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30/06/2023 | FRANCE | N°443127

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 30 juin 2023, 443127


Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) GDF-Suez, devenue en cours d'instance la société anonyme (SA) ENGIE, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de lui accorder la restitution, à concurrence des montants respectifs de 304 085 582 euros, de 295 684 575 euros et de 152 278 090 euros, du précompte dont elle s'est acquittée à raison des distributions de dividendes qu'elle a opérées en 2002, 2003 et 2004, assortie des intérêts moratoires. Par un jugement n° 0403926, 0806660 du 31 mars 2014, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt nos

14VE0153, 14VE01601 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Vers...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) GDF-Suez, devenue en cours d'instance la société anonyme (SA) ENGIE, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de lui accorder la restitution, à concurrence des montants respectifs de 304 085 582 euros, de 295 684 575 euros et de 152 278 090 euros, du précompte dont elle s'est acquittée à raison des distributions de dividendes qu'elle a opérées en 2002, 2003 et 2004, assortie des intérêts moratoires. Par un jugement n° 0403926, 0806660 du 31 mars 2014, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt nos 14VE0153, 14VE01601 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir rejeté l'appel formé par la SA Société Générale contre ce jugement, a, sur appel de la société ENGIE, prononcé la restitution d'une fraction du précompte dont cette société s'était acquittée au titre des distributions intervenues en 2002 et 2003, à concurrence, respectivement, des sommes de 297 487 745 euros et 295 684 575 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 août 2020 et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2, 3, 4 et 5 de cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-556/20 du 12 mai 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société ENGIE anciennement dénommée GDF-Suez et de la Société Générale ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société anonyme (SA) GDF-Suez, devenue en cours d'instance la société ENGIE, a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution, assortie des intérêts moratoires, du précompte dont elle s'est acquittée à raison de distributions de dividendes intervenues en 2002, 2003 et 2004 pour des montants respectifs de 304 085 582 euros, de 295 684 575 euros et de 152 278 090 euros. Après le rejet de sa réclamation, elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 31 mars 2014, a rejeté sa demande. Par un arrêt du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société ENGIE, prononcé la restitution du précompte dont celle-ci s'était acquittée au titre des distributions survenues en 2002 et 2003 à concurrence, respectivement, des sommes de 297 487 745 euros et 295 684 575 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre les articles 2 à 5 de cet arrêt. Eu égard aux moyens qu'il soulève dans le dernier état de ses écritures, le ministre doit être regardé comme contestant l'arrêt en tant seulement qu'il statue sur l'étendue du droit à restitution de la société ENGIE au titre de l'année 2003.

2. Dans sa rédaction applicable aux distributions de dividendes en litige, l'article 158 bis du code général des impôts prévoit que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes, en outre, du premier alinéa du 1 de l'article 223 sexies de ce code, dans sa version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : " (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ". Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ".

3. Aux termes de l'article 46 quater-0 D de l'annexe III du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. Les distributions qui n'ouvrent pas droit à l'avoir fiscal prévu à l'article 158 bis du code général des impôts sont prélevées, par priorité, sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés de cet impôt au titre du dernier exercice clos et, en cas d'insuffisance de ces bénéfices, sur ceux des exercices antérieurs les plus récents. II. Les distributions qui ouvrent droit à l'avoir fiscal sont prélevées ensuite dans l'ordre suivant : D'abord, sur les bénéfices disponibles qui ont été soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code déjà cité au titre du dernier exercice clos; Puis, sur les bénéfices disponibles qui ont été imposés à ce même taux au titre d'exercices antérieurs clos depuis cinq ans au plus ; Enfin, sur tous autres bénéfices ou réserves disponibles. Toutefois, si la personne morale a encaissé, au cours d'exercices clos depuis cinq ans au plus, des produits de participations ouvrant droit au régime des sociétés mères, les distributions peuvent être librement imputées sur ces produits. II bis. Les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2000, ouvrant droit ou non à l'avoir fiscal, sont prélevées d'abord sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés au titre d'exercices clos depuis cinq ans au plus, puis sur tous les autres bénéfices ou réserves disponibles ". Aux termes du II de l'article 46 quater-0 E de la même annexe : " Les sommes dont l'imputation est réglée par le II et par le II bis [de l'article 46 quater-0 D] s'entendent du total des revenus distribués et du précompte afférent à la distribution ". Aux termes de l'article 46 quater 0 F de la même annexe : " La personne morale est tenue d'adresser au bureau désigné à l'article 381 T de la présente annexe une déclaration faisant connaître les imputations opérées conformément aux dispositions de l'article 46 quater-0 D. / Cette déclaration doit être souscrite dans le mois qui suit la répartition des produits, sur des imprimés fournis par l'administration ".

4. Aux termes de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents : " 1. Lorsqu'une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de celle-ci, l'État de la société mère : / - soit s'abstient d'imposer ces bénéfices, /- soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l'impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l'État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l'article 5, dans la limite du montant de l'impôt national correspondant. / 2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale (...) ". Le paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive précisait qu'elle n'affectait pas l'application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d'impôt aux bénéficiaires de dividendes.

5. Par un arrêt du 12 mai 2022 Schneider Electric et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour de justice de l'Union européenne a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive.

6. Par suite, une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes. Il ne résulte en revanche pas de cet arrêt que lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de telles filiales, l'obligation dans laquelle elle se trouve, le cas échéant, d'acquitter à ce titre le précompte serait incompatible avec la directive du Conseil du 23 juillet 1990.

7. Toutefois, il résulte des dispositions combinées des articles 158 bis et 223 sexies du code général des impôts que le précompte est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société distributrice aux bénéficiaires des distributions.

8. Or, pour déterminer le montant du précompte acquitté en 2002 et 2003 dont la société ENGIE pouvait demander la restitution conformément à ce qui est dit au point 6 de la présente décision, qu'elle a fixé à, respectivement, 297 487 745 euros et 295 684 575 euros, la cour administrative d'appel a retenu comme assiette de l'impôt le montant, tel qu'il ressortait selon elle des déclarations de précompte souscrites par la société, des distributions prélevées sur les 1 496 298 869 euros de dividendes qu'elle avait reçus au cours de l'exercice 2001 de ses filiales établies dans des Etats membres de l'Union européenne autres que la France.

9. Alors qu'il résulte des dispositions précitées du II de l'article 46 quater-0 E de l'annexe III au code général des impôts que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent, le ministre est fondé à soutenir que l'arrêt attaqué est entaché d'erreur de droit faute pour la cour, après avoir fixé le montant de la restitution à laquelle la société pouvait prétendre au titre de 2002, que l'administration ne conteste plus, de préciser le montant effectivement versé aux bénéficiaires en 2003 de distributions provenant de dividendes reçus par la société de ses filiales européennes en 2001 et demeurant disponibles à cette fin.

10. Par suite, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société ENGIE relatives à la restitution du précompte acquitté au titre de l'année 2003.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1 : L'arrêt du 23 juin 2020 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société ENGIE tendant à la restitution du précompte qu'elle a acquitté au titre de l'année 2003.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions de la société ENGIE et de la société Société Générale tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme ENGIE, à la société anonyme Société Générale et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er juin 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 30 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Marc Vié

La secrétaire :

Signé : Mme Michelle Bailleul


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 443127
Date de la décision : 30/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 2023, n° 443127
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Vié
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:443127.20230630
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