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28/06/2023 | FRANCE | N°461202

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 28 juin 2023, 461202


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 9 mai 2022 et le 4 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française de la pépinière viticole demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du 13 août 2021 relative aux modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne et ses annexes, notamment les points " 2-Financement des prospections ", " Plantations en zon

e exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de son ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 9 mai 2022 et le 4 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française de la pépinière viticole demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du 13 août 2021 relative aux modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne et ses annexes, notamment les points " 2-Financement des prospections ", " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de son annexe I, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) 2016/2031 du 26 octobre 2016 ;

- le règlement (UE) 2019/2072 du 28 novembre 2019 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 27 avril 2021 relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la Fédération française de la pépinière viticole ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 27 avril 2021 relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur, pris en application du II de l'article L. 201-4 du code rural et de la pêche maritime, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a fixé les mesures de police sanitaire visant à la prévention, la surveillance et la lutte obligatoire contre la flavescence dorée, maladie grave de la vigne causée par un phytoplasme et transmise par un insecte vecteur, la cicadelle Scaphoideus titanus, ou lors du greffage. Cet arrêté est complété par l'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du directeur général de l'alimentation du 13 août 2021, dont l'annexe I porte un " Guide de lecture " de l'arrêté du 27 avril 2021. La Fédération française de la pépinière viticole demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette instruction technique. Eu égard aux termes dans lesquels elle est formulée, sa requête doit être regardée comme tendant à l'annulation des points " 2-Financement des prospections ", " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de ce " Guide de lecture ".

Sur le cadre juridique applicable :

2. En premier lieu, d'une part, le règlement (UE) 2016/2031 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2016 relatif aux mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux, prévoit à son article 5 que : " Les organismes de quarantaine de l'Union ", dont la liste est établie par la Commission, " ne sont pas introduits, déplacés, ni détenus, multipliés ou libérés sur le territoire de l'Union ". Son article 17 dispose que, lorsqu'un Etat membre confirme la présence sur son territoire d'un organisme de quarantaine, l'autorité compétente de cet Etat membre " prend immédiatement toutes les mesures phytosanitaires nécessaires pour éradiquer l'organisme de quarantaine de l'Union en question de la zone concernée (...) en conformité avec l'annexe II. / Cette obligation d'éradication ne s'applique pas lorsqu'un acte d'exécution concernant cet organisme nuisible, adopté en conformité avec l'article 28, paragraphe 2, en dispose autrement ", ses articles 18 et 19 prévoient que cette autorité établit et tient à jour une " zone délimitée " comprenant une " zone infestée " et une " zone tampon ", " au sein de laquelle ou desquelles les mesures d'éradication visées à l'article 17 (...) doivent être prises ", et son article 27 dispose que cette autorité adopte un plan d'action établissant les mesures d'éradication prévues aux articles 17, 18 et 19. L'article 28 de ce règlement dispose que : " 1. La Commission peut, au moyen d'actes d'exécution, établir des mesures de lutte contre certains organismes de quarantaine de l'Union. Selon les organismes nuisibles concernés, ces mesures mettent en œuvre une ou plusieurs des dispositions suivantes : / (...) d) l'article 17 sur l'éradication des organismes de quarantaine de l'Union (...). / 2. Par dérogation à l'article 17, lorsqu'il est conclu (...) que l'éradication de l'organisme de quarantaine de l'Union concerné dans une zone délimitée n'est pas possible, la Commission adopte des actes d'exécution visés au paragraphe 1 du présent article qui établissent des mesures ayant pour fin l'enrayement. (...) / 3. Si la Commission conclut que des mesures de prévention sont nécessaires dans des zones situées en dehors des zones délimitées pour protéger une partie du territoire de l'Union où l'organisme de quarantaine de l'Union concerné n'est pas présent, elle peut adopter des actes d'exécution visés au paragraphe 1 qui établissent de telles mesures. / 4. Les mesures visées aux paragraphes 1, 2 et 3 sont prises en conformité avec l'annexe II, compte tenu des risques spécifiques aux organismes de quarantaine de l'Union concernés, des conditions et risques écoclimatiques spécifiques des États membres concernés et de la nécessité d'appliquer les nécessaires mesures d'atténuation des risques de manière harmonisée à l'échelle de l'Union. / 5. Tant que la Commission n'a pas adopté de mesures, l'État membre peut maintenir toute mesure qu'il a prise (...) ". Aux termes de l'article 31 de ce règlement : " 1. Un État membre peut appliquer sur son territoire des mesures plus restrictives que celles adoptées en vertu de l'article 28, paragraphes 1, 2 et 3 (...) pour autant que l'objectif de protection phytosanitaire le justifie et que ces mesures soient conformes aux principes énoncés à l'annexe II, section 2. / Ces mesures plus restrictives n'imposent pas ni n'entraînent d'autres interdictions ou restrictions concernant l'introduction ou la circulation sur et à travers le territoire de l'Union de végétaux, produits végétaux et autres objets que celles prévues aux articles 40 à 58 et 71 à 102. / 2. L'État membre concerné informe immédiatement la Commission et les autres États membres des mesures qu'il a prises conformément au paragraphe 1 (...) ". L'article 41 de ce règlement dispose que : " 1. Certains végétaux, produits végétaux ou autres objets ne peuvent être introduits ou déplacés sur le territoire de l'Union que si les exigences particulières ou équivalentes sont respectées. (...) / 2. La Commission adopte, au moyen d'actes d'exécution, une liste énumérant les végétaux, produits végétaux ou autres objets ainsi que les exigences particulières correspondantes visées au paragraphe 1. (...). / 3. Lorsqu'un végétal, produit végétal ou autre objet présente un risque phytosanitaire inacceptable parce qu'il est susceptible de porter un organisme de quarantaine de l'Union et que ce risque phytosanitaire peut être ramené à un niveau acceptable par l'application d'une ou plusieurs des mesures énumérées à l'annexe II, section 1, points 2) et 3), la Commission modifie l'acte d'exécution visé au paragraphe 2 pour y inclure ledit végétal, produit végétal ou autre objet et les mesures qu'il convient de lui appliquer (...) ". Enfin, l'annexe II de ce même règlement énumère, dans sa section 1, les catégories de mesures de gestion du risque visées notamment aux articles 17, 28 et 41, qui incluent notamment les " restrictions en ce qui concerne (...) la circulation des végétaux, produits végétaux et autres objets ", et prévoit, dans sa section 2, que la gestion du risque lié aux organismes de quarantaine de l'Union est conforme aux principes de nécessité, proportionnalité, impact minimal, non-discrimination, justification technique et faisabilité.

3. D'autre part, le règlement d'exécution (UE) 2019/2072 de la Commission du 28 novembre 2019 établissant des conditions uniformes pour la mise en œuvre du règlement (UE) 2016/2031 du Parlement européen et du Conseil, en ce qui concerne les mesures de protection contre les organismes nuisibles aux végétaux classe le phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne parmi les organismes de quarantaine de l'Union. Dans sa rédaction applicable au litige, son article 8 dispose que : " (...) 2. La liste des végétaux, produits végétaux et autres objets provenant du territoire de l'Union ainsi que les exigences particulières correspondantes relatives à leur circulation sur le territoire de l'Union, visée à l'article 41, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/2031, figure à l'annexe VIII du présent règlement ". Aux termes du point 19 de cette annexe VIII, définissant les exigences particulières relatives à la circulation applicables aux végétaux destinés à la plantation de vigne, il appartient aux autorités compétentes de constater que ceux-ci : " a) proviennent d'une zone connue pour être exempte du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne, / ou b) proviennent d'un site de production dans lequel : i) aucun symptôme du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne sur Vitis spp. n'a été observé sur le site de production et dans son voisinage immédiat depuis le début du dernier cycle complet de végétation et dans le cas des végétaux utilisés pour la multiplication de Vitis spp., aucun symptôme du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne n'a été observé sur le site de production et dans son voisinage immédiat depuis le début des deux cycles complets de végétation, ii) la surveillance des vecteurs est assurée et des traitements appropriés sont appliqués pour lutter contre les vecteurs du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne, iii) les végétaux de Vitis L. laissés à l'abandon et situés dans le voisinage immédiat du site de production ont fait l'objet d'une surveillance pendant la saison végétative en ce qui concerne les symptômes du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne, et en cas de symptômes, ont été arrachés ou ont fait l'objet de tests et se sont révélés exempts du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne, / ou c) ont subi un traitement à l'eau chaude selon les normes internationales ".

