La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/04/2023 | FRANCE | N°453174

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12 avril 2023, 453174


Vu la procédure suivante :

La société Protecta, aux droits de laquelle vient la société Armosa France, a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 2 décembre 2016 par laquelle le directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire a prononcé la suspension de la mise sur le marché du produit " Tectonik Pour-On ". Par un jugement n° 1700392 du 22 février 2019, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 19MA01823 du 1er avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de l'Agenc

e nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du tr...

Vu la procédure suivante :

La société Protecta, aux droits de laquelle vient la société Armosa France, a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 2 décembre 2016 par laquelle le directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire a prononcé la suspension de la mise sur le marché du produit " Tectonik Pour-On ". Par un jugement n° 1700392 du 22 février 2019, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 19MA01823 du 1er avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), d'une part, annulé le jugement du 22 février 2019 du tribunal administratif de Nîmes et, d'autre part, rejeté la demande d'annulation de la décision du directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire du 2 décembre 2016.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juin et 1er septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Armosa France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 ;

- le règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 1090/2014 de la Commission du 16 octobre 2014 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Armosa France et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 mars 2023, présentée par la société Armosa France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire a prononcé, par une décision du 2 décembre 2016, la suspension de la mise sur le marché du produit " Tectonik Pour-On " commercialisé jusqu'alors par la société Protecta en tant que produit biocide. La société Armosa France, venant aux droits de la société Protecta, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 22 février 2019 qui avait annulé la décision du 2 décembre 2016 et a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le cadre juridique applicable :

2. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n°528/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides : "1. Aux fins du présent règlement, on entend par : a) " produit biocide " : - toute substance ou tout mélange, sous la forme dans laquelle il est livré à l'utilisateur, constitué d'une ou plusieurs substances actives, en contenant ou en générant, qui est destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l'action ou à les combattre de toute autre manière par une action autre qu'une simple action physique ou mécanique, (...) ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " le présent règlement ne s'applique pas aux produits biocides ou aux articles traités qui relèvent du champ d'application des instruments suivants : (...) / c) la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (...) ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision litigieuse : " Aux fins de la présente directive, on entend par: (...) / 2) médicament vétérinaire : / a) toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies animales ; ou / b) toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'animal ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d'établir un diagnostic médical ; (...) ". Cette définition du médicament vétérinaire " par présentation " ou " par fonction " est identique, sous réserve qu'elle s'applique aux animaux et aux maladies animales, à celle du médicament à usage humain figurant à l'article 1er, point 2 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain. Aux termes de l'article 2 de la directive 2001/82/CE : " (...) 2. En cas de doute, lorsqu'un produit, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, est susceptible de répondre à la fois à la définition d'un " médicament vétérinaire " et à la définition d'un produit régi par une autre législation communautaire, les dispositions de la présente directive s'appliquent ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L.5141-1 du code de santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " On entend par médicament vétérinaire, tout médicament destiné à l'animal