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21/04/2023 | FRANCE | N°467208

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 21 avril 2023, 467208


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 467208, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er septembre et 1er décembre 2022, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le syndicat des avocats de France demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-962 du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France ;
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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 467208, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er septembre et 1er décembre 2022, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le syndicat des avocats de France demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-962 du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 467211, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er septembre et 1er décembre 2022, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le syndicat des avocats de France demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-963 du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 ;

- le règlement (UE) 2018/1240 du 12 septembre 2018 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du GISTI et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Les décrets n° 2022-962 et 2022-963 du 29 juin 2022 relatifs aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France ont procédé à des adaptations de la procédure applicable à la délivrance de visas et instauré une procédure similaire pour les autorisations de voyage. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, le Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et le syndicat des avocats de France demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décrets.

Sur l'intervention :

2. Le syndicat de la justice administrative et l'union syndicale des magistrats administratifs justifient, eu égard à la nature et l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance, au soutien des conclusions des requérants. Leur intervention est, par suite, recevable.

Sur la légalité du décret n°2022-963 du 29 juin 2022 :

3. L'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant du décret attaqué dispose que : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires./ Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. / La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". Selon l'article D. 312-4 du même code, issu du même décret : " Les recours administratifs doivent être formés dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de refus de visa. (...) ". Selon l'article D. 312-7 du même code, issu du même décret : " Au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, le sous-directeur des visas est chargé d'examiner les recours contre les décisions de refus d'autorisation de voyage prises par l'unité nationale ETIAS. La saisine de cette autorité est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. Les recours devant le sous-directeur des visas doivent être formés dans un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de refus d'autorisation de voyage ".

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 112-1 du code de justice administrative : " (...) Le Conseil d'Etat donne son avis sur les projets de décrets et sur tout autre projet de texte pour lesquels son intervention est prévue par les dispositions constitutionnelles, législatives ou réglementaires ou qui lui sont soumis par le Gouvernement ". Il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe qu'un décret modifiant les conditions d'exercice et d'examen des recours administratifs préalables obligatoires formés contre les refus d'autorisation de voyage et les refus de visas d'entrée et de séjour devrait être soumis pour avis à l'une des sections consultatives du Conseil d'Etat. Par suite, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de ce que le décret attaqué n'a pas été soumis pour avis à la section de l'intérieur du Conseil d'Etat.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions contestées que le délai dans lequel doit être formé le recours administratif préalable obligatoire contre les décisions de rejet d'une demande de visa d'entrée ou de séjour ou d'une demande d'autorisation de voyage est de trente jours.

6. D'une part, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucun texte ni aucun principe ne s'oppose à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire instaure un délai plus court que le délai de recours contentieux pour l'introduction d'un recours administratif préalable obligatoire. D'autre part, eu égard à l'absence de formalisme d'un tel recours et à son objet, en retenant un tel délai, la Première ministre n'a ni méconnu le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ce recours doit être rédigé en français.

7. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait le principe d'égalité n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. Enfin, aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce qu'un recours administratif préalable obligatoire soit examiné par une autorité rattachée à un ministre. Le sous-directeur des visas au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur et des outre-mer est, comme toute autorité administrative, soumis au principe d'impartialité. Par suite, il ne saurait être utilement soutenu que la désignation de cette autorité pour examiner les recours administratifs préalables obligatoires formés contre les refus d'autorisation de voyage et les refus de visas de court séjour méconnaîtrait une exigence d'indépendance ou le principe d'impartialité.

Sur la légalité du décret n° 2022-962 du 29 juin 2022 :

9. Aux termes de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. (...) ". Aux termes de l'article R. 414-2 du code de justice administrative : " Les personnes physiques et morales de droit privé non représentées par un avocat (...) peuvent adresser leur requête à la juridiction par voie électronique au moyen d'un téléservice accessible par le réseau internet ". Les articles R. 421-2 et R. 421-3 du même code prévoient que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête " mais que " (...) l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet :1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; (... ) ". Aux termes de l'article R. 421-7 du même code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine ou devant le Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort, le délai de recours prévu à l'article R. 421-1 est augmenté d'un mois (...). Ce même délai est augmenté de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger ".

