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23/06/2023 | FRANCE | N°454970

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 23 juin 2023, 454970


Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire reçue le 26 juillet 2016 par le centre communal d'action sociale (CCAS) de la ville de Fontainebleau (Seine-et-Marne) et, d'autre part, de condamner le CCAS à lui verser une somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur les heures de travail d'astreinte et des heures supplémentaires non rémunérées, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles dans le conditions d'existence, le tout augmen

té des intérêts au taux légal. Par un jugement n° 1700003 du 21 ...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire reçue le 26 juillet 2016 par le centre communal d'action sociale (CCAS) de la ville de Fontainebleau (Seine-et-Marne) et, d'autre part, de condamner le CCAS à lui verser une somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur les heures de travail d'astreinte et des heures supplémentaires non rémunérées, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles dans le conditions d'existence, le tout augmenté des intérêts au taux légal. Par un jugement n° 1700003 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 20PA00177 du 27 mai 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet et 26 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Fontainebleau la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 84-16 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2005-542 du 19 mai 2005 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 mars 2021, RJ c/Stadt Offenbach am Main (C-580/19) ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 juillet 2021, B.K. c/Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de Mme A... B... et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat du centre communal d'action sociale de Fontainebleau ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... B..., employée par le centre communal d'action sociale de Fontainebleau (Seine-et-Marne) en qualité de contractuelle depuis le 1er septembre 2008, puis d'adjointe technique de 2ème classe titulaire à partir du 28 juin 2010, exerce des fonctions de gardiennage au sein d'une résidence pour personnes âgées et dispose d'un logement de fonctions par nécessité absolue de service. Par un courrier du 22 juillet 2016, elle a demandé au président du CCAS de déterminer les rappels de salaires qui lui étaient dus au titre du temps de travail effectif constitué par ses missions de gardiennage et de veille de nuit, de lui verser une somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur des heures non rémunérées sur la période comprise entre 2008 et 2014 et à l'indemniser des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis. En l'absence de réponse du CCAS, une décision implicite de rejet est née le 26 septembre 2016. Par un jugement du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Mme B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000, relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature rendu applicable aux agents de la fonction publique territoriale en vertu de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 2 du décret du 19 mai 2005 relatif aux modalités de la rémunération ou de la compensation des astreintes et des permanences dans la fonction publique territoriale. : " Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle l'agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ainsi que, le cas échéant, le déplacement aller et retour sur le lieu de travail ".

4. Par son arrêt du 9 mars 2021, RJ c/Stadt Offenbach am Main (C-580/19), ainsi qu'aux points 93 à 95 de son arrêt du 15 juillet 2021, B.K. c/Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les périodes d'astreinte effectuées sur des lieux de travail qui ne se confondent pas avec le domicile du travailleur devaient normalement être qualifiées, dans leur intégralité, de temps de travail, dès lors que le travailleur doit alors rester éloigné de son environnement social et familial et bénéficie d'une faible latitude pour gérer le temps pendant lequel ses services ne sont pas sollicités. S'agissant des autres périodes d'astreinte, la Cour a jugé qu'elles étaient également susceptibles d'être qualifiées de temps de travail selon qu'elles permettent ou non au travailleur de gérer librement son temps pendant ses périodes d'astreinte et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Aux points 48 à 53 de son arrêt du 9 mars 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a indiqué qu'une telle qualification devait faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, prenant en compte, premièrement, le temps de réaction laissé au travailleur, deuxièmement, les contraintes et facilités accordées au travailleur pendant cette période et, troisièmement, la fréquence moyenne des prestations effectives normalement réalisées par ce travailleur.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel, notamment du mémoire en réplique présenté par Mme B..., que celle-ci a entendu demander la requalification des périodes d'astreinte qu'elle a réalisées au sein de la résidence pour personnes âgées, où se trouvait son domicile, quotidiennement une semaine sur deux de 18 h 30 à 8 heures, et du lundi au vendredi l'autre semaine, durant la période allant du 1er septembre 2008 au 3 novembre 2013, et à compter du 4 novembre 2013 et jusqu'au 27 avril 2015, pendant sept nuits consécutives la première semaine et trois nuits consécutives la deuxième semaine, précédées d'une nuit de repos. Mme B... a fait valoir que le service de nuit qu'elle a assuré ne se limitait pas à une simple période de veille à son domicile, mais lui imposait de se trouver à la disposition permanente des personnes résidentes pour leur apporter aide et assistance et répondre à leurs sollicitations sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Par suite, en ne répondant pas à ce moyen et en se bornant à indiquer que Mme B... n'apportait pas d'éléments permettant d'évaluer avec certitude la durée exacte de ces interventions pendant les périodes d'astreinte, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'insuffisance de motivation.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que Mme B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CCAS de Fontainebleau la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 27 mai 2021 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Le CCAS de Fontainebleau versera à Mme B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la CCAS de Fontainebleau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au centre communal d'action sociale de Fontainebleau.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 mai 2023 où siégeaient : M. Christian Fournier, conseiller d'Etat, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 23 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Christian Fournier

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 454970
Date de la décision : 23/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2023, n° 454970
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : CORLAY ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:454970.20230623
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