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27/04/2023 | FRANCE | N°460136

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 27 avril 2023, 460136


Vu la procédure suivante :

M. E... D... et Mme A... C..., en leur qualité de représentants légaux de leur enfant B..., ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer, respectivement, 80% et 20% de leur dommage. Par un jugement n° 1800279 du 19 février 2019, le tribunal administratif a condamné le CHU de Pointe-à-Pitre à verser à M. D... et Mme C... la somme

de 2 500 euros et rejeté le surplus de leur demande.

Par un arrêt n...

Vu la procédure suivante :

M. E... D... et Mme A... C..., en leur qualité de représentants légaux de leur enfant B..., ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer, respectivement, 80% et 20% de leur dommage. Par un jugement n° 1800279 du 19 février 2019, le tribunal administratif a condamné le CHU de Pointe-à-Pitre à verser à M. D... et Mme C... la somme de 2 500 euros et rejeté le surplus de leur demande.

Par un arrêt n° 19BX01621 du 4 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. D... et Mme C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 janvier, 4 avril et 20 septembre 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas été intégralement fait droit à leur demande et de condamner le CHU de Pointe-à-Pitre et l'ONIAM à leur verser la somme de 7 195 490,59 euros, ainsi que les intérêts et leur capitalisation ;

3°) de mettre solidairement à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre et l'ONIAM la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. D... et de Mme C..., à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... C... a accouché le 16 mai 2009, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, d'une petite fille prénommée B..., née prématurément à trente-et-une semaines d'aménorrhée. L'enfant a été hospitalisée en néonatologie, placée sous antibiothérapie probabiliste en raison du caractère inexpliqué de sa prématurité et de la Ranitidine lui a été administrée du 17 au 29 mai. Le 1er juin 2009, l'enfant, en état de choc sévère, a été transférée en réanimation et placée sous ventilation mécanique, en raison d'une entérocolite ulcéro-nécrosante de grade IV. L'enfant, handicapée à 80 %, reste atteinte de séquelle neurologiques graves. M. D... et Mme C..., parents de la victime mineure, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 4 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur requête tendant à la réformation du jugement du 19 février 2019 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a limité la condamnation du CHU de Pointe-à-Pitre à la somme de 2 500 euros et rejeté le surplus de leur demande.

Sur l'existence d'une faute dans le choix de l'alimentation de l'enfant :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, dès sa naissance, la jeune B... a été nourrie au lait artificiel. Si Mme C... avait proposé de nourrir sa fille au lait maternel, celui-ci devait préalablement être testé afin de s'assurer de l'absence de cytomégalovirus, présent dans 80% des laits maternels aux Antilles, et pasteurisé. Les analyses du lait de Mme C... ont été effectuées le 26 mai, soit treize jours après la naissance de l'enfant, et les résultats sont revenus négatifs au test du cytomégalovirus trois jours plus tard. En estimant qu'un tel délai s'explique par l'absence, non-fautive, de lactarium au sein du CHU de Pointe-à-Pitre, alors que les requérants soutenaient que le centre hospitalier avait commis une faute en attendant treize jours après la naissance de l'enfant, qui souffrait de troubles digestifs importants, pour faire procéder à l'analyse du lait maternel, et qu'il ressortait des deux rapports d'expertise que le lait maternel a un effet protecteur supérieur contre l'entérocolite, la cour a insuffisamment motivé son arrêt.

Sur la prescription de Ranitidine :

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que de la Ranitidine, antihistaminique qui inhibe la production d'acide gastrique, a été administrée à la petite B..., du 17 au 29 mai 2009, à l'occasion de sa prise en charge dans le service de soins intensifs.

4. En premier lieu, si la dangerosité de ce médicament pour les nouveau-nés prématurés n'était pas établie au moment de la naissance de la petite B..., il résulte du second rapport d'expertise que l'administration de Ranitidine n'était en tout état de cause pas indiquée, même au regard des connaissances de l'époque, la seule présence de sang rouge dans les résidus gastriques et les selles dans les deux jours suivants la naissance, après un accouchement hémorragique, justifiant une analyse de l'hémoglobine et non la prescription de ce médicament. Par suite, en jugeant que la prescription de Ranitidine ne saurait constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité du CHU de Pointe-à-Pitre, au seul motif que la nocivité de ce médicament était mal connue à l'époque des faits, sans tenir compte par ailleurs de l'absence d'indication à cette prescription au moment des faits, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

5. En second lieu, en retenant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'entérocolite ulcéro-nécrosante dont a été victime la jeune B... puisse être regardée comme directement imputable à la prescription de Ranitidine, alors qu'il ressortait de la seconde expertise médicale que le recours à ce médicament est un facteur favorisant de l'entérocolite et de l'émergence d'un germe pathogène type colibacille et que la mortalité est six fois supérieure chez les nouveau-nés prématurés exposés à la Ranitidine, la cour a commis une erreur de droit.

Sur la réparation au titre de la solidarité nationale :

6. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire (...) ".

7. En premier lieu, l'administration à la petite B... de lait artificiel ne constitue pas par elle-même un accident médical non fautif ou une affection iatrogène au sens des dispositions précitées. Par ce motif, qui n'implique aucune appréciation de fait et qu'il convient de substituer à celui retenu par la cour, le moyen tiré de ce que l'indemnisation du dommage subi par les requérants en raison de l'administration à l'enfant de lait artificiel doit être pris en charge par l'ONIAM sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit être écarté.

8. En second lieu, alors qu'elle avait d'une part, retenu l'absence de faute du centre hospitalier dans la prescription de Ranitidine, et d'autre part constaté que l'administration au nouveau-né de ce médicament avait sensiblement majoré le risque pour celui-ci de développer une entérocolite ulcéro-nécrosante, la cour administrative d'appel de Bordeaux ne pouvait, sans entacher son arrêt d'erreur de droit, écarter toute indemnisation par la solidarité nationale au titre de la perte de chance de se soustraire au dommage.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. F... et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'ONIAM. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D... et Mme C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 4 novembre 2021 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre versera à M. D... et Mme C... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D... et Mme C... et les conclusions de l'ONIAM sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. E... D..., premier requérant dénommé, au centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 avril 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 27 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Jean-Philippe Mochon

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 460136
Date de la décision : 27/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 avr. 2023, n° 460136
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:460136.20230427
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