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25/05/2023 | FRANCE | N°456497

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 25 mai 2023, 456497


M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 décembre 2015 et la décision confirmative du 3 février 2016 par lesquelles le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, la décision du 19 janvier 2016 lui infligeant un blâme, la décision du 5 février 2016 rejetant son recours gracieux relatif à sa notation établie au titre de l'année 2015 et la décision du 8 février 2016 refusant la révision de cette notation, d'autre par

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M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 décembre 2015 et la décision confirmative du 3 février 2016 par lesquelles le directeur général du centre hospitalier de Valenciennes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, la décision du 19 janvier 2016 lui infligeant un blâme, la décision du 5 février 2016 rejetant son recours gracieux relatif à sa notation établie au titre de l'année 2015 et la décision du 8 février 2016 refusant la révision de cette notation, d'autre part d'enjoindre au centre hospitalier de Valenciennes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l'affecter sur un poste correspondant à son grade d'adjoint administratif dans un service situé dans le bâtiment principal du centre hospitalier de Valenciennes, et enfin de condamner le centre hospitalier de Valenciennes à l'indemniser des préjudices nés du harcèlement moral et de la discrimination syndicale dont il a été victime. Par un jugement n° 1602613 du 25 octobre 2019, le tribunal administratif a annulé la décision du 3 février 2016, enjoint au directeur du centre hospitalier de Valenciennes d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, condamné l'établissement à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté les surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 19DA02766 du 6 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel du centre hospitalier de Valenciennes et l'appel incident de M. B....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 septembre et 8 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Valenciennes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette son appel ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 ;

- le décret n° 90-839 du 21 septembre 1990 ;

- le décret n° 91-45 du 14 janvier 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat du centre hospitalier de Valenciennes et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., recruté le 1er août 1994 au grade d'adjoint administratif par le centre hospitalier de Valenciennes, a vainement demandé à plusieurs reprises, entre les mois de septembre 2014 et juillet 2015, à être affecté sur un emploi qu'il estimait correspondre à son grade. Il a également fait l'objet d'une procédure disciplinaire au terme de laquelle, par une décision du 19 janvier 2016, l'administration lui a infligé la sanction du blâme ainsi que d'une évaluation professionnelle défavorable et d'une baisse de sa notation au titre de l'année 2015. S'estimant victime d'un harcèlement moral et d'une discrimination en raison de son appartenance syndicale, il a demandé le 12 novembre 2015 au directeur général du centre hospitalier de Valenciennes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Sa demande a été rejetée par une décision du 3 février 2016. M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille, notamment, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions précitées du 19 janvier 2016 et du 3 février 2016, d'enjoindre au centre hospitalier de Valenciennes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l'affecter sur un poste correspondant à son grade d'adjoint administratif dans un service situé dans le bâtiment principal du centre hospitalier, et de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par un jugement du 25 octobre 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 février 2016, enjoint au directeur du centre hospitalier de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, condamné le centre hospitalier à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus de la demande. Le centre hospitalier de Valenciennes se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel ainsi que l'appel incident de M. B....

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

4. Pour juger que le centre hospitalier de Valenciennes s'était rendu coupable envers M. B... de faits constitutifs de harcèlement moral de nature à lui ouvrir le droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, la cour administrative d'appel a retenu que l'intéressé occupait depuis plusieurs années au sein du pôle logistique un emploi ne correspondant pas à son grade d'adjoint administratif et que, alors qu'il avait présenté plusieurs demandes de changement d'affectation entre septembre 2014 et avril 2015, au retour d'un congé de formation professionnelle, l'administration lui avait, en octobre et novembre 2014, opposé l'absence de poste disponible en l'invitant à consulter la " bourse à l'emploi " du centre hospitalier, alors que des postes d'adjoints administratifs étaient vacants durant cette période, puis l'avait reçu le 2 septembre 2015 pour examiner sa candidature à un poste d'assistant de direction, alors que ce poste était déjà pourvu depuis un mois.

5. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dès l'issue du congé de formation dont a bénéficié M. B..., le centre hospitalier de Valenciennes a pris, par courrier du 3 avril 2014, l'initiative de l'inviter à préciser son projet professionnel. M. B... a alors adressé les 5 septembre 2014, 10 novembre 2014 et 27 mars 2015 à l'administration des courriers invitant celle-ci, en termes généraux, à l'affecter dans un emploi correspondant à son grade. Au cours d'un entretien du 21 octobre 2014, puis, par des courriers des 24 novembre 2014 et 27 mars 2015, l'administration a répondu à ses demandes en lui indiquant " qu'aucun poste correspondant à son grade n'était disponible au sein du pôle logistique de l'établissement " et qu'il lui appartenait de " suivre la procédure par le biais de la bourse interne aux emplois ". Si l'administration s'est abstenue d'informer M. B... de l'existence de postes d'adjoints administratifs vacants, sur lesquels elle estimait ne pouvoir nommer que des agents contractuels en voie de titularisation, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette omission ait été motivée par des considérations étrangères à l'intérêt du service. En outre, M. B... ne disposait pas de l'ensemble des qualifications requises pour le poste d'assistant de direction auprès de la direction générale auquel il s'est porté candidat, lequel n'était d'ailleurs que temporairement pourvu dans le cadre d'un contrat à durée déterminée. En jugeant que les éléments qu'elle a relevés, qui s'inscrivaient dans le cadre de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, caractérisaient un comportement constitutif de harcèlement moral, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le centre hospitalier de Valenciennes est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté son appel.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-1 du code de justice administrative.

7. En soutenant qu'il avait été durablement maintenu dans un emploi ne correspondant pas à son grade malgré ses demandes répétées de changement d'affectation, qu'il avait fait l'objet d'une discrimination syndicale matérialisée par une surveillance abusive, qu'il avait été victime d'une sanction disciplinaire, d'une appréciation défavorable pour l'année 2015 ainsi que d'une baisse de sa notation, et qu'il avait fait l'objet de mesures vexatoires, parmi lesquelles le détournement d'une réunion de travail en entretien disciplinaire, le refus de lui fournir une tenue de travail et l'utilisation de ses candidatures aux fins de l'humilier, M. B... a soumis au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral.

8. Toutefois, en premier lieu, il ressort des éléments produits par l'administration et de l'ensemble des autres pièces du dossier, d'une part, qu'il n'apparaît pas que l'intéressé ait été contrarié dans son souhait d'évolution professionnelle en étant conduit à exercer, pendant environ 14 ans, les mêmes fonctions comportant certaines tâches administratives d'exécution telles que la prise de commandes ni que son maintien dans cette affectation ait traduit, de la part de l'administration, une volonté de lui nuire et, d'autre part, que l'absence de suite favorable donnée, à partir de septembre 2014, aux demandes de changement d'affectation qu'il a formulées à son retour de congé de formation a été motivée par des considérations liées à l'intérêt du service. Il ressort de ces mêmes éléments que la décision d'infliger à M. B... une sanction disciplinaire, ainsi que l'appréciation défavorable portée sur son travail et la baisse de sa notation au titre de l'année 2015 étaient justifiées par son refus délibéré de se conformer aux exigences résultant de l'organisation du service dans lequel il était affecté ainsi que par les difficultés apparues dans le fonctionnement du service du fait de son comportement. En deuxième lieu, il ressort des mêmes pièces, d'une part, que M. B... n'a pas fait l'objet, de la part de l'administration, d'une surveillance qui aurait excédé l'attention qu'appelaient, dans l'intérêt du service, son comportement professionnel ou l'exercice de ses activités syndicales, et, d'autre part, que l'organisation de l'entretien prévu le 24 septembre 2015, auquel il a refusé d'assister, n'a pas méconnu les dispositions réglementaires en vigueur. En troisième lieu, au vu des mêmes pièces, il n'apparaît pas que le faible retard mis à le doter de l'intégralité de la tenue professionnelle requise ait présenté un caractère intentionnel. En dernier lieu, il ressort des mêmes pièces que la décision par laquelle l'administration a rejeté sa candidature à certains postes au motif qu'il ne possédait pas les qualifications nécessaires n'a pas pris une forme humiliante et ne révèle pas une intention vexatoire. Dans ces conditions, les agissements critiqués ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral de nature à justifier l'octroi de la protection fonctionnelle.

9. Le centre hospitalier de Valenciennes est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 25 octobre 2019 dont il relève appel, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 3 février 2016, lui a enjoint d'accorder la protection fonctionnelle à M. B... et l'a condamné à réparer son préjudice moral à hauteur de 1 000 euros.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de l'instance de cassation ou des précédentes instances. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Valenciennes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 6 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il rejette les conclusions d'appel du centre hospitalier de Valenciennes.

Article 2 : Les articles 1er à 4 du jugement du 25 octobre 2019 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Valenciennes et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 20 avril 2023 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 25 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Olivier Yeznikian

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Dominique Langlais

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 456497
Date de la décision : 25/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 2023, n° 456497
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:456497.20230525
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