présence de ces organisations au sein de la région. La répartition entre les organisations est déterminée en fonction de l'activité des établissements relevant de chacune d'entre elles au sein de la région. Pour les organisations disposant de plus d'un représentant, l'un d'entre eux est un représentant de la communauté médicale ; / 2° De deux représentants des associations d'usagers et de représentants des familles spécialisés dans le domaine d'activité nommés par le directeur général de l'agence régionale de santé ".

12. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le comité consultatif d'allocation des ressources est placé auprès de chaque agence régionale de santé en vertu de l'article R. 162-29 de ce code. S'agissant d'une commission administrative à caractère consultatif placée auprès d'un établissement public administratif de l'Etat, il est régi par les dispositions du chapitre III du titre III du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration, dont l'article R. 133-2 dispose notamment que " Sauf lorsque son existence est prévue par la loi, une commission est créée par décret pour une durée maximale de cinq ans ". Il résulte des termes mêmes des dispositions citées au point précédent que le pouvoir règlementaire, auquel l'article R. 133-2 du code des relations entre le public et l'administration n'imposait en tout état de cause pas la réalisation d'une étude préalable dès lors que, comme il a été dit, la création de ce comité ne résulte pas du décret attaqué, a fixé les règles de composition de la section de ce comité dédiée aux activités de soins de suite et de réadaptation de façon suffisamment claire et précise. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir réglementaire aurait, faute notamment de préciser les modalités de désignation ou la durée du mandat des représentants des associations d'usagers et des familles spécialisés dans le domaine d'activité, ainsi que le nombre exact et la répartition des représentant des fédérations hospitalière, délégué illégalement sa compétence aux directeurs généraux des agences régionales de santé ou méconnu le principe d'égalité.

13. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale citées au point 1 que le législateur a renvoyé au pouvoir règlementaire le soin de déterminer les modalités de calcul et de versement aux établissements exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation de la partie du financement mixte qu'il a institué relative à la dotation forfaitaire visant à sécuriser de manière pluriannuelle le financement de leurs activités. En application de cet article, les dispositions contestées du I de l'article R. 164-34-10 du code de la sécurité sociale, telles qu'elles sont issues du 10° de l'article 1er du décret attaqué, définissent les modalités de répartition, par les directeurs généraux des agences régionales de santé, de la dotation forfaitaire issue du " montant populationnel ".

14. Ces dispositions, en prévoyant que la répartition entre établissements de santé de la région de la dotation forfaitaire issue " du montant populationnel " est opérée " en tenant compte de l'offre hospitalière existante ", ne méconnaissent pas l'article L. 162-23-3 qui a pour objet, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 21 décembre 2015, de réduire les inégalités de répartition de ressources entre les établissements exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation, assurer une meilleure prévisibilité de leurs recettes et garantir un égal accès à ces soins sur l'ensemble du territoire. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait nécessairement pour effet, contrairement à ce qui est soutenu, de conduire à une diminution de la qualité de l'offre de soins de suite et de réadaptation. Par suite, les moyens tirés de ce que le pouvoir réglementaire aurait, par ce critère, permis une restructuration de l'offre de soins et de réadaptation contraire à l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, méconnu l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe d'indépendance des législations, porté une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l'industrie ou commis une erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la conformité du décret attaqué au principe de non-rétroactivité des actes administratifs :

15. D'une part, en vertu de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale, les tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° de l'article L. 162-23-1, les coefficients géographiques s'appliquant à ces tarifs et le coefficient mentionné au I de l'article L. 162-23-5, mentionnés aux 1° à 3° de cet article, qui sont arrêtés chaque année par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale selon les modalités prévues au II de l'article L. 162-23, prennent effet le 1er mars de l'année en cours. Selon le E du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, dans sa rédaction applicable à la date de publication du décret attaqué, il est dérogé aux règles de financement fixées par les articles L. 162-23 à L. 162-23-13 du code de la sécurité sociale, pour le financement des activités de soins de suite et de réadaptation, au cours d'une période s'achevant le 31 décembre 2022. Il résulte de la combinaison de ces dispositions législatives qu'elles imposaient que les éléments tarifaires mentionnés aux 1° et 3° de l'article L. 162-23-4, faisant l'objet de l'article 1er du décret attaqué, prennent effet dès le 1er mars 2022 pour permettre l'application, à compter du 1er janvier 2023, des nouvelles modalités de financement des établissements exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation.

