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25/04/2023 | FRANCE | N°470133

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 25 avril 2023, 470133


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 29 septembre 2022 par laquelle le directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté l'a suspendue de ses fonctions à compter du 29 septembre 2021. Par une ordonnance n° 2201996 du 16 décembre 2022, prise sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.

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n pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 17 janvi...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 29 septembre 2022 par laquelle le directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté l'a suspendue de ses fonctions à compter du 29 septembre 2021. Par une ordonnance n° 2201996 du 16 décembre 2022, prise sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'hôpital Nord Franche-Comté la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Besançon que, par une décision du 10 septembre 2021 entrant en vigueur le 15 septembre 2021, le directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté a suspendu Mme A..., agent de service hospitalier en fonction au sein de cet établissement de santé, jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Par une ordonnance du 15 novembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de Mme A... tendant à la suspension de l'exécution de cette décision. Par une décision n° 459016 du 23 septembre 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cette ordonnance et suspendu l'exécution de cette décision jusqu'au terme du congé de maladie de Mme A... débuté le 10 septembre 2021 ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif. Par une décision du 29 septembre 2022, le directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté a de nouveau suspendu Mme A... à compter du 29 septembre 2021 jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 décembre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, en application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande de suspension de la décision du 29 septembre 2022.

3. D'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière applicable au litige et désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité à droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ".

4. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) ". Et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question. Par suite, en estimant que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de ce que la décision litigieuse a pris effet à une date à laquelle Mme A... se trouvait en congé de maladie, le juge des référés a commis une erreur de droit.

6. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé.

Sur l'urgence :

8. D'une part, la décision litigieuse a pour effet de priver Mme A... de sa rémunération, préjudiciant ainsi de manière grave et immédiate à sa situation financière. Par suite, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

Sur la décision contestée en ce qu'elle prononce une suspension :

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que le moyen tiré de ce que la décision de suspension a été prise alors que Mme A... se trouvait en congé de maladie n'est pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

10. Si Mme A... soutient également que cette décision est signée par une autorité incompétente, qu'elle a pris effet rétroactivement, qu'elle revêt le caractère d'une sanction déguisée, qu'elle revêt le caractère d'une sanction non prévue à l'article L. 533-1 du code général de la fonction publique, qu'elle revêt le caractère d'une sanction sans que les garanties de la procédure disciplinaire aient été respectées, qu'elle méconnaît les dispositions de l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique, qu'elle porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier, qu'elle constitue une mesure de police administrative illégale, qu'elle est entachée d'erreur de fait, qu'elle méconnaît le principe d'égalité, qu'elle crée une discrimination en raison de l'état de santé, qu'elle viole le secret médical, qu'elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle porte atteinte à son droit à la santé, à son droit à une vie privée et familiale normale, au droit au respect de l'intégrité physique et du corps humain, au principe de précaution, à la liberté individuelle, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie, et qu'elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, aucun de ces autres moyens n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité en ce qu'elle prononce une suspension.

Sur la date d'entrée en vigueur de la décision contestée :

11. Aux termes de l'article 14 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " Sous réserve des dispositions de l'article 15 ci-dessous, en cas de maladie dûment constatée et mettant le fonctionnaire dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, celui-ci est de droit mis en congé de maladie. ". Selon l'article 15 du même décret : " (...) Les fonctionnaires bénéficiaires d'un congé de maladie doivent se soumettre au contrôle exercé par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette dernière peut faire procéder à tout moment à la contre-visite de l'intéressé par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption de sa rémunération, à cette contre-visite ".

12. S'il ressort des termes de la notification de la décision litigieuse que, pour suspendre Mme A... avec effet rétroactif au 29 septembre 2021, le directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté s'est fondé sur la circonstance que le médecin agréé ayant procédé à une contre-visite le 28 septembre 2021 avait conclu que Mme A... était apte à exercer un emploi administratif, il ne ressort pas des autres pièces du dossier, et n'est pas soutenu par l'hôpital Nord Franche-Comté, qui n'a pas produit devant le Conseil d'Etat, que l'administration aurait refusé de faire bénéficier Mme A... d'un congé de maladie à compter de cette date. Il résulte dès lors de ce qui a été dit au point 5 que le moyen tiré de ce que la décision prononçant la suspension de Mme A... a pris effet à compter du 29 septembre 2021, alors qu'à cette date elle était en congé de maladie depuis le 10 septembre précédent, est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'entrée en vigueur de cette décision, en tant qu'elle précède la fin du congé de maladie.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur l'autre moyen relatif à la date d'effet de la décision litigieuse, qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 29 septembre 2022 suspendant Mme A... de ses fonctions, cette suspension prenant effet, sous réserve que l'intéressée soit toujours en congé de maladie, à la date de la présente décision et courant jusqu'au terme de son congé de maladie débuté le 10 septembre 2021, ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'hôpital Nord Franche-Comté la somme de 1 000 euros à verser à Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 16 décembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 29 septembre 2022 du directeur général de l'hôpital Nord Franche-Comté est suspendue jusqu'au terme du congé de maladie de Mme A... débuté le 10 septembre 2021 ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Besançon est rejeté.

Article 4 : L'hôpital Nord Franche-Comté versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'hôpital Nord Franche-Comté.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Fabienne Lambolez, assesseure, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 25 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Fabienne Lambolez

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Dominique Langlais

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 470133
Date de la décision : 25/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 avr. 2023, n° 470133
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470133.20230425
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