La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2023 | FRANCE | N°464325

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 06 juin 2023, 464325


Vu la procédure suivante :

Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Garrigues arquettoises a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 1er mars 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Arquettes-en-Val (Aude) a abrogé la délibération du 21 novembre 2013 par laquelle il a demandé aux maîtres d'ouvrage compétents de réaliser l'extension des réseaux d'eau et d'électricité nécessaire au raccordement du terrain d'assiette du projet d'atelier de découpe de viande du GAEC, sa

ns participation financière de ce dernier, et, d'autre part, de condam...

Vu la procédure suivante :

Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Garrigues arquettoises a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 1er mars 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Arquettes-en-Val (Aude) a abrogé la délibération du 21 novembre 2013 par laquelle il a demandé aux maîtres d'ouvrage compétents de réaliser l'extension des réseaux d'eau et d'électricité nécessaire au raccordement du terrain d'assiette du projet d'atelier de découpe de viande du GAEC, sans participation financière de ce dernier, et, d'autre part, de condamner la commune à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en l'absence de raccordement de son terrain à ces réseaux. Par un jugement n° 1701384 du 16 avril 2019, le tribunal administratif a, dans les articles 1er et 2, condamné la commune d'Arquettes-en-Val à verser au GAEC des Garrigues arquettoises la somme de 20 840 euros en réparation du préjudice subi ainsi qu'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, dans l'article 3, rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 19MA02717 du 21 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et rejeté les conclusions indemnitaires présentées par le GAEC et, d'autre part, rejeté l'appel incident du GAEC dirigé contre l'article 3 du jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai et 23 août 2022 et le 30 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GAEC des Garrigues arquettoises demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Arquettes-en-Val la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- le décret n° 2011-1697 du 1er décembre 2011 ;

- le décret n° 2014-541 du 26 mai 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat du GAEC des garrigues arquettoises et au Cabinet François Pinet, avocat de la commune d'Arquettes-en-Val ;

Considérant ce qui suit :

1. Selon le premier alinéa de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par un arrêté du 10 septembre 2013, le maire d'Arquettes-en-Val a rejeté la demande de permis de construire présentée par le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Garrigues arquettoises en vue de l'édification d'un atelier de découpe de viande, en raison, notamment, de l'absence de desserte du terrain d'assiette par les réseaux électrique et d'eau potable, sur le fondement de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur. Par une délibération du 21 novembre 2013, le conseil municipal de la commune d'Arquettes-en-Val a, d'une part, indiqué que les travaux d'extension de ces réseaux nécessaires à la desserte, notamment, du terrain d'assiette du projet de construction du GAEC seraient pris en charge par la communauté d'agglomération de Carcassonne et le syndicat audois des énergies et du numérique (SYADEN) et, d'autre part, entendu dispenser le GAEC du versement de la participation financière pour équipement public exceptionnel prévue à l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme. Par un arrêté du 6 décembre 2013, le maire de la commune d'Arquettes-en-Val a retiré sa décision du 10 septembre 2013 et délivré le permis de construire sollicité, sans exiger du GAEC le versement d'une participation. Par une délibération du 1er mars 2016, le conseil municipal de la commune d'Arquettes-en-Val a abrogé la délibération du 21 novembre 2013, au motif qu'elle avait été adoptée dans des conditions frauduleuses.

3. Par un jugement du 16 avril 2019, le tribunal administratif de Montpellier a, dans les articles 1er et 2, condamné la commune d'Arquettes-en-Val à verser au GAEC des Garrigues arquettoises la somme de 20 840 euros en réparation du préjudice subi du fait du refus du maire de la commune de délivrer, à partir du mois de mai 2015, les autorisations de voirie nécessaires à la réalisation des travaux d'extension du réseau électrique permettant de desservir l'atelier édifié par le GAEC conformément au permis de construire délivré le 6 décembre 2013, ainsi qu'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, dans l'article 3, rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ainsi que ses conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 1er mars 2016. Par un arrêt du 21 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et rejeté les conclusions indemnitaires du GAEC et, d'autre part, rejeté comme irrecevable l'appel incident du GAEC dirigé contre le jugement du tribunal administratif en tant qu'il avait rejeté ses conclusions d'excès de pouvoir. Eu égard aux moyens qu'il soulève, le pourvoi du GAEC doit être regardé comme dirigé contre cet arrêt en tant seulement qu'il porte sur le litige indemnitaire.

4. En premier lieu, pour faire droit à l'appel de la commune d'Arquettes-en-Val, la cour administrative d'appel s'est d'abord fondée, aux points 4 et 5 de son arrêt, sur ce que la délibération du 21 novembre 2013 devait être regardée comme inexistante dès lors qu'elle ne correspondait pas aux échanges intervenus au sein du conseil municipal, et sur ce que, en conséquence, le permis de construire du 6 décembre 2013, dont l'obtention était légalement conditionnée à l'adoption de la délibération, avait été obtenu par fraude. En déduisant le caractère frauduleux du permis de construire de l'inexistence de la délibération, sans rechercher si ce permis faisait suite à des manœuvres destinées à en permettre la délivrance en dépit d'une règle y faisant obstacle, la cour a commis une erreur de droit.

5. La commune demande toutefois que soit substitué à ce motif erroné de l'arrêt celui tiré de ce que l'inexistence de la délibération entraînait par voie de conséquence celle du permis de construire.

6. La déclaration d'inexistence d'un acte administratif emporte celle des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte inexistant ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de cet acte.

7. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur, rappelées au point 1, que le maire ne peut délivrer un permis de construire un bâtiment dont le raccordement au réseau électrique nécessite des travaux d'extension de ce dernier dans le cas où, après avoir accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires, il n'est pas en mesure d'indiquer, à la date à laquelle il se prononce sur la demande de permis de construire, dans quel délai et par quelle collectivité publique ou quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. Le maire ne saurait légalement refuser la délivrance d'un permis de construire sur le fondement de ces dispositions au motif que le conseil municipal n'a pas délibéré afin d'identifier le maître d'ouvrage responsable de ces travaux et constater que ces derniers seraient pris en charge par celui-ci. D'autre part, il résulte de l'article L. 332-8 du même code qu'il n'appartient qu'à l'autorité qui délivre l'autorisation de construire, et non au conseil municipal de la commune concernée, de décider d'exiger ou non de son bénéficiaire le versement d'une participation spécifique pour la réalisation d'équipements publics exceptionnels. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, le permis de construire du 6 décembre 2013 pouvait légalement être délivré en l'absence de cette délibération. Il en résulte qu'il ne peut être fait droit à la demande de substitution de motifs de la commune.

8. En second lieu, pour faire droit à l'appel de la commune d'Arquettes-en-Val, la cour administrative d'appel de Marseille s'est également fondée, aux points 7 et 8 de son arrêt, sur ce que le maire, saisi en avril 2015 d'une demande du SYADEN, maître d'ouvrage du réseau de distribution publique d'électricité, tendant à la délivrance d'autorisations de voirie en vue de la réalisation des travaux d'extension de ce réseau nécessaires à la desserte du bâtiment du GAEC autorisé en 2013, avait entendu non seulement refuser la délivrance des autorisations sollicitées, mais aussi s'opposer à la réalisation de ces travaux sur le fondement de l'article 49 du décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, et sur ce que l'opposition du maire était légalement justifiée par le coût des travaux que supporterait la commune et par les manœuvres frauduleuses ayant permis la délivrance du permis de construire du 6 décembre 2013.

9. En vertu de l'article 49 du décret du 29 juillet 1927, dont les dispositions ont été reprises, sous réserve de certaines modifications, à l'article 2 du décret du 1er décembre 2011 relatif aux ouvrages des réseaux publics d'électricité et des autres réseaux d'électricité et au dispositif de surveillance et de contrôle des ondes électromagnétiques, la réalisation des projets d'ouvrages des réseaux de distribution publique d'énergie électrique était subordonnée au respect d'une procédure d'approbation définie par l'article 50 du décret de 1927, dont les dispositions ont elles-mêmes été reprises à l'article 3 du décret de 2011. Par dérogation, si les ouvrages dont la longueur et la tension étaient inférieures à certains seuils pouvaient être réalisés sans mise en œuvre de la procédure d'approbation préalable, celle-ci était néanmoins exigée dans le cas où l'un des services intéressés, au nombre desquels figurait le maire de chaque commune sur le territoire de laquelle les ouvrages devaient être implantés, faisait connaître son opposition à la réalisation de ces ouvrages. Le décret du 26 mai 2014 portant simplification de la procédure relative à certains ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité, qui est entré en vigueur le 29 mai 2014 et dont les dispositions ont été reprises à l'article R. 323-25 du code de l'énergie à compter du 1er janvier 2016, a toutefois supprimé la faculté pour les maires des communes concernées de faire connaître leur opposition et l'obligation subséquente de mettre en œuvre la procédure d'approbation, au profit d'une simple procédure de consultation pour avis des maires de ces communes.

10. Par conséquent, dès lors qu'il est constant que le GAEC requérant s'est borné à mettre en cause les agissements de la commune d'Arquettes-en-Val à partir du mois de mai 2015, à la suite de la demande présentée par le SYADEN en avril 2015, et à se plaindre des préjudices subis du fait de l'absence de raccordement au réseau électrique de l'atelier édifié en 2016, les dispositions de l'article 49 du décret du 29 juillet 1927 relatives à la procédure d'opposition, comme du reste celles de l'article 2 du décret du 1er décembre 2011 dans leur rédaction antérieure au décret du 26 mai 2014, lesquelles au demeurant ne permettaient pas au maire concerné de faire échec à la réalisation des travaux d'extension du réseau électrique mais obligeaient seulement le maître d'ouvrage à mettre en œuvre la procédure d'approbation en cas d'opposition du maire, sont inapplicables au présent litige. En se fondant sur ces dispositions, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit. En outre, et contrairement à ce que soutient la commune, aucune disposition ne permettait au maire de faire obstacle à la réalisation de ces travaux ou de refuser le raccordement à ce réseau d'un bâtiment pour lequel il avait délivré un permis de construire en se fondant sur la charge financière pouvant en résulter pour la commune.

11. Il résulte de ce qui précède que le GAEC des Garrigues arquettoises est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'il attaque ainsi que de son article 2 en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du GAEC des Garrigues arquettoises, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Arquettes-en-Val une somme au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 21 mars 2022 et son article 2, en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires présentées par le GAEC des Garrigues arquettoises, sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Toulouse.

Article 3 : Les conclusions présentées par le GAEC des Garrigues arquettoises et par la commune d'Arquettes-en-Val au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au GAEC des Garrigues arquettoises et à la commune d'Arquettes-en-Val.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 juin 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464325
Date de la décision : 06/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2023, n° 464325
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; CABINET FRANÇOIS PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464325.20230606
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award