Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée EHPAD Flore a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 18 novembre 2022 par laquelle le directeur général par intérim de l'agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté et le président du conseil départemental de l'Yonne ont prononcé la cessation totale et définitive de son activité. Par une ordonnance n° 2203085 du 11 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 27 janvier et le 27 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société EHPAD Flore demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de de l'Etat, de l'agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté et du département de l'Yonne la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier :
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique : Vu les autres pièces du dossier ;
- le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de la société EHPAD Flore ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Dijon que l'autorisation qui avait été délivrée à la société Résidence Flore pour le fonctionnement de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Saint-Agnan Résidence Flore " a été renouvelée par un arrêté conjoint du 28 décembre 2016 du directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté et du président du conseil départemental de l'Yonne, pour une durée de quinze ans, à compter du 4 janvier 2017, avec une capacité de trente-trois places d'hébergement complet et quatre places d'hébergement temporaire pour les personnes souffrant de maladie d'Alzheimer ou apparentées. Les mêmes autorités ont, par un arrêté conjoint du 7 février 2018, autorisé le transfert de cette autorisation à la société EHPAD Flore. A la suite d'une visite d'inspection conduite les 11 et 12 mai 2022 sur le fondement de l'article L. 313-13 du code de l'action sociale et des familles, ces autorités ont décidé, le 17 mai 2022, de suspendre l'activité de cet établissement à compter du 18 mai 2022 pour une durée de six mois sur le fondement du dernier alinéa du I de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles et de le placer sous administration provisoire pendant une période maximum d'un mois aux fins de procéder au transfert de l'ensemble des résidents vers d'autres établissements. Les mêmes autorités ont, par un courrier du 16 août 2022, notifié à la société, en application de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles, vingt-cinq injonctions, dix prescriptions et une recommandation, issues du rapport de la mission d'inspection, à satisfaire dans un délai de deux mois. Estimant qu'il n'avait pas été remédié aux manquements constatés et que la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies et accompagnées restaient susceptibles, en cas de réadmission de résidents dans l'établissement, d'être menacés ou compromis, ces autorités ont, par une décision du 18 novembre 2022, prise sur le fondement des articles L. 313-16 et L. 313-18 du code de l'action sociale et des familles, prononcé la cessation totale et définitive de l'activité de l'établissement et abrogé l'autorisation qui lui avait été accordée. La société EHPAD Flore se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 11 janvier 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à ce que l'exécution de cette décision soit suspendue.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Il appartient au juge des référés qui rejette une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, d'analyser soit dans les visas de son ordonnance, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle.
4. Pour rejeter les conclusions à fin de suspension présentées devant lui, le juge des référés du tribunal administratif s'est borné, après avoir relevé dans les visas de son ordonnance que la société EHPAD Flore soutenait que la décision attaquée était entachée " d'erreurs de faits ", qu'elle avait " méconnu l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles " et qu'elle était " entachée d'une erreur manifeste d'appréciation " et était " disproportionnée ", à mentionner dans les motifs de cette ordonnance qu'" aucun des moyens analysés ci-dessus, dans les visas " n'apparaissait propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ". En ne précisant pas davantage, soit dans ses visas, soit dans ses motifs, les moyens soulevés par la société requérante, qui avait fait valoir, de manière circonstanciée, que les manquements retenus par la décision en litige reposaient sur de nombreuses erreurs de faits, que deux d'entre eux ne portaient pas sur les injonctions qui lui avaient été faites et qu'il n'avait pas été tenu compte de ce que l'établissement avait remédié à la quasi-totalité des dysfonctionnements, notamment les plus graves, initialement relevés, de sorte que la sécurité et le bien-être des résidents susceptibles d'être accueillis à la suite d'une réouverture n'étaient pas menacés, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas mis le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a insuffisamment motivé son ordonnance.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
7. Aux termes du I de l'article L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsque la santé, la sécurité, ou le bien-être physique et moral des personnes accueillies sont menacés ou compromis, et s'il n'y a pas été remédié dans le délai fixé par l'injonction prévue à l'article L. 313-14 (...), l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation peuvent décider la suspension ou la cessation de tout ou partie de l'activité de l'établissement (...) ".
8. En premier lieu, la décision contestée du 18 novembre 2022 se fonde particulièrement sur " l'absence de réflexion, de remise en cause ou de justification valide de la pratique de l'enfermement ayant consisté à réinstaller un résident dans une chambre à l'écart des lieux de vie et d'activité de l'établissement, dont l'accès unique par un escalier ne pouvait être emprunté par le résident compte tenu de son autonomie " à son retour d'hospitalisation et " l'absence de mise en œuvre de soins palliatifs pour ce même résident ". D'une part, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que les conditions, demeurant mal établies, dans lesquelles le résident en cause, dont l'état de santé ne lui permettait pas de quitter sa chambre, a été pris en charge, qui sont d'ailleurs antérieures à la visite de la mission d'inspection, correspondent à une quelconque pratique " d'enfermement " ou même " d'isolement " par l'établissement. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'il a été satisfait par l'établissement à l'injonction faite en conséquence, aux termes de laquelle il lui était demandé la suppression de la chambre n° 8, la mise en place dans les chambres doubles d'un système fixe ou mobile visant à respecter l'intimité et la dignité des personnes prises en charge, la suppression des plans de change et de soins dans les couloirs et la discussion en équipe pluridisciplinaire de la mise en place et de l'actualisation des prescriptions de contention pour chaque résident, la mise en œuvre de ce dernier élément demeurant subordonnée à l'accueil de résidents.
9. En deuxième lieu, d'une part, la décision contestée est notamment motivée par l'absence d'éléments de preuve justifiant la capacité de l'établissement à mettre en œuvre un accompagnement et une prise en charge pluridisciplinaire adaptée au regard des résidents accueillis par le biais de recrutement ou de convention/partenariat avec des professionnels de santé spécialisés et de proximité. Il résulte toutefois de l'instruction qu'en application de l'injonction n° 1 notifiée par le courrier du 16 août 2022, qui se bornait à demander que soient fournis les documents inscrits sur la liste remise lors de l'inspection, la société a effectivement transmis à l'agence régionale de santé et au département, le 30 septembre 2022, des conventions de coopération concernant un nouveau pharmacien dispensateur datée du 26 septembre 2022, l'association soins palliatifs Yonne datée du 4 mai 2018, le centre hospitalier de Sens pour la mise à disposition de son équipe mobile de gériatrie datée du 1er janvier 2020, le centre hospitalier de Joigny pour son service d'hospitalisation à domicile datée du 3 décembre 2018 et a produit une liste des quatre-vingt dix-huit consultations médicales ou para médicales dont ont bénéficié, sur site ou à l'extérieur, les résidents de l'établissement au cours de l'année 2021.
10. D'autre part, si la décision contestée retient également, en matière de sécurisation des locaux ayant fait l'objet de l'injonction n° 19, l'incapacité du gestionnaire à prendre les mesures de protection des escaliers et d'aménagement du sol des marches nécessaires pour répondre aux spécificités des personnes âgées ayant des difficultés motrices et visuelles, en relevant que la seule réponse du gestionnaire consiste à assurer une colorimétrie des marches, il résulte de l'instruction que l'escalier du bâtiment A, désormais réservé au personnel de l'établissement, n'est plus accessible aux résidents et aux accompagnants et que celui desservant le sous-sol, sécurisé par une porte, est précédé d'une bande podotactile destinée à avertir les personnes déficientes visuelles.
11. Il résulte de ce qui précède que sont notamment propres, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée les moyens tirés de ce que la décision du 18 novembre 2022, en ce qu'elle retient qu'il n'a pas été satisfait aux injonctions faites à l'établissement pour en déduire que la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies et accompagnées restent susceptibles, en cas de réadmission de résidents dans l'établissement, d'être menacés ou compromises, repose sur plusieurs erreurs de fait, sans qu'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision au vu de ses seuls autres motifs de sorte qu'il soit établi qu'étaient réunies les conditions requises par le I de l'article L. 313-16 pour que la cessation totale d'activité de l'établissement pût être prononcée.
Sur l'urgence :
12. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que, depuis la suspension initiale de son activité le 18 mai 2022, l'établissement, qui n'accueille plus de résidents, ne dispose plus d'aucune recette, tout en ayant, en vue de permettre sa réouverture, conservé ses charges fixes, dont celles afférentes à son personnel, qu'il a continué de rémunérer, et engagé les travaux et recrutements rendus nécessaires par les injonctions qui lui ont été faites. Contrairement à ce qui est soutenu en défense, la circonstance que la société requérante soit menacée de liquidation est de nature à caractériser que la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie. Si le ministre fait également valoir que la société serait à l'origine de cette situation ou que l'objectif de protection de la santé, de la sécurité et du bien-être des personnes accueillies poursuivi par la décision prise s'opposerait à ce que celle-ci puisse être suspendue, d'une part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société le conteste et qu'il existe, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur le bien-fondé de la mesure de cessation totale d'activité de l'établissement, d'autre part, il revient aux autorités compétentes, si elles l'estiment nécessaire, de prendre toute mesure propre à assurer la prise en charge par l'établissement des personnes accueillies dans le respect de leurs droits et des dispositions législatives et règlementaires applicables.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société EHPAD Flore est fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision qu'elle conteste.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 11 janvier 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Dijon est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 18 novembre 2022 du directeur général par intérim de l'agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté et du président du conseil départemental de l'Yonne est suspendue.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée EHPAD Flore, au ministre de la santé et de la prévention et au département de l'Yonne.