Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2106072 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de M. B... A... et de l'association Gardez les Caps, enregistrée le 26 novembre 2021 au greffe de ce tribunal.
Par cette requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 9 décembre 2021, 26 juillet 2022 et 28 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et l'association Gardez les Caps demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 9 novembre 2021 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a accordé à la société Réseau de transport d'électricité (RTE) le bénéfice des servitudes légales instituées sur le chemin des Moineries situé dans la commune d'Erquy pour l'établissement d'une ligne souterraine électrique à deux circuits de 225 000 volts pour le raccordement électrique du projet éolien en mer en baie de Saint-Brieuc ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code de l'énergie ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A... et autre et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de Réseau de transport d'électricité (RTE) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 mai 2023, présentée par M. A... et autre ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... et l'association Gardez les Caps demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2021 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a institué des servitudes légales au bénéfice de la société Réseau de transport d'électricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, sur le chemin des Moineries, situé sur le territoire de la commune d'Erquy, pour l'établissement d'une ligne souterraine électrique à deux circuits de 225 000 volts, destinée au raccordement électrique du projet de parc éolien en mer de la baie de Saint-Brieuc. Cet arrêté fait suite à un arrêté interministériel du 28 mars 2017 déclarant d'utilité publique, en vue de l'institution de servitudes, les travaux de création de la liaison électrique entre le poste de livraison " baie de Saint-Brieuc " de la société Ailes marines et le poste " RTE de la Doberie " sur le territoire des communes d'Erquy, Henansal et Saint-Alban.
2. Aux termes de l'article L. 323-3 du code de l'énergie :
" Les travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité peuvent être, sur demande du concédant ou du concessionnaire, déclarés d'utilité publique par l'autorité administrative. / (...) ". Aux termes de l'article L. 323-4 du même code : " La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements. / La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : / (...) / 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; (...) ". Aux termes de l'article R. 323-9 de ce code : " En cas de désaccord avec au moins un des propriétaires intéressés, le pétitionnaire présente une requête accompagnée d'un plan et d'un état parcellaire par commune indiquant les propriétés qui doivent être atteintes par les servitudes. / Cette requête est adressée au préfet et comporte les renseignements nécessaires sur la nature et l'étendue de ces servitudes. Le préfet, dans les quinze jours suivant la réception de la requête, prescrit par arrêté une enquête et désigne un commissaire enquêteur. / Le même arrêté précise l'objet de l'enquête, les dates d'ouverture et de clôture de l'enquête, dont la durée est fixée à huit jours, le lieu où siège le commissaire enquêteur, ainsi que les heures pendant lesquelles le dossier peut être consulté à la mairie de chacune des communes intéressées, où un registre est ouvert afin de recueillir les observations. / Cet arrêté est notifié au pétitionnaire et immédiatement transmis avec le dossier aux maires des communes intéressées, lesquels doivent, dans les trois jours, accomplir les formalités prévues à l'article R. 323-10 ". Aux termes de l'article R. 323-17 de ce code : " Une indemnité peut être versée à l'occupant du fonds pourvu d'un titre régulier, en considération du préjudice effectivement subi par lui. / A défaut d'accord amiable entre le pétitionnaire et les intéressés, l'indemnité est fixée par le juge de l'expropriation ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du refus de la commune d'Erquy d'instituer par voie amiable les servitudes nécessaires à l'installation d'un câblage souterrain sur le chemin des Moineries, la société RTE a, en application de l'article R. 323-9 du code de l'énergie, demandé le 31 août 2021 au préfet des Côtes d'Armor l'ouverture d'une enquête en vue de l'établissement de ces servitudes. L'enquête publique, ouverte par le préfet le 9 septembre 2021, a fait l'objet d'un rapport d'enquête de la commissaire enquêtrice le 13 octobre 2021, qui a émis un avis favorable.
4. En premier lieu, les requérants soutiennent que le plan parcellaire fourni par la société RTE était incomplet et erroné parce que, d'une part, il ne représentait pas le bâtiment servant à la stabulation des vaches laitières composant l'élevage de M. A... et, d'autre part, le chemin des Moineries y apparaissait comme appartenant au domaine public de la commune.
5. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas des dispositions de l'article R. 323-9 citées ci-dessus que l'état parcellaire, qui doit être présenté par le pétitionnaire dans le cadre de la procédure d'enquête mise en œuvre en vue de l'établissement des servitudes administratives nécessaires à la réalisation des ouvrages de transport et de distribution d'électricité afin de permettre l'identification des limites et de l'étendue des propriétés susceptibles d'être affectées par ces servitudes, devrait faire apparaitre les constructions existant sur ces propriétés, Les requérants ne sont dès lors, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que l'arrêté qu'ils attaquent aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir fait apparaitre certaines constructions. D'autre part, le plan parcellaire transmis par la société RTE au préfet ne mentionne pas l'appartenance du chemin des Moineries au domaine public de la commune. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir, en tout état de cause, que l'arrêté attaqué serait illégal en raison d'une inexactitude de cette mention.
6. En deuxième lieu, d'une part, en vertu de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime, les chemins ruraux sont des " chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ". L'article L. 161-2 du même code précise que : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale ". Aux termes de l'article L. 161-3 de ce code : " Tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ". D'autre part, aux termes de l'article L. 162-1 du même code : " Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public ".
7. Les requérants soutiennent que l'arrêté préfectoral qu'ils attaquent mentionne par erreur que le chemin des Moineries appartient à la commune d'Erquy, alors qu'il existerait une incertitude sur son véritable propriétaire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce chemin, appartenant à la commune d'Erquy, est affecté à l'usage du public et utilisé comme voie de passage. Par suite, alors même que les requérants contestent la nature de ce chemin, il doit, en l'état du dossier, être présumé constituer un chemin rural, en application des dispositions de l'article L 161-3 du code rural et de la pêche maritime. Les requérants n'apportent aucun élément de nature à remettre en cause cette présomption. Il ressort, au demeurant, des pièces du dossier que, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article R. 323-9 du code de l'énergie, tous les propriétaires de parcelles traversées par le chemin des Moineries ou contiguës à celui-ci ont été mis à même de présenter leurs observations dans le cadre de l'enquête ouverte le 9 septembre 2021 par le préfet des Côtes d'Armor, et ont donc pu, s'ils s'y estimaient fondés, formuler toute remarque relative à des contestations portant sur la propriété de leurs parcelles.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Lorsqu'ils formulent et mettent en œuvre la politique de l'Union dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l'espace, l'Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ". Aux termes de l'article 515-14 du code civil : " Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ". Aux termes de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime : " Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ". Aux termes de l'article L. 323-13 du code de l'énergie : " Les personnes chargées du transport de l'énergie électrique doivent réaliser un contrôle régulier des champs électromagnétiques induits par les lignes de transport d'électricité. Les résultats de ces mesures sont transmis annuellement à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, qui les rend publics ".
9. D'une part, il ressort de l'étude d'impact réalisée en vue de l'adoption de l'arrêté du 28 mars 2017 portant déclaration d'utilité publique, qui rappelle l'état des connaissances scientifiques, que " la liaison souterraine n'émet pas de champ électrique " en raison des précautions prises, que le tracé retenu suit le " fuseau de moindre impact ", notamment le tracé des routes départementales et communales existantes, et que RTE devra mettre en place un dispositif pertinent de surveillance et de mesure des ondes électromagnétiques, dans le cadre d'un plan de contrôle et de surveillance, conformément aux dispositions de l'article L. 323-13 du code de l'énergie citées au point 8.
10. D'autre part, si les requérants soutiennent que l'arrêté attaqué est illégal parce qu'il a été pris avant la publication du rapport tirant les conclusions de l'expertise en cours sur l'impact du câblage à proximité de la stabulation exploitée par M. A..., il résulte d'un arrêt en date du 10 mai 2022 de la cour d'appel de Rennes que l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc du 26 août 2021 étendant la mission d'expertise préventive ordonnée le 19 novembre 2019 à la demande de la société RTE, afin que les experts apprécient si les travaux projetés et la mise en service de la ligne électrique étaient susceptibles de causer des troubles dans l'exploitation agricole de M. A..., a été annulée en ce qu'elle avait ordonné cette extension de la mission d'expertise, au motif que les investigations portant sur l'état sanitaire du cheptel, l'état géologique des sols et l'état électrique des installations agricoles ne relevaient pas d'une expertise préventive portant sur l'état descriptif et qualitatif des immeubles et constructions édifiées sur les parcelles voisines de celles recevant les travaux de raccordement au réseau électrique et n'entraient pas dans le champ de compétence des experts initialement désignés.
11. Par suite, faute pour les requérants d'apporter des éléments nouveaux permettant de remettre en cause les constatations mentionnées au point 9, réalisées en l'état des connaissances scientifiques, sur l'absence d'émission de champ électrique par la liaison souterraine en projet, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation, au regard de l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 515-14 du code civil et de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime, quant à l'impact de l'installation de câbles électriques dans le sol sur le bien-être des vaches laitières appartenant à M. A....
12. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les requérants ne sont, en tout état de cause, pas davantage fondés à soutenir que, compte tenu de l'impact des champs électromagnétiques émis par les câbles souterrains sur la santé des vaches appartenant à M. A..., cet arrêté porterait atteinte au droit de propriété de l'intéressé protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société RTE, que la requête de M. A... et de l'association Gardez les Caps doit être rejetée.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. A... et de l'association Gardez les Caps la somme de 3 000 euros à verser à la société RTE, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société RTE qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... et de l'association Gardez les Caps est rejetée.
Article 2 : M. A... et l'association Gardez les Caps verseront solidairement à la société RTE une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à l'association Gardez les Caps, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Réseau de transport d'électricité.