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04/05/2023 | FRANCE | N°469492

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 04 mai 2023, 469492


Vu la procédure suivante :

M. G... H... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les élections municipales complémentaires qui se sont déroulées le 13 novembre 2022 dans la commune d'Ercourt (Somme) et de déclarer inéligibles les candidats élus de la liste " Unissons nos liens ". Par une ordonnance n° 2203793 du 1er décembre 2022, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa protestation comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Par une requête et

un mémoire en réplique, enregistrés les 7 décembre 2022 et 8 février 2023 a...

Vu la procédure suivante :

M. G... H... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les élections municipales complémentaires qui se sont déroulées le 13 novembre 2022 dans la commune d'Ercourt (Somme) et de déclarer inéligibles les candidats élus de la liste " Unissons nos liens ". Par une ordonnance n° 2203793 du 1er décembre 2022, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa protestation comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 décembre 2022 et 8 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... demande au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Des élections complémentaires ont été organisées dans la commune d'Ercourt le 13 novembre 2022 afin de pourvoir quatre sièges de conseillers municipaux. L'ensemble de ces sièges ont été obtenus par les candidats figurant sur la liste " Unissons nos liens ". M. H... fait appel de l'ordonnance du 1er décembre 2022 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces élections comme irrecevable, au motif qu'elle était manifestement tardive.

2. Aux termes de l'article R. 119 du code électoral : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai. / (...) ".

3. D'une part, des observations consignées au procès-verbal des opérations électorales ne peuvent valablement saisir le juge de l'élection que si elles contiennent une demande d'annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences. En se bornant à indiquer dans le procès-verbal des élections du 13 novembre 2022 qu'un bulletin de vote n'était pas conforme aux dimensions réglementaires, M. H... ne peut être regardé comme ayant entendu contester la validité des opérations électorales et inviter le juge à en tirer les conséquences.

4. D'autre part, toutefois, l'article R. 414-2 du code de justice administrative dispose que : " Les personnes physiques et morales de droit privé non représentées par un avocat, autres que celles chargées de la gestion permanente d'un service public, peuvent adresser leur requête à la juridiction par voie électronique au moyen d'un téléservice accessible par le réseau internet. / Ces personnes ne peuvent régulièrement saisir la juridiction par voie électronique que par l'usage de ce téléservice ". S'il en résulte qu'une requête que son auteur choisit d'introduire par voie électronique ne peut être regardée comme recevable si elle n'est pas introduite par le téléservice visé par cet article, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, dans le délai de recours contentieux, la juridiction soit saisie d'une requête par un autre moyen de communication électronique, notamment un courrier électronique, à condition que son auteur l'authentifie ensuite par l'utilisation du téléservice mentionné à l'article R. 414-2 ou par l'envoi postal ou le dépôt au greffe d'un exemplaire de sa requête signé sur support papier.

5. Il résulte de l'instruction que la protestation de M. H... a été adressée au greffe du tribunal administratif d'Amiens par deux courriers électroniques du 15 novembre 2022, soit avant l'expiration du délai de recours fixé par l'article R. 119 du code électoral, et que l'intéressé a confirmé le 29 novembre 2022 être l'auteur de cette protestation en en saisissant le tribunal par l'application Télérecours citoyens visée à l'article R. 414-2 du code de justice administrative. Dans ces conditions, c'est à tort que le président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa protestation comme tardive et irrecevable. L'ordonnance attaquée doit donc être annulée.

6. Il y a lieu de statuer immédiatement sur la protestation présentée par M. H..., le tribunal administratif se trouvant dessaisi par l'expiration du délai résultant de l'article R. 120 du code électoral.

7. Aux termes de l'article R. 30 du code électoral : " Les bulletins doivent (...) avoir les formats suivants : - 105 x 148 mm au format paysage pour les bulletins comportant de un à quatre noms (...) ".

8. Il résulte de l'instruction que les bulletins de vote de la liste " Unissons nos liens " étaient imprimés sur des feuilles de papier dont les côtés mesuraient 148 mm et 210 mm, soit au format A5, et non, comme l'exigent les dispositions de l'article R. 30 du code électoral, sur des feuilles de 105 mm par 148 mm, soit de format A6. L'emploi irrégulier du format A5, provoquant un gonflement des enveloppes électorales de nature à permettre l'identification du sens du vote des électeurs au moment où ils introduisaient leur enveloppe dans l'urne, a constitué une manœuvre ayant eu pour effet de porter atteinte au secret du vote et à la sincérité du scrutin. Il en résulte que les opérations électorales qui se sont déroulées le 13 novembre 2022 dans la commune d'Ercourt doivent, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs soulevés par la protestation, être annulées.