10. Aux termes de l'article R. 312-6 du code de justice administrative dans sa rédaction résultant du décret attaqué : " La personne dont le recours a été rejeté par le sous-directeur des visas, la commission mentionnée à l'article D. 312-3 ou, lorsque celle-ci a émis une recommandation en application de l'article D. 312-5-1, par le ministre des affaires étrangères ou le ministre de l'intérieur, peut demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision dans les délais prévus par les articles R. 421-1 et R. 421-2 du code de justice administrative. Les dispositions du 1° de l'article R. 421-3 du code de justice administrative et de l'article R. 421-7 du même code ne sont pas applicables ". Aux termes de l'article R. 777-5 du même code, issu du même décret : " Conformément aux dispositions de l'article R. 312-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les dispositions du 1° de l'article R. 421-3 et de l'article R. 421-7 du présent code ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre des décisions de refus de visa. Conformément aux dispositions de l'article R. 312-7-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les dispositions de l'article R. 421-7 du présent code ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre des décisions de refus d'autorisation de voyage ". Il résulte enfin de l'article 3 de ce décret que les litiges relatifs aux décisions individuelles prises en matière d'autorisations de voyage et de visas de court séjour en France relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence, en premier et dernier ressort, du tribunal administratif de Nantes.

11. Il résulte de l'ensemble des dispositions litigieuses, d'une part que le délai de recours contentieux, de deux mois, contre la décision implicite rejetant un recours administratif préalable obligatoire dirigé contre une décision de refus de visa ou d'autorisation de voyage court à compter de la date à laquelle la décision implicite est née, d'autre part qu'aucun délai de distance ne s'ajoute à ce délai et, enfin, que les jugements rendus pas le tribunal administratif de Nantes en la matière ne sont pas susceptibles d'appel.

12. En premier lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite dans le cadre de l'instruction par le ministre de l'intérieur, que le décret publié ne contient pas de disposition qui différerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section de l'intérieur du Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret en Conseil d'Etat doit être écarté.

13. En deuxième lieu, la seule circonstance que les personnes introduisant un recours contentieux à l'encontre d'un refus de visa ou d'une autorisation de voyage se voient privées du bénéfice du délai de distance prévu à l'article R. 421-7 du code de justice administrative alors que les requérants contre d'autres décisions administratives résidant à l'étranger, placés dans une situation différente, en bénéficient n'est pas de nature à établir que cette différence de traitement méconnaît le principe d'égalité.

14. En troisième lieu, d'une part le demandeur de visa ou d'autorisation de voyage est en mesure, même en cas de décision implicite de rejet et dès lors qu'un accusé de réception est transmis par l'autorité chargée d'examiner le recours administratif préalable, de déterminer la date précise à laquelle naît la décision et commence à courir le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l'article R. 421-1 du code de justice administrative. A défaut d'un tel accusé de réception ou de son insuffisance, il résulte des dispositions citées ci-dessus du code des relations entre le public et l'administration que le délai de recours contentieux de deux mois n'est pas opposable à l'intéressé. D'autre part, un tel recours à l'encontre d'une décision explicite ne peut être rejeté comme tardif que s'il est établi que ce recours a été introduit plus de deux mois après la date à laquelle cette décision a été reçue par le requérant. Il est loisible, en outre, au demandeur d'adresser, par voie électronique, une requête sommaire dans le délai de recours, dans les conditions prévues par l'article R. 414-2 du code de justice administrative et de compléter cette requête par un mémoire complémentaire selon la même voie. Enfin, aucun texte ni aucun principe général du droit ne consacre l'existence d'une règle du double degré de juridiction qui s'imposerait au pouvoir réglementaire, compétent pour déterminer les cas dans lesquels les juridictions administratives statuent en premier et dernier ressort.

15. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce qu'en édictant les dispositions litigieuses, la Première ministre aurait, en restreignant les conditions d'exercice des recours contentieux, méconnu le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés. Il en va de même du moyen tiré de ce qu'en ouvrant la voie de l'appel pour les seules décisions juridictionnelles rendues sur des demandes de visas de long séjour, le décret aurait édicté une règle inintelligible, eu égard, en tout état de cause, à la distinction existante entre visas de court et de long séjour dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décrets attaqués.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du syndicat de la juridiction administrative et de l'union syndicale des magistrats administratifs est admise.

Article 2 : Les requêtes du Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et du syndicat des avocats de France sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, au syndicat des avocats de France, au syndicat de la juridiction administrative, à l'union syndicale des magistrats administratifs, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 21 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467208
Date de la décision : 21/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 avr. 2023, n° 467208
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hadrien Tissandier
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467208.20230421
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