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25/05/2023 | FRANCE | N°462968

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 25 mai 2023, 462968


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 septembre 2019 par laquelle le préfet de police de Paris a refusé d'échanger son permis de conduire tunisien contre un permis de conduire français, ainsi que les décisions implicites du préfet de police et du ministre de l'intérieur rejetant ses recours gracieux et hiérarchique intervenues les 12 et 13 janvier 2020, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de police de lui délivrer un permis de conduire français ou, subsidiairement

, de réexaminer sous astreinte sa situation et de lui délivrer dans ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 septembre 2019 par laquelle le préfet de police de Paris a refusé d'échanger son permis de conduire tunisien contre un permis de conduire français, ainsi que les décisions implicites du préfet de police et du ministre de l'intérieur rejetant ses recours gracieux et hiérarchique intervenues les 12 et 13 janvier 2020, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de police de lui délivrer un permis de conduire français ou, subsidiairement, de réexaminer sous astreinte sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de conduire. Par un jugement n° 2000515 du 8 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 avril 2022, 6 juillet 2022 et 19 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la route ;

- l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande du 22 février 2018, par laquelle M. B... a sollicité la délivrance d'un permis de conduire français en échange de son permis de conduire tunisien, a été rejetée par une décision du 17 septembre 2019 du préfet de police de Paris, confirmée sur recours gracieux et hiérarchique. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 8 février 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté son recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces refus.

2. Aux termes de l'article 7 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen : " Lorsque l'authenticité et la validité du titre sont établies lors du dépôt du dossier complet et sous réserve de satisfaire aux autres conditions prévues par le présent arrêté, le titre de conduite est échangé. / En cas de doute sur l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet conserve le titre de conduite et fait procéder à son analyse, le cas échéant avec l'aide d'un service compétent, afin de s'assurer de son authenticité. Dans ce cas, une attestation de dépôt, sécurisée, est délivrée à son titulaire. Elle est valable pour une durée maximale de deux mois et est inscrite au fichier national du permis de conduire. Elle est retirée à l'issue de la procédure d'échange. / Si l'authenticité est confirmée, le titre de conduite peut être échangé sous réserve de satisfaire aux autres conditions. Si le caractère frauduleux est confirmé, l'échange n'a pas lieu et le titre est retiré par le préfet, qui saisit le procureur de la République en le lui transmettant. / Le préfet peut compléter son analyse en consultant l'autorité étrangère ayant délivré le titre afin de s'assurer des droits de conduite de son titulaire. Le titre de conduite est dès lors conservé par le préfet. La demande auprès des autorités étrangères est transmise, sous couvert du ministre des affaires étrangères, service de la valise diplomatique, au consulat de France compétent. Le consulat transmet au préfet la réponse de l'autorité étrangère. En l'absence de réponse dans un délai de six mois à compter de la saisine des autorités étrangères par le consulat compétent, l'échange du permis de conduire est refusé. Si l'autorité étrangère confirme l'absence de droits à conduire du titulaire, l'échange n'a pas lieu et le titre est retiré par le préfet qui saisit le procureur de la République en le lui transmettant ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de doute sur la validité et l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet compétent fait procéder à son analyse avec l'aide d'un service spécialisé en fraude documentaire et peut la compléter en consultant par la voie diplomatique l'autorité étrangère qui a délivré le titre. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange, apporter la preuve de la validité et de l'authenticité de son titre par tout moyen présentant des garanties suffisantes. Cette possibilité lui est ouverte, même dans le cas où l'autorité étrangère, consultée par le préfet, n'a pas répondu.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de police a demandé l'avis des services spécialisés dans la fraude documentaire, qui ont relevé des anomalies les conduisant à douter de l'authenticité du permis de conduire présenté par M. B.... Sans solliciter par la voie diplomatique l'autorité étrangère qui a délivré le titre, le préfet de police a rejeté la demande de l'intéressé au motif qu'un doute était apparu sur son authenticité et que, après analyse, les services spécialisés dans la fraude documentaire ont estimé que ce titre présentait des caractéristiques de falsification par substitution de la photographie et des données biographiques. A l'appui de sa demande, l'intéressé a produit, d'une part, trois attestations délivrées par les autorités tunisiennes compétentes, l'une d'elles étant revêtue de l'apostille, dont il ressort que M. B... est titulaire d'un permis de conduire tunisien depuis le 6 juin 2011 toujours valide et que l'intéressé n'était pas sous le coup d'une suspension ou d'un retrait à la date de la décision litigieuse et, d'autre part, des attestations d'authenticité fournies par l'agence technique des transports terrestres tunisienne, ainsi que le certificat d'immatriculation du véhicule qu'il conduisait en Tunisie dès 2015, les attestations d'assurance et les quittances de paiement de ses vignettes automobiles au titre des années 2016 et 2017. En écartant ces documents au motif que l'intéressé n'avait apporté aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation motivée, précise et circonstanciée des services spécialisés en fraude documentaire sur l'absence d'authenticité de son permis national, sans rechercher si les documents présentés par M. B... ne présentaient pas par eux-mêmes des garanties suffisantes de validité et d'authenticité du titre, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, son jugement doit être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il ressort des pièces du dossier que les attestations et documents produits par l'intéressé, énumérés au point 4, présentent des garanties suffisantes pour qu'il soit procédé à l'échange de son permis de conduire. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa demande, M. B... est fondé à demander l'annulation des décisions des 17 septembre 2019, 12 et 13 janvier 2020 qu'il attaque.

7. Eu égard au motif d'annulation retenu au point précédent, il y a lieu d'ordonner au préfet de police de délivrer à M. B... un permis de conduire français en échange de son permis de conduire tunisien dans un délai de deux mois à compter de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 8 février 2022 est annulé.

Article 2 : La décision du préfet de police de Paris du 17 septembre 2019, ainsi que les décisions implicites de rejet des recours gracieux et hiérarchique de M. B... sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer un permis de conduire français à M. B... en échange de son permis de conduire tunisien dans le délai de deux mois à compter de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 25 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Barthélemy

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 462968
Date de la décision : 25/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 2023, n° 462968
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Barthélemy
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462968.20230525
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