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17/04/2023 | FRANCE | N°468994

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 17 avril 2023, 468994


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 novembre et 26 décembre 2022 et le 22 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 18 octobre 2022 accordant son extradition aux autorités canadiennes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

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- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 novembre et 26 décembre 2022 et le 22 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 18 octobre 2022 accordant son extradition aux autorités canadiennes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada, faite à Ottawa le 17 novembre 1988 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Cabinet Briard, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités canadiennes l'extradition de M. B..., de nationalité canadienne, au titre d'un mandat d'arrêt émis le 27 août 2021 par un juge à la Cour de justice de l'Ontario, pour des faits qualifiés de désobéissance à une ordonnance du tribunal et enlèvement en contravention avec une ordonnance parentale de garde.

2. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

3. En deuxième lieu, si l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du même code, ces dispositions, en vertu du 3° de l'article L. 121-2 de ce code, ne sont pas applicables aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. En l'absence de stipulations sur ce point dans la convention d'extradition entre la France et le Canada du 18 novembre 1988, les articles 696-8 et suivants du code de procédure pénale régissent la procédure préalable à l'extradition en prévoyant une procédure contradictoire particulière devant la chambre de l'instruction. Au demeurant, la personne réclamée a la faculté de faire valoir ses observations jusqu'à l'intervention d'un décret d'extradition. Ainsi, les prescriptions de l'article L. 121-1 ne peuvent être utilement invoquées par M. B... pour soutenir que le décret attaqué aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 5, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle ". Aux termes de l'article 6, paragraphe 3, de la même convention : " Tout accusé a droit notamment à : / a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; / (...) e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ". Selon l'article 696-10 du code de procédure pénale : " Toute personne appréhendée à la suite d'une demande d'extradition doit être conduite dans les quarante-huit heures devant le procureur général territorialement compétent. (...) / Après avoir vérifié l'identité de la personne réclamée, le procureur général l'informe, dans une langue qu'elle comprend, de l'existence et du contenu de la demande d'extradition dont elle fait l'objet (...) ".

5. Contrairement à ce qui est soutenu, aucune de ces stipulations et dispositions, ni aucune autre, n'impose de notifier à la personne réclamée le décret d'extradition dans une langue qu'elle comprend. Par ailleurs, les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité. Par suite, le requérant ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre du décret attaqué, de l'absence de notification d'une traduction de cet acte.

6. En quatrième lieu, aux termes du 10 de la convention d'extradition entre la France et le Canada : " Sont produits à l'appui de la demande d'extradition : / 1. Dans tous les cas : / (...) b) Un exposé par un magistrat ou un fonctionnaire public des faits pour lesquels l'extradition est demandée, indiquant la date et le lieu de leur perpétration, ainsi que leur qualification légale et les dispositions légales qui leur sont applicables dont le texte sera annexé. / 2. Lorsqu'il s'agit d'une personne poursuivie ou accusée : a) L'original ou une copie certifiée conforme du mandat d'arrêt ou de tout acte ayant la même force, délivré dans l'Etat requérant ; / (...) 6. Tous les documents présentés à l'appui d'une demande d'extradition apparaissant émaner d'une autorité judiciaire de l'Etat requérant ou faite sous son autorité sont admis dans les procédures d'extradition dans l'Etat requis sans qu'ils soient établis sous serment ou affirmation solennelle et sans qu'il soit nécessaire de prouver la signature ou la qualité du signataire ". En vertu de l'article 11 de cette même convention : " Toutes les pièces présentées à l'appui d'une demande d'extradition sont admises dans les procédures d'extradition si elles sont transmises en liasse, sous le sceau d'un ministère ou d'un ministre de l'Etat requérant, sans qu'il soit nécessaire de prouver le caractère officiel du sceau ".

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition était revêtue du sceau du ministre de la justice du Canada, agissant au nom de l'autorité fédérale canadienne, et était accompagnée d'un rapport d'une avocate de la Couronne au bureau du Procureur général de la province de l'Ontario, intervenant au nom et sous la responsabilité de celui-ci, exposant les faits reprochés à M. B... et mentionnant les dispositions légales applicables. D'autre part, la régularité, au regard du droit canadien, du mandat d'arrêt du 27 août 2021 ne saurait être utilement contestée devant le Conseil d'Etat. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'irrégularité et du caractère incomplet de la demande d'extradition ne peuvent qu'être écartés.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention d'extradition entre la France et la Canada : " 1. L'extradition est accordée pour le ou les faits qui, aux termes des législations des deux Etats, constituent des crimes ou des délits punis d'une peine privative de liberté d'au moins deux ans. (...) / 2. Si la demande d'extradition vise plusieurs faits distincts punis chacun par les lois des deux Etats, mais dont certains ne remplissent pas les conditions prévues par le paragraphe 1 du présent article, l'Etat requis pourra également accorder l'extradition pour ces faits ". Il ressort des pièces du dossier qu'il est reproché à M. B... d'avoir enlevé ses filles et méconnu une décision judiciaire organisant les droits parentaux de garde et de visite. De tels faits relèvent en droit français de l'incrimination de non présentation d'un enfant mineur à la personne en droit de le réclamer, prévue par l'article 227-5 du code pénal et punie, en vertu de l'article 227-9 du même code, compte tenu du lieu et du délai de retenue des enfants, de trois ans d'emprisonnement. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le décret accordant son extradition aux autorités canadiennes aurait été pris en méconnaissance du principe de double incrimination énoncé à l'article 2 de la convention d'extradition et qui requiert que les faits soient incriminés dans les deux législations, sans exiger que leur qualification pénale soit nécessairement identique, et satisfassent à la condition relative aux peines encourues.

9. En sixième lieu, si M. B... fait valoir ses activités de journalisme et sa dénonciation de pratiques policières abusives, il ne saurait être sérieusement soutenu que son extradition aurait été demandée par les autorités canadiennes dans un but politique.

10. En septième et dernier lieu, une décision d'extradition peut affecter de manière suffisamment directe et certaine la situation des enfants mineurs de la personne dont l'extradition est demandée et qui en a la charge effective et continue, et constituer ainsi une décision dans l'appréciation de laquelle son auteur doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant en vertu de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Toutefois, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. Si M. B... fait valoir les conséquences de son extradition pour ses deux filles mineures eu égard notamment aux motifs l'ayant conduit à quitter avec elles le Canada et aux risques de séparation en cas de retour dans ce pays, les éléments invoqués ne sont pas de nature, dans les circonstances de l'espèce, à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et, en tout état de cause, de l'article 8 de la convention d'extradition entre la France et le Canada permettant de refuser une extradition pour des considérations humanitaires doivent être écartés.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 18 octobre 2022 accordant son extradition aux autorités canadiennes. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, conseillers d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 17 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Eche

La secrétaire :

Signé : Mme Annie Di Vita


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468994
Date de la décision : 17/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - PROMULGATION - PUBLICATION - NOTIFICATION - NOTIFICATION - FORMES DE LA NOTIFICATION - DÉCRET D’EXTRADITION – CONDITIONS DE NOTIFICATION À LA PERSONNE RÉCLAMÉE – 1) OBLIGATION DE NOTIFICATION DANS UNE LANGUE QU’ELLE COMPREND – ABSENCE – 2) LÉGALITÉ DU DÉCRET – INCIDENCE – ABSENCE [RJ1] – 3) CONSÉQUENCE – MOYEN TIRÉ DU DÉFAUT DE NOTIFICATION D’UNE TRADUCTION – OPÉRANCE – ABSENCE.

01-07-03-02 1) Ni le paragraphe 2 de l’article 5 et ni le paragraphe 3 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (EDH), ni l’article 696-10 du code de procédure pénale (CPP), ni aucune autre disposition n’impose de notifier à la personne réclamée le décret d’extradition dans une langue qu’elle comprend. ......2) Par ailleurs, les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité. ......3) Par suite, le requérant ne peut utilement se prévaloir, à l’encontre du décret attaqué, de l’absence de notification d’une traduction de cet acte.

ÉTRANGERS - EXTRADITION - DÉCRET D'EXTRADITION - CONDITIONS DE NOTIFICATION À LA PERSONNE RÉCLAMÉE – 1) OBLIGATION DE NOTIFICATION DANS UNE LANGUE QU’ELLE COMPREND – ABSENCE – 2) LÉGALITÉ DU DÉCRET – INCIDENCE – ABSENCE [RJ1] – 3) CONSÉQUENCE – MOYEN TIRÉ DU DÉFAUT DE NOTIFICATION D’UNE TRADUCTION – OPÉRANCE – ABSENCE.

335-04-03 1) Ni le paragraphe 2 de l’article 5 et ni le paragraphe 3 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (EDH), ni l’article 696-10 du code de procédure pénale (CPP), ni aucune autre disposition n’impose de notifier à la personne réclamée le décret d’extradition dans une langue qu’elle comprend. ......2) Par ailleurs, les conditions de notification d'une décision administrative sont sans incidence sur sa légalité. ......3) Par suite, le requérant ne peut utilement se prévaloir, à l’encontre du décret attaqué, de l’absence de notification d’une traduction de cet acte.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 7 mai 1952, Kaddour, n° 8768, p. 224.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2023, n° 468994
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Eche
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468994.20230417
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