4. En second lieu, en droit interne, le phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne est un organisme nuisible réglementé et un danger sanitaire au sens des articles L. 251-3 et L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime. Aux termes du II de l'article L. 201-4 du même code : " L'autorité administrative met en œuvre les mesures de prévention, de surveillance et de lutte contre les dangers phytosanitaires énumérés à l'article L. 251-3 décidées par l'Union européenne en application du règlement (UE) 2016/2031 du 26 octobre 2016. En l'absence ou en complément de telles dispositions, et quel que soit l'organisme réglementé en cause, elle peut prendre, lorsque l'objectif de protection phytosanitaire le justifie, toute mesure mentionnée à la section 1 de l'annexe II de ce règlement, sous réserve du respect des principes énumérés à la section 2 de cette annexe (...) ". Cette autorité administrative est, en application de l'article D. 251-2-5 du même code, le ministre chargé de l'agriculture. Aux termes de l'article L. 201-8 du même code : " Les propriétaires ou détenteurs (...) de végétaux (...) tenus, en application de la réglementation notamment des dispositions mentionnées à l'article L. 201-4, de réaliser ou de faire réaliser des mesures de surveillance, de prévention ou de lutte contre des dangers sanitaires en supportent le coût (...) ". Aux termes de l'article L. 201-9 du même code, dans sa version applicable au litige : " L'autorité administrative peut confier, par voie de convention, des missions de surveillance et de prévention à des organismes à vocation sanitaire (...). Ces missions peuvent être étendues aux mesures de lutte contre les dangers sanitaires ". Aux termes de l'article D. 200-2 du même code : " Le Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale, placé auprès du ministre chargé de l'agriculture, est consulté sur (...) les mesures que le ministre chargé de l'agriculture envisage de prendre sur le fondement des articles 29, 31 ou 52 du règlement (UE) 2016/2031 du 26 octobre 2016 (...). Il peut être consulté sur les projets de mesure réglementaire en matière de protection et de santé des animaux et des végétaux ou sur toute autre question relative à la santé et à la protection des animaux et des végétaux (...) ". Enfin, aux termes du II de l'article L. 251-20 du même code : " Est puni de six mois d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende : / 1° Le fait de ne pas respecter les prescriptions édictées en application du II de l'article L. 201-4 (...) ".

Sur les conclusions relatives au point " 2-Financement des prospections " de l'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du 13 août 2021 :

5. Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 27 avril 2021 : " Tout propriétaire ou détenteur de vigne située en zone délimitée, autre qu'un matériel en pépinière viticole ou qu'une vigne-mère de porte-greffe ou de greffons, réalise ou fait réaliser, sous le contrôle de la Draaf-Sral ou de l'organisme à vocation sanitaire compétent (OVS), une prospection visant à rechercher des symptômes de flavescence dorée dans les conditions prévues par l'article L. 201-8 du code rural et de la pêche maritime. Cette prospection est réalisée selon une programmation établie sous l'autorité des Draaf-Sral (...) ". Le point " 2-Financement des prospections " de l'instruction technique contestée, qui commente cet article, énonce que le financement, par les détenteurs de vigne, de la prospection visant à rechercher des symptômes de flavescence dorée " doit être contractualisé avec la Draaf-Sral [service régional de l'alimentation de la direction régionale de l'agriculture et de la forêt] ou l'OVS compétent par un acte d'engagement à " prospecter " avant le début de la surveillance " et qu'une absence de réponse dans les délais prescrits " sera considérée comme un refus d'appliquer les mesures de lutte obligatoire et exposera le détenteur de vigne (...) aux sanctions prévues par l'article L. 251-20 du code rural et de la pêche maritime ".

6. En premier lieu, l'obligation faite aux propriétaires et détenteurs de vigne de réaliser ou faire réaliser, à leurs frais, les actions de surveillance requises est énoncée par les dispositions de l'article L. 201-8 du code rural et de la pêche maritime citées au point 4. Contrairement à ce que soutient la fédération requérante, le ministre chargé de l'agriculture était compétent pour définir les modalités par lesquelles la DRAAF ou l'OVS compétents contrôlent le financement et la réalisation des prospections correspondantes, et prévoir que celles-ci sont réalisées sous leur contrôle et selon une programmation établie sous leur autorité.

