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22/06/2023 | FRANCE | N°467104

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 22 juin 2023, 467104


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 juin 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d'un déplacement d'office ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du

code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la c...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 juin 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d'un déplacement d'office ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bouthors, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a exercé les fonctions de procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Albi à compter du 1er septembre 2017. A la suite d'un rapport d'inspection en date du 18 mars 2021 relatif au fonctionnement du parquet d'Albi, établi par le procureur général près la cour d'appel de Toulouse sur le fondement de l'article R. 312-68 du code de l'organisation judiciaire, le garde des sceaux, ministre de la justice a saisi le 2 avril 2021 le Conseil supérieur de la magistrature afin qu'il émette un avis sur le prononcé d'une mesure d'interdiction temporaire des fonctions exercées par M. B... en qualité de procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Albi. Le Conseil supérieur de la magistrature a émis un avis favorable le 16 avril 2021. Par un arrêté du 29 avril 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à l'égard de M. B... une interdiction temporaire d'exercer ses fonctions jusqu'à l'intervention d'une décision définitive sur les poursuites disciplinaires susceptibles d'être engagées à son encontre. Le 14 juin 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice a, sur le fondement de l'article 63 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, saisi le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. B.... Par un avis motivé du 14 juin 2022, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, a émis l'avis de prononcer à l'encontre de M. B... la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d'un déplacement d'office. Par une décision du 21 juin 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à l'encontre de M. B... la sanction de retrait des fonctions de procureur de la République, assortie d'un déplacement d'office. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 69 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, lorsque l'état de santé d'un magistrat apparaît incompatible avec l'exercice de ses fonctions, le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le comité médical national en vue de l'octroi d'un congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée. S'il n'est pas contesté que M. B... a rencontré, à l'époque de ses fonctions au parquet d'Albi, d'importantes difficultés de santé, tenant à divers troubles psychiatriques et physiologiques et à une intervention chirurgicale, d'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport établi par l'inspection générale de la justice, que M. B... s'est lui-même opposé à la saisine du comité médical qui lui avait été proposée par sa hiérarchie au parquet général de Toulouse, et qu'il a fourni plusieurs certificats médicaux attestant de la compatibilité de son état de santé avec l'exercice de ses fonctions. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que les manquements professionnels ayant fondé la sanction prononcée à l'encontre de M. B... ne sauraient être regardés comme exclusivement imputables à ses difficultés de santé et il n'est pas par ailleurs allégué que son état mental aurait été tel que l'intéressé n'aurait pu être regardé comme responsable de ses actes. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure disciplinaire au terme de laquelle est intervenue la décision attaquée serait entachée d'irrégularité, faute de saisine du comité médical au titre de l'article 69 précité, ou serait constitutive d'un détournement de procédure, doit être écarté.

3. En deuxième lieu, si le requérant fait valoir que le rapport d'inspection de fonctionnement établi en mars 2021 par le procureur général près la cour d'appel de Toulouse lui aurait imputé à tort des propos déplacés, dont certains à caractère raciste, cette seule circonstance ne saurait être regardée comme entachant de partialité la procédure disciplinaire au terme de laquelle est intervenue la décision attaquée, dès lors que les griefs relatifs à ces propos allégués ont été expressément écartés, tant par le rapport de l'inspection générale de la justice que par l'avis émis le 14 juin 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature. Si la requête soutient, en outre, que la procédure serait entachée de partialité en ce que les deux inspecteurs ayant établi le rapport de l'inspection générale de la justice relatif à M. B... auraient " émis des jugements de valeur dénotant un jugement personnel négatif à l'encontre du requérant ", ces allégations ne sont, en tout état de cause, pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré du défaut d'impartialité de la procédure et de méconnaissance des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le procureur général de Toulouse, qui avait initialement indiqué à M. B... qu'il l'auditionnerait dans le cadre de l'inspection du parquet d'Albi diligentée sur le fondement de l'article R. 312-68 du code de l'inspection judiciaire, y a finalement renoncé en raison de l'état de santé de l'intéressé, qui se trouvait en congé maladie entre début mars et fin mai 2021, soit lors de la période d'élaboration de ce rapport. Cette seule circonstance ne saurait être regardée, en elle-même, comme entachant d'une méconnaissance des droits de la défense l'ensemble de la procédure disciplinaire, dès lors que cette audition n'était pas prévue par les dispositions précitées et qu'il ressort des pièces du dossier que M. B... a pu régulièrement avoir connaissance de la totalité des éléments du dossier disciplinaire et a eu plusieurs occasions, en particulier lors de ses auditions par l'inspection générale de la justice et par le Conseil supérieur de la magistrature, pour formuler toutes observations utiles en défense. Si le requérant fait valoir que la brièveté du délai écoulé entre la convocation transmise le 9 avril 2021 par le Conseil supérieur de la magistrature et son audition le 13 avril 2021 l'a privé de la possibilité de préparer utilement sa défense, d'une part, ce délai s'explique notamment par le caractère d'urgence de la procédure de saisine du Conseil supérieur de la magistrature prévue par l'article 58-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, d'autre part, cette audition s'inscrivait, en tout état de cause, dans le cadre de la procédure visant à lui interdire d'exercer temporairement ses fonctions, et non dans celui de la procédure disciplinaire qui s'est poursuivie ultérieurement. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure disciplinaire aurait méconnu les droits de la défense et le principe du contradictoire doit être écarté.