9. En vertu de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ". Dans les circonstances de l'espèce, la manœuvre exposée au point 8 ne présente pas, au sens de ces dispositions, un caractère frauduleux justifiant le prononcé d'une inéligibilité. En l'absence d'autre irrégularité susceptible de justifier que les candidats de la liste " Unissons nos liens " soient déclarés inéligibles, les conclusions présentées par M. H... à cette fin doivent être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens du 1er décembre 2022 est annulée.

Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 13 novembre 2022 dans la commune d'Ercourt pour l'élection de quatre conseillers municipaux sont annulées.

Article 3 : Les conclusions de M. H... tendant à ce que les candidats de la liste " Unissons nos liens " soient déclarés inéligibles sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. G... H..., à Mme E... D..., à M. C... I..., à Mme B... F..., à M. J... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 avril 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 mai 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 469492
Date de la décision : 04/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ÉLECTIONS ET RÉFÉRENDUM - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - SAISINE DU JUGE DE L'ÉLECTION PAR LA CONSIGNATION DE RÉCLAMATIONS AU PROCÈS-VERBAL (ART - R - 119 DU CODE ÉLECTORAL) – CONDITIONS TENANT AU CONTENU ET À LA FORME DES OBSERVATIONS CONSIGNÉES – 1) PORTÉE – PRÉSENCE DE CONCLUSIONS À FIN D'ANNULATION OU DE GRIEFS PRÉCIS METTANT EN CAUSE LA VALIDITÉ DES OPÉRATIONS ÉLECTORALES [RJ1] – 2) ILLUSTRATION – CANDIDAT SE BORNANT À INDIQUER QU’UN BULLETIN DE VOTE N’ÉTAIT PAS CONFORME AUX DIMENSIONS RÉGLEMENTAIRES – RESPECT – ABSENCE.

28-08-01 1) Des observations consignées au procès-verbal des opérations électorales ne peuvent valablement saisir le juge de l'élection que si elles contiennent une demande d'annulation de ces opérations ou sont formulées dans des termes qui, au moyen de griefs précis, mettent expressément en cause leur validité et invitent ainsi le juge à en tirer les conséquences. ...2) En se bornant à indiquer dans le procès-verbal des élections qu’un bulletin de vote n’était pas conforme aux dimensions réglementaires, un candidat ne peut être regardé comme ayant entendu contester la validité des opérations électorales et inviter le juge à en tirer les conséquences.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - FORMES DE LA REQUÊTE - PRÉSENTATION D’UNE REQUÊTE PAR VOIE ÉLECTRONIQUE – PERSONNE PRIVÉE NON REPRÉSENTÉE PAR UN AVOCAT ET N’ÉTANT PAS CHARGÉE DE LA GESTION D’UN SERVICE PUBLIC – 1) RECEVABILITÉ – CONDITION – UTILISATION DU TÉLÉSERVICE VISÉ PAR L’ARTICLE R - 414-2 DU CJA – 2) FACULTÉ DE SAISIR LA JURIDICTION DANS LE DÉLAI DE RECOURS CONTENTIEUX PAR UN AUTRE MOYEN DE COMMUNICATION ÉLECTRONIQUE – EXISTENCE - À CONDITION D’AUTHENTIFIER ENSUITE LA REQUÊTE [RJ2].

54-01-08 1) S’il résulte de l’article R. 414-2 du code de justice administrative (CJA) qu’une requête qu’une personne privée non représentée par un avocat et n’étant pas chargée d’une mission de service public choisit d’introduire par voie électronique ne peut être regardée comme recevable si elle n’est pas introduite par le téléservice visé par cet article, 2) ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, dans le délai de recours contentieux, la juridiction soit saisie d’une requête par un autre moyen de communication électronique, notamment un courrier électronique, à condition que son auteur l’authentifie ensuite par l’utilisation du téléservice mentionné à l’article R. 414-2 ou par l’envoi postal ou le dépôt au greffe d’un exemplaire de sa requête signé sur support papier.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 14 novembre 2014, Elections municipales de Pineuilh (Gironde), n° 382218, T. p. 685....

[RJ2]

Cf., s’agissant d’une requête présentée par télécopie, CE, 13 mars 1996, Diraison, n° 112949, p. 78 ;

pour un courrier électronique, CE, 28 décembre 2001, Elections municipales d’Entre-deux-Monts, n° 235784, T. pp. 974-1086.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 mai. 2023, n° 469492
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:469492.20230504
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