7. En deuxième lieu, si l'instruction contestée prévoit que le financement de ces actions de surveillance se fait de manière " contractualisée " par le biais d'actes d'engagement à " prospecter ", l'obligation de réaliser ou de faire réaliser les mesures de prospection visant à rechercher des symptômes de flavescence dorée et d'en supporter le coût, sous le contrôle et selon une programmation établie par la DRAAF ou de l'OVS compétent, résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 201-8 et L. 201-9 du code rural et de la pêche maritime cités au point 4 et de l'article 5 de l'arrêté du 27 avril 2021. Par suite, la formalisation ainsi prévue ne saurait conférer à ces actes d'engagement une portée contractuelle. Dès lors, la fédération requérante ne saurait utilement soutenir qu'elle porterait atteinte à la liberté contractuelle.

8. En troisième lieu, l'instruction contestée se borne à rappeler que la méconnaissance des obligations prévues en matière de surveillance est passible des sanctions prévues par l'article L. 251-20 du code rural et de la pêche maritime. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'instruction technique créerait, ce faisant, un nouveau régime de sanction ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions relatives aux points " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de l'instruction technique :

9. Aux termes de l'article 13 de l'arrêté du 27 avril 2021 : " Le propriétaire ou détenteur d'une parcelle située en zone exempte ne plante sur cette parcelle que des plants traités à l'eau chaude, sauf dans les cas suivants : / Si les pépinières dont sont issus les plants sont situées en zone exempte / et / si les porte-greffes et les greffons qui constituent les plants soit sont issus de vignes-mères situées en zone exempte, soit ont été traités à l'eau chaude ". Aux termes de l'article 16 du même arrêté : " I. - Dans les pépinières viticoles et les vignes mères de porte-greffes et de greffons situées dans les zones où le vecteur de la flavescence dorée est présent, la lutte contre ce vecteur est obligatoire. Elle est réalisée au moyen de produits phytopharmaceutiques autorisés contre cet insecte ou, de préférence, s'il existe, de tout moyen autre qu'un produit phytopharmaceutique. (...) En cas de non-respect des mesures énoncées (...) les plants issus des pépinières viticoles et les boutures issues des vignes-mères de greffons sont détruits ou sont soumis à un traitement à l'eau chaude / Dans les zones exemptes de flavescence dorée, la lutte contre le vecteur de la flavescence dorée peut être remplacée par un traitement à l'eau chaude des boutures issues des vignes-mères ou des plants issus des pépinières viticoles. / II. - Dans les pépinières viticoles et les vignes mères de porte-greffes et de greffons situées dans les zones délimitées où le vecteur de la flavescence dorée est absent, la lutte contre le vecteur de la flavescence dorée n'est pas exigée. Les boutures issues des vignes-mères et les plants issus de ces pépinières sont soumis à un traitement à l'eau chaude. / III. - Dans les pépinières viticoles et les vignes mères de porte-greffes et de greffons situées dans les zones exemptes où le vecteur de la flavescence dorée est absent, la lutte contre le vecteur n'est pas exigée ".

10. En vertu des dispositions précitées de l'article 13 de l'arrêté du 27 avril 2021, rappelées par le point " Plantations en zone exempte " de l'instruction technique, ne peuvent être plantés sur une parcelle en zone exempte que des plants traités à l'eau chaude, sauf s'ils sont eux-mêmes issus de pépinières viticoles situées en zone exempte ou constitués de porte-greffe et greffons eux-mêmes issus de vignes mères situées en zone exempte ou ayant été traités à l'eau chaude. En vertu des dispositions précitées de l'article 16 de cet arrêté, rappelées par le point " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de l'instruction technique, le traitement à l'eau chaude est imposé pour les plants et boutures issus des pépinières viticoles et les vignes mères situées en zone délimitée, quand bien même l'insecte vecteur est absent de la zone en question. Pour les pépinières viticoles et vignes mères situées dans les zones où le vecteur est présent, la lutte contre le vecteur est en principe seule obligatoire, mais s'il s'agit de zones exemptes elle peut être remplacée le traitement à l'eau chaude des plants et boutures, et s'il s'agit de zones délimitées, un tel traitement permet d'éviter, en cas de carence dans la lutte contre le vecteur, la destruction des plants et boutures.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'édiction d'une règle nouvelle :

11. En prévoyant, au point " Plantations en zone exempte ", explicitant la portée de l'article 13 de l'arrêté du 27 avril 2021, qu'il appartient au propriétaire ou détenteur d'une parcelle située en zone exempte d'exiger une attestation concernant l'origine des plants auprès de son fournisseur, l'instruction technique contestée n'a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, fixé une règle nouvelle qui serait entachée d'incompétence.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des principes énoncés par la section 2 de l'annexe II du règlement (UE) 2016/2031, de l'erreur d'appréciation et de l'atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité :

12. La requérante soutient que l'obligation de traitement à l'eau chaude des plants issus de pépinières viticoles situées dans les zones délimitées méconnaît les principes de nécessité, proportionnalité, impact minimal, non-discrimination, justification technique et faisabilité énoncés par la section 2 de l'annexe II du règlement (UE) 2016/2031, est entachée d'erreur d'appréciation, et porte atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité, au motif que dès lors qu'il n'est techniquement pas possible de pratiquer un traitement à l'eau chaude sur des plants en pot ou sur des plantations d'automne, ou de déplacer les serres indispensables à la production des plants en pot, les pépiniéristes situés dans une zone exempte au moment de la commande, mais qui a été classée en zone délimitée pendant la période pouvant atteindre un an séparant la commande de la livraison, ne pourraient de ce fait honorer cette commande, et que l'interdiction de commercialisation qui en résulte affecte une part substantielle de leur activité dès lors qu'ont été commercialisés, au cours des années 2019 à 2021, près de 4 millions de plants en pot et 8,5 millions de plants issus de plantations d'automne, représentant selon les régions 7 à 30% du total des plants commercialisés. La requérante soutient en outre que l'application combinée de l'article 13 et de l'article 16 imposerait un double traitement à l'eau chaude pour les porte-greffes et les greffons issus de vignes-mères situées en zones délimitées, puis pour les plants issus des pépinières situées dans ces mêmes zones, et que cette exigence serait excessive dès lors que, d'une part, le dernier traitement suffirait à lui seul et que, d'autre part, le double traitement successif d'un même plant augmenterait le risque de mortalité.

13. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la lutte contre la flavescence dorée de la vigne, maladie fortement épidémique qui provoque le dépérissement des ceps atteints, nécessite d'éviter l'introduction, dans les parcelles de vignes et dans les pépinières situées en zones exemptes, de plants potentiellement contaminés issus de zones délimitées, d'autre part, que le traitement à l'eau chaude est la seule mesure à même d'éliminer le phytoplasme de plants ou de boutures contaminés. Dès lors, la requérante, qui n'établit pas que l'obligation contestée, qui poursuit un objectif d'intérêt général de lutte contre la flavescence dorée, revêtirait, eu égard à la gravité de cette maladie, un caractère infaisable, inapproprié ou excessif, ou que cet objectif pourrait être atteint par des moyens moins contraignants, n'est pas fondée à soutenir que cette obligation méconnaîtrait les principes énoncés par la section 2 de l'annexe II du règlement (UE) 2016/2031 ou serait entachée d'erreur d'appréciation, ni, en tout état de cause, qu'elle porterait une atteinte disproportionnée à liberté d'entreprendre ou méconnaîtrait le principe d'égalité.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du règlement d'exécution (UE) 2019/2072 de la Commission du 28 novembre 2019 :

14. La requérante soutient que les points " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de l'instruction technique contestée, ainsi que les dispositions des articles 13 et 16 de l'arrêté du 27 avril 2021, méconnaissent le règlement d'exécution (UE) 2019/2072, dès lors qu'ils subordonnent la circulation de végétaux destinés à la plantation de vigne répondant aux prescriptions du b du point 19 de l'annexe VIII de ce règlement précité à un traitement à l'eau chaude qu'il n'impose pas.