16. D'autre part, le 2° du E du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015, dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué, dispose également que, pour la période du 1er mars 2017 au 31 décembre 2022, les activités de soins de suite et de réadaptation sont financées par deux montants cumulatifs, comprenant notamment " b) Un montant correspondant, pour chaque établissement, à une fraction des recettes issues de l'application des modalités de financement prévues au 1° de l'article L. 162-23-2 du code de la sécurité sociale. Ce montant peut être affecté d'un coefficient de transition défini selon des modalités de calcul fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, qui peuvent être différentes en fonction des catégories d'établissements mentionnés à l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale. / Pour chaque établissement mentionné aux d et e de l'article L. 162-22-6 du même code, ce montant est minoré afin de neutraliser une fraction du montant des honoraires facturés dans les conditions définies à l'article L. 162-1-7 dudit code par les professionnels médicaux et auxiliaires médicaux exerçant à titre libéral au sein de ces établissements et précisées par décret en Conseil d'Etat. Cette fraction est identique à celle mentionnée au premier alinéa du présent b ".

17. Si le décret attaqué a été publié au Journal officiel de la République française le 22 avril 2022, l'application au 1er mars, d'une part, de certaines des dispositions de son article 1er relatives aux nouvelles modalités de financement de l'activité de soins et de réadaptation et, d'autre part, des dispositions de son article 2 mettant en œuvre les dispositions du E du III de l'article 78 mentionnées au point précédent, résulte, ainsi qu'il a été dit au point 16, de la loi elle-même. Le moyen tiré de ce que ce décret serait entaché d'une rétroactivité illégale ne peut, dès lors, qu'être écarté.

En ce qui concerne les dispositions transitoires :

18. En premier lieu, aux termes du I de l'article 3 du décret attaqué : " A compter du 1er janvier 2023, les établissements de santé perçoivent un acompte mensuel au titre de leurs activités de soins de suite et de réadaptation jusqu'au mois suivant les notifications mentionnées à l'article R. 162-34-9 du code de la sécurité sociale. Par dérogation, les établissements mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 du même code, qui en font la demande au directeur général de l'agence régionale de santé, peuvent percevoir cet acompte mensuel jusqu'à la reprise de la facturation à la caisse désignée en application de l'article L. 174-2 du même code. / Le montant de l'acompte mensuel est établi à partir des recettes perçues par l'établissement en 2022 au titre de la part des frais d'hospitalisation pris en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie et calculées en application des modalités de financement prévues au 1° à 3° du E du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 susvisé ".

19. Il résulte de ces dispositions, qui, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, sont suffisamment précises et détaillées, que les établissements privés exerçant une activité de soins de suite et de rééducation perçoivent, pendant une durée qui n'est pas indéterminée mais prend fin le mois suivant la notification par le directeur général de l'agence régionale de santé du montant des financement arrêtés ou, le cas échéant, à leur demande, à la reprise de la facturation à la caisse dont ils dépendent, un acompte mensuel dont le montant est calculé selon des modalités qu'elles définissent, en particulier à partir des données de facturation pour l'ensemble des prestations réalisées au cours de l'année 2022. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir règlementaire n'aurait pas exercé sa compétence dans des conditions permettant la mise en œuvre du mécanisme d'acompte institué.

20. En deuxième lieu, aux termes du I et du II de l'article 4 du décret contesté : " Du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2025, la dotation forfaitaire mentionnée au 2° de l'article R. 162-34-2 du code de la sécurité sociale est déterminée pour chaque établissement dans les conditions prévues au II de l'article R. 162-34-4 et à l'article R. 162-34-9 du même code peut être majorée ou minorée dans le respect du montant mentionné au 1° du I de l'article R. 162-34-4 du même code. / Cette majoration ou cette minoration de la dotation forfaitaire sont calculées, dans des conditions définies par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pour chaque région et pour chaque établissement afin de tenir compte des effets sur les recettes d'assurance maladie de ces établissements des modalités de financement applicables à compter du 1er janvier 2023 par rapport à celles antérieurement applicables. La majoration ou la minoration tendent progressivement vers zéro. / La minoration des tarifs mentionnées au 1° du I de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale prévue au H du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 susvisé prend la forme d'un coefficient par établissement. / Ce coefficient est calculé afin de déduire le montant des honoraires des professionnels et auxiliaires médicaux libéraux mentionnés à l'article L. 162-14-1 du même code et des médecins choisissant le mode d'exercice salarié mentionnés à l'article L. 162-26-1 du même code, des recettes mentionnées au 1° de l'article R. 162-34-2 du même code, calculées en fonction des tarifs précités, associés aux séjours réalisés au cours de la dernière période de douze mois consécutifs pour laquelle les données d'activité sont disponibles ".

