Vu la procédure suivante :
La société Bleu Citron Productions a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le ministre de la culture lui a refusé l'agrément provisoire lui permettant de bénéficier du crédit d'impôt pour dépenses de production de spectacles vivants prévu par l'article 220 quindecies du code général des impôts, d'enjoindre au ministre de lui délivrer cet agrément ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande d'agrément et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du refus d'agrément. Par un jugement n° 1900927, 1904471 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif a annulé la décision de refus de l'agrément provisoire, enjoint au ministre de la culture de délivrer cet agrément et rejeté le surplus de sa demande.
Par un arrêt n° 20BX03015 du 5 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel du ministre de la culture, a annulé les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement, en ce qu'il a annulé la décision de refus de l'agrément provisoire et enjoint au ministre de délivrer cet agrément, et a rejeté la demande de la société Bleu Citron Productions.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 novembre 2021 et les 18 février et 14 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bleu Citron Productions demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2016-1209 du 7 septembre 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Bleu Citron Productions ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 20 décembre 2018, le ministre de la culture a refusé à la société Bleu Citron Productions l'agrément provisoire, prévu par l'article 220 quindecies du code général des impôts, que celle-ci avait sollicité pour bénéficier du crédit d'impôt sur les sociétés au titre des dépenses de création, d'exploitation et de numérisation d'un spectacle vivant musical, au motif que la société n'était pas l'employeur de l'artiste principal de la tournée. Par un jugement du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision de refus, enjoint au ministre de la culture de délivrer l'agrément provisoire et rejeté le surplus de la demande de la société Bleu Citron Productions. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel du ministre de la culture, a annulé ce jugement et rejeté sa demande en première instance.
2. Aux termes de l'article 220 quindecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les entreprises exerçant l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants, au sens de l'article L. 7122-2 du code du travail, et soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de création, d'exploitation et de numérisation d'un spectacle vivant musical ou de variétés mentionnées au III du présent article si elles remplissent les conditions cumulatives suivantes : / 1° Avoir la responsabilité du spectacle, notamment celle d'employeur à l'égard du plateau artistique. (...) ; 2° Supporter le coût de la création du spectacle (...) / II. Ouvrent droit au crédit d'impôt les dépenses engagées pour la création, l'exploitation et la numérisation d'un spectacle musical ou de variétés remplissant les conditions cumulatives suivantes : (...) 3° Porter sur des artistes ou groupes d'artistes dont aucun spectacle n'a comptabilisé plus de 12 000 entrées payantes pendant les trois années précédant la demande d'agrément (...), à l'exception des représentations données dans le cadre de festivals ou de premières parties de spectacles (...). " Le montant des dépenses éligibles au crédit d'impôt est limité à 500 000 euros par spectacle et le crédit d'impôt, dont le taux s'élève à 15 %, est plafonné à 750 000 euros par entreprise et par exercice. Aux termes de l'article 1er du décret du 7 septembre 2016 relatif au crédit d'impôt au titre des dépenses de création, d'exploitation et de numérisation d'un spectacle vivant musical ou de variétés prévu à l'article 220 quindecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 220 quindecies du code général des impôts, les spectacles vivants musicaux ou de variétés sont agréés par le ministre chargé de la culture (...) ". En vertu de l'article 4 du même décret : " La demande d'agrément à titre provisoire est déposée auprès du ministère chargé de la culture (direction générale de la création artistique) par une entreprise exerçant l'activité d'entrepreneur de spectacle vivant mentionnée au I de l'article 220 quindecies du code général des impôts (...) ". Selon l'article 6 du même décret : " L'agrément à titre provisoire est notifié à l'entreprise de production (...). / Cette décision indique qu'au vu des renseignements et documents justificatifs mentionnés à l'article 5 le spectacle vivant considéré remplit les conditions prévues au II de l'article 220 quindecies du code général des impôts et ouvre droit au bénéfice du crédit d'impôt pour les dépenses mentionnées au III du même article, sous réserve de la délivrance de l'agrément à titre définitif ".
3. Il résulte des dispositions citées au point 2, éclairées par les travaux parlementaires, que le législateur a entendu soutenir les entreprises employant des artistes en développement, stimuler l'emploi dans les entreprises de petite taille et contribuer à la pérennisation de certains emplois artistiques. Si ces dispositions n'exigent pas de l'entrepreneur de spectacles vivants souhaitant obtenir l'agrément provisoire lui ouvrant le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 220 quindecies du code général des impôts qu'il soit l'employeur effectif de la totalité du plateau artistique, l'octroi de cet agrément suppose qu'il ait la responsabilité du spectacle, c'est-à-dire, comme l'a jugé la cour, qu'il participe à sa création aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène, qu'il soit ainsi responsable du choix, de la préparation et de la mise en œuvre de ce spectacle, ce qui implique nécessairement qu'il soit l'employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle.
4. En premier lieu, en jugeant que la condition tenant à ce qu'un entrepreneur de spectacles vivants, pour être éligible au bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 220 quindecies du code général des impôts, ait la qualité d'employeur à l'égard du plateau artistique, et soit donc employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle, ne portait pas atteinte, par elle-même, au principe de libre prestation de services, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.
5. En second lieu, en jugeant que l'agrément provisoire devait être, en l'espèce, refusé à la société Bleu Citron Productions, au motif qu'elle n'était pas l'employeur de l'artiste principal du spectacle, la cour n'a pas davantage entaché son arrêt d'erreur de droit. Par ailleurs, si la cour a également jugé que la responsabilité d'employeur à l'égard de l'artiste principal du spectacle impliquait l'existence d'un lien de subordination entre l'entrepreneur de spectacles vivants et l'artiste, alors qu'un tel lien n'est pas requis pour que la qualité d'employeur soit reconnue, eu égard aux particularités de l'activité d'artiste du spectacle, l'erreur de droit ainsi commise entache un motif surabondant de son arrêt.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Bleu Citron Productions est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Bleu Citron Productions et à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 5 juin 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana