Vu la procédure suivante :
M. A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011 à 2014, ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée qui leur a été réclamée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 et de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Par deux jugements du 5 mars 2020
n°s 1801295, 1801298, 1801415 et n°s 1805363, 1805364, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements intervenus en cours d'instance et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Par un arrêt n°s 20BX01454, 20BX01455 du 13 janvier 2022, la cour administrative de Bordeaux a rejeté les requêtes d'appel formées par M. et Mme B... contre ces jugements.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire ampliatif et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 28 février, 2 mai, 8 septembre et 7 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que la cour administrative d'appel de Bordeaux :
- s'est méprise sur la portée de leurs écritures en estimant qu'ils soutenaient que l'administration fiscale avait fait application de la procédure de l'abus de droit sans leur accorder les garanties associées ;
- a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en jugeant qu'ils avaient exercé une activité de marchands de biens et que les gains issus des cessions de biens immobiliers devaient être imposés en application des articles 35 et 257 du code général des impôts ;
- a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur de droit en jugeant que la chronologie des cessions en litige était suffisante pour conclure que les biens cédés ne pouvaient avoir été occupés comme résidences principales et qu'il leur appartenait de démontrer le contraire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique déclare s'en remettre à la sagesse du Conseil d'Etat dans la mesure où il a admis que certains des biens cédés avaient pu être affectés à la résidence principale des contribuables au moment de leur revente.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Griel, avocat de M. et Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et
Mme B... ont procédé, entre 1999 et 2012, à neuf opérations d'achat de terrains et de revente de biens immobiliers. Les regardant, du fait de ces opérations, comme des marchands de biens, l'administration fiscale a mis à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2011 à 2014, et leur a réclamé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015. Par deux jugements du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements intervenus en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de M. et
Mme B... tendant à la décharge de ces suppléments d'impôts. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 13 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux qui a rejeté leurs appels contre ces jugements.
2. D'une part, aux termes de l'article 35 du code général des impôts : " I. Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes ci-après : 1° personnes qui, habituellement achètent en leur nom en vue de les revendre des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières (...) ". Aux termes de l'article 150-U de ce code dans sa rédaction applicable au litige : " I. - (...) les plus-values réalisées par les personnes physiques (...) lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH. (...) II. - Les dispositions du I ne s'appliquent pas aux immeubles, aux parties d'immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : / 1° Qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes du I de l'article 256 du même code : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A de ce code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. (...) ". Aux termes de l'article 257 du même code : " I. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (...) 2. Sont considérés (...) / 2° Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que les bénéfices et le chiffre d'affaires réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l'activité de marchand de biens, sauf pour l'intéressé à établir soit que les immeubles qu'il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale.
5. La seule circonstance qu'un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d'immeubles qu'il affecte à sa résidence principale, sans que l'administration fiscale n'établisse ni qu'il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d'un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l'exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l'article 150-U du code général des impôts, caractériser une activité de marchand de biens.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au titre des années en litige, M. et Mme B... ont cédé plusieurs maisons d'habitation qu'ils avaient construites sur des terrains acquis antérieurement. Ils ont placé ces cessions sous le régime d'exonération prévu par l'article 150-U du code général des impôts en faveur des résidences principales ainsi qu'en franchise de taxe sur la valeur ajoutée au motif qu'elles ne relevaient pas des opérations mentionnées à l'article 256 A du même code. La cour a jugé, d'une part, que les intéressés résultait du nombre d'opérations réalisées sur la période, du court délai qui séparait l'achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu'avant même d'avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d'une intention spéculative et, d'autre part, qu'ils n'apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En statuant ainsi, alors que l'administration fiscale n'avait ni remis en cause l'affectation à la résidence principale de certains des immeubles cédés ni invoqué l'abus de droit, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 13 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... et Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 14 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :