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14/04/2023 | FRANCE | N°463428

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 14 avril 2023, 463428


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Union Parisienne ", l'association Villette Village, l'association Vivre ! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin, l'association " Demain La Chapelle ", l'association Vivre Gares du Nord et Est, l'Association pour la renaissance du quartier Arts et Métiers (ARCAM), l'association Vivre le Marais !, l'association Place Frenay ; Gare de Lyon ; Diderot BASTA COSI !, M. D... A... et Mme C... B... demandent au Conseil d'Etat, en application de l'artic

le 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Union Parisienne ", l'association Villette Village, l'association Vivre ! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin, l'association " Demain La Chapelle ", l'association Vivre Gares du Nord et Est, l'Association pour la renaissance du quartier Arts et Métiers (ARCAM), l'association Vivre le Marais !, l'association Place Frenay ; Gare de Lyon ; Diderot BASTA COSI !, M. D... A... et Mme C... B... demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux " haltes "soins addictions" ", de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 43 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans sa rédaction issue de l'article 83 de la loi n° 2021 1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34, 37-1 et 61-1;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;

- la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin, Gougeon, avocat de l'association " Union Parisienne " et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le paragraphe I de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, a prévu la création à titre expérimental, pour une durée maximale de six ans à compter de la date d'ouverture du premier espace, de salles de consommation à moindre risque au sein des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogues, dans des locaux distincts de ceux habituellement utilisés dans le cadre de leurs autres missions. Son paragraphe II a prévu que les personnes majeures consommant des drogues qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction de risques sont autorisées, dans ces salles, à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer et que le professionnel intervenant dans ces espaces ne peut être poursuivi pour complicité d'usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l'usage illicite de stupéfiants. Son paragraphe III a prévu que les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et dommages pour usagers de drogues adressent chaque année un rapport sur le déroulement de l'expérimentation. Son paragraphe V, enfin, a prévu que les dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'autorisation par le département des établissements sociaux et médico-sociaux ne sont pas applicables aux projets de mise en place des salles de consommation à moindre risque.

3. L'article 83 de la loi du 23 décembre 2021 a, après qu'il a été procédé à une première évaluation de cette expérimentation, modifié ces dispositions. Il a, ainsi, repoussé au plus tard au 31 décembre 2025 le terme de l'expérimentation. Il a, en outre, prévu que ces lieux, désormais dénommés " haltes "soins addictions"", peuvent être ouverts, non plus seulement dans les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue, mais également dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie, et aussi bien, dans l'un comme dans l'autre cas, dans des espaces situés au sein des locaux de ces centres que dans des locaux distincts ou dans des structures mobiles. Il a, enfin, prévu que ces lieux ne sont plus seulement " un espace de réduction des risques par usage supervisé ", mais également un espace " d'accès aux soins ", toujours " dans le respect d'un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé ".

4. L'association " Union Parisienne " et d'autres requérants demandent au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 dans sa rédaction issue de l'article 83 de la loi du 23 décembre 2021.

5. En premier lieu, si, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, le Parlement peut autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d'égalité devant la loi, il doit en définir de façon suffisamment précise l'objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle. En prévoyant, comme il a été dit, au paragraphe I de l'article 43 de la loi en litige, que l'expérimentation autorisée par cet article ne pourra excéder le 31 décembre 2025, le législateur a précisément fixé la durée maximale de l'expérimentation qu'il a autorisée. Si, ce faisant, il a repoussé, avant qu'il n'ait été atteint, le terme de l'expérimentation qui avait été engagée par la loi du 26 janvier 2016, aucune exigence constitutionnelle ne le lui interdisait par principe, contrairement à ce qui est soutenu. La durée de cette prolongation, portant sur une expérimentation qui avait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 et dont le législateur a, dans le même temps, ainsi qu'il a été dit, modifié certains des paramètres, peut être regardée comme limitée. Le grief tiré de ce que les dispositions en litige méconnaîtraient, eu égard au nouveau terme qu'elles fixent à l'expérimentation, le principe d'égalité doit dès lors être écarté.

6. Le grief tiré de ce qu'elles méconnaîtraient, eu égard à ce nouveau terme, d'autres principes ou droits de valeur constitutionnelle, en particulier le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit à la protection de la santé, le droit de participation à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement, le " droit à la sécurité " et celui de vivre dans un environnement sain, est inopérant.

7. En deuxième lieu, d'une part, la création des haltes " soins addictions " a pour objet, comme c'était déjà le cas de celle des salles de consommation à moindre risque dont l'expérimentation avait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, de réduire les risques sanitaires liés à la consommation de substances psychoactives ou stupéfiantes, d'inciter les usagers de drogues à s'orienter vers des modes de consommation à moindre risque et de les mener vers des traitements de substitution ou de sevrage. Elle se rattache, à ce titre, à la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue prévue à l'article L. 3411-8 du code de la santé publique et définie par celui-ci comme visant à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants. Cette politique comprend et permet les actions visant, notamment, la " supervision " des comportements, des gestes et des procédures de prévention des risques, laquelle consiste, comme le précise cet article, sans comporter aucune participation active aux gestes de consommation, à mettre en garde les usagers contre les pratiques à risques, à les accompagner et à leur prodiguer des conseils relatifs aux modalités de consommation des substances mentionnées psychoactives ou classées comme stupéfiants afin de prévenir ou de réduire les risques de transmission des infections et les autres complications sanitaires. La création des haltes " soins addictions " a, en outre, désormais également pour objet d'ouvrir aux usagers de drogue un accès aux soins, que l'équipe pluridisciplinaire assurant la supervision est chargée de leur faciliter, ce à quoi participe la possibilité d'ouvrir ces espaces dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.

8. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils contestent, par lesquelles le législateur a mis en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution, porteraient atteinte, au motif qu'elles permettraient la supervision de l'administration de stupéfiants sans être assorties de dispositifs permettant le traitement de l'addiction à ces substances, à cet objectif et au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

9. En troisième lieu, les décisions relatives à l'ouverture d'une halte " soins addictions " ne constituent pas des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement, aux termes duquel : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes les droits et libertés résultant de cet article en s'abstenant de prévoir des modalités de participation du public avant toute désignation du centre devant accueillir une halte " soins addictions ", en ne fixant aucun critère pour leur implantation ou en s'abstenant de préciser les mesures permettant aux usagers de drogue de traiter leur addiction.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 43 de la loi du 26 janvier 2016 dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 2021 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association " Union Parisienne " et autres.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association " Union Parisienne ", première dénommée, pour l'ensemble des requérants et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 mars 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 14 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463428
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2023, n° 463428
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463428.20230414
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