15. D'une part, il résulte des dispositions du règlement (UE) 2016/2031 citées au point 3 que lorsque la Commission a adopté des mesures de lutte contre un organisme de quarantaine de l'Union, un Etat membre peut adopter des mesures plus restrictives pour autant que l'objectif de protection phytosanitaire le justifie et que ces mesures soient conformes aux principes de nécessité, de proportionnalité, d'impact minimal, de non-discrimination, de justification technique et de faisabilité, sous réserve toutefois que ces mesures n'imposent pas d'autres interdictions ou restrictions concernant la circulation de végétaux, produits végétaux et autres objets, sur le territoire de l'Union, que celles prévues, notamment, aux articles 40 à 58. Or, en application des articles 28 et 41 du règlement (UE) 2016/2031, la Commission a classé le phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne comme organisme de quarantaine de l'Union et a défini, au point 19 de l'annexe VIII du règlement (UE) 2019/2072 cité au point 4, les exigences relatives à la circulation applicables aux végétaux destinés à la plantation de vigne, qui prévoient qu'elle est possible dans trois hypothèses : a) soit lorsque ces végétaux proviennent d'une zone exempte ; b) soit lorsqu'ils proviennent d'un site de production dans lequel aucun symptôme du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne n'a été observé ni dans son voisinage immédiat depuis le début du dernier cycle complet de végétation et, dans le cas des végétaux utilisés pour la multiplication de la vigne, de deux cycles complets de végétation, si par ailleurs la lutte contre le vecteur du phytoplasme est assurée et que les vignes abandonnées et situées dans le voisinage immédiat du site de production ont fait l'objet d'une surveillance adéquate ; c) soit lorsque ces végétaux ont subi un traitement à l'eau chaude.

16. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire que l'obligation de traitement à l'eau chaude prévue par l'arrêté du 27 avril 2021 et reprise par l'instruction technique contestée, telle que rappelée au point 10, oblige à traiter à l'eau chaude des plants issus de pépinières et vignes-mères utilisés pour la multiplication de la vigne alors même que ceux-ci remplissent les conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII du règlement (UE) 2019/2072.

17. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que les points " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de l'instruction technique et les articles 13 et 16 de l'arrêté du 27 avril 2021 méconnaissent les règlements (UE) 2016/2031 et (UE) 2019/2072 en tant qu'ils ne permettent pas la circulation de végétaux destinés à la plantation répondant aux conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII de ce dernier.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure :

18. Contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'instruction technique contestée ne prévoit pas, par elle-même, de mesures plus restrictives que celles fixées par le règlement (UE) 2016/2031 et qui seraient prises sur le fondement des articles 29, 31 ou 52 de ce règlement. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article D. 200-2 du code rural et de la pêche maritime cité au point 4 que la consultation du Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale n'est pas obligatoire s'agissant des mesures réglementaires prises en matière de protection et de santé des végétaux. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été consulté sur l'instruction technique contestée ne peut qu'être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération française de la pépinière viticole n'est fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque qu'en tant que les points " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de l'annexe I de l'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du 13 août 2021 ne prévoient pas que puissent circuler les végétaux utilisés pour la multiplication de la vigne lorsqu'aucun symptôme du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne n'a été observé sur le site de production et dans son voisinage immédiat depuis le début du dernier cycle complet de végétation et, dans le cas des végétaux utilisés pour la multiplication de la vigne, de deux cycles complets de végétation, que la surveillance des vecteurs du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne est assurée et que des traitements appropriés sont appliqués pour lutter contre ces vecteurs, et enfin, que les vignes laissées à l'abandon et situées dans le voisinage immédiat du site de production ont fait l'objet d'une surveillance pendant la saison végétative, et en cas de symptômes, ont été arrachées ou ont fait l'objet de tests et se sont révélées exemptes du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la Fédération française de la pépinière viticole au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'instruction technique DGAL/SAS/2021-627 du 13 août 2021 est annulée en tant que les points " Plantations en zone exempte " et " Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières " de son annexe I ne prévoient pas que puissent circuler les végétaux utilisés pour la multiplication de la vigne lorsqu'aucun symptôme du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne n'a été observé sur le site de production et dans son voisinage immédiat depuis le début du dernier cycle complet de végétation et, dans le cas des végétaux utilisés pour la multiplication de la vigne, de deux cycles complets de végétation, que la surveillance des vecteurs du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne est assurée et que des traitements appropriés sont appliqués pour lutter contre ces vecteurs, et enfin, que les vignes laissées à l'abandon et situées dans le voisinage immédiat du site de production ont fait l'objet d'une surveillance pendant la saison végétative, et en cas de symptômes, ont été arrachées ou ont fait l'objet de tests et se sont révélées exemptes du phytoplasme responsable de la flavescence dorée de la vigne.

Article 2 : L'Etat versera à la Fédération française de la pépinière viticole une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Fédération française de la pépinière viticole est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française de la pépinière viticole et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 28 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461202
Date de la décision : 28/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2023, n° 461202
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461202.20230628
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