5. En quatrième lieu, la décision du 21 juin 2022 expose avec suffisamment de précision les circonstances de fait et les motifs de droit à l'origine de la sanction prononcée. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, si le garde des sceaux, ministre de la justice a suivi l'avis motivé rendu le 14 juin 2022 par le Conseil supérieur de la magistrature, il ne ressort pas pour autant des pièces du dossier qu'en prononçant la sanction litigieuse à l'encontre de M. B..., il aurait renoncé à exercer son pouvoir d'appréciation. En outre, si le garde des sceaux, ministre de la justice s'appuie dans la décision litigieuse sur les conclusions du rapport de l'inspection générale de la justice de juin 2021 ainsi que sur celles de l'avis du 14 juin 2022 du Conseil supérieur de la magistrature, cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à établir qu'il aurait renoncé à son pouvoir d'appréciation. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait, à cet égard, entachée d'erreur de droit, doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de l'inspection générale de la justice et de l'avis motivé du 14 juin 2022 rendu par la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, que M. B... a fait preuve, dans l'exercice de ses fonctions de procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Albi, et sur plusieurs années, de différents manquements professionnels. Ceux-ci se sont manifestés par des insuffisances structurelles dans le pilotage et l'animation du parquet d'Albi, par des carences dans la direction de la police judiciaire, en raison notamment de l'absence d'instructions de politique pénale à destination des services de police et de gendarmerie, par des dysfonctionnements dans les relations avec les procureurs généraux successifs près la cour d'appel de Toulouse. Ces derniers ont souligné le manque de réactivité, voire le refus de réponse à leurs demandes, dont faisait montre le requérant et plus largement une absence de remontée d'informations. Il a enfin été relevé par un manque de rigueur et de diligence dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, caractérisé, en particulier, par des retards chroniques dans le traitement des dossiers.

9. L'ensemble de ces faits, qui ont à la fois perturbé le bon fonctionnement des services du parquet du tribunal judiciaire d'Albi et porté atteinte à l'image comme au crédit de l'institution judiciaire, constituent des manquements de l'intéressé aux devoirs de son état au sens de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Ils sont, par suite, constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.

10. En troisième lieu, dans ces conditions, eu égard à la nature des manquements commis, qui ont été récurrents et se sont produits sur une période de plusieurs années, et alors qu'il ressort des pièces du dossier que la situation particulière de M. B..., notamment ses difficultés de santé, a été prise en compte dans le choix de la sanction, le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas, en décidant le retrait des fonctions de procureur de la République, assorti d'un déplacement d'office, lesquels figurent parmi les sanctions les plus faibles prévues par les dispositions de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, prononcé à l'encontre du requérant une sanction disproportionnée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 21 juin 2022.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 467104
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2023, n° 467104
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : BOUTHORS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467104.20230622
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