21. Ces dispositions, qui déterminent les conditions dans lesquelles la dotation forfaitaire que perçoivent les établissements exerçant une activité de soins de suite et de rééducation peut être minorée ou majorée par le directeur général de l'agence régionale de santé chargé, en application de l'article R. 162-34-9 du code de la sécurité sociale, d'arrêter pour chaque établissement le montant de cette dotation, ne sont ni équivoques ni insuffisamment précises, alors, en outre, qu'elles renvoient à un arrêté les conditions de calcul de ces minorations et majorations. La fédération requérante n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elles seraient entachées d'illégalité du fait de l'imprécision des critères présidant à la majoration ou à la minoration de la dotation pour chaque établissement, du quantum maximum de ces majorations ou minorations et de l'autorité administrative compétente pour y procéder.

22. En troisième lieu, aux termes du F du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Par dérogation à l'article L. 174-18 du code de la sécurité sociale, du 1er mars 2017 au 31 décembre 2022, le montant forfaitaire prévu au b du 2° du E du présent III n'est pas facturé par les établissements mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 du même code à la caisse désignée en application de l'article L. 174-2 dudit code et, du 1er janvier 2023 au 28 février 2023, le montant lié aux recettes directement issues de l'activité mentionnées à l'article L. 162-23-3 du même code n'est pas facturé par les établissements mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 du même code à la caisse désignée en application de l'article L. 174-2 du même code (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'à compter du 1er janvier 2023, les établissements mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 ne sont plus soumis aux modalités transitoires de facturation.

23. Il résulte en outre des dispositions du I de l'article 3 du décret attaqué citées au point 18 que, pour la période allant du 1er janvier 2023, correspondant à la date à laquelle les dispositions transitoires mentionnées au point précédent ne sont plus applicables, jusqu'à la date correspondant, au choix de l'établissement pour ceux d'entre eux mentionnés au point précédent, soit au mois suivant la notification par le directeur général de l'agence régionale de santé du montant des financements arrêtés le concernant, soit à la reprise de la facturation par la caisse dont il dépend, ces établissements perçoivent un acompte au titre de leurs activités de soins de suite et de réadaptation.

24. La compensation, par un dispositif d'acomptes, pour une durée limitée dans les conditions rappelées au point précédent, de la suspension, pour une durée elle-même limitée dans les conditions mentionnées au point 22, des règles de facturation applicables aux activités des établissements mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, ne porte pas, contrairement à ce que la requérante soutient, et alors même que les établissements ouvrant pendant la période de suspension de la facturation ne pourraient pas au cours de cette brève période bénéficier de cette compensation, une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie.

En ce qui concerne le respect du principe de sécurité juridique :

25. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les modalités de mise en œuvre des dispositions de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 34 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020, ont donné lieu à une concertation préalable avec les organisations représentatives des établissements de santé exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation et étaient connues avant même la publication du décret attaqué. D'autre part, comme il a été dit aux points 19 et 21, les dispositions d'entrée en vigueur prévues par les articles 3 et 4 du décret contesté sont suffisamment précises. Enfin, ces mêmes dispositions ont été prises sur le fondement de dispositions législatives pour lesquels il a été jugé, par les deux décisions du 23 décembre 2022, visées ci-dessus, par lesquelles le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question de leur conformité à la Constitution, qu'elles n'avaient pas remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des dispositions auxquelles elles se sont substituées. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que, faute d'offrir aux établissements de santé une prévisibilité suffisante sur les financements qui leur seront applicables à compter de 2023, le décret méconnaîtrait le principe de sécurité juridique.

En ce qui concerne la conformité à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme :

26. Comme le soutient à bon droit la fédération requérante, l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du 7° de l'article 1er du décret attaqué, renvoie, pour les arrêtés annuels pris par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, au 5° de l'article L. 162-23-4 de ce code, alors que ce 5° avait été précédemment abrogé sans que le 6° de cet article ne lui soit substitué. En l'absence de doute sur la portée de ces dispositions, qui font référence, par une erreur matérielle, au 5° et non au 6° de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de leur conférer leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l'erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision.

27. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque.

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) est rejetée.

Article 2 : La référence au " 5° " de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale figurant aux I et II de l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du a) et du b) du 7° de l'article 1er du décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation, est remplacée par la référence au " 6° " de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale. Un extrait de la présente décision, comprenant l'article 2 de son dispositif et les motifs qui en sont le support nécessaire, sera publié au Journal officiel de la République française dans un délai d'un mois à compter de la réception par la Première ministre de la notification de cette décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Pierre Boussaroque, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 5 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 465188
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2023, n° 465188
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:465188.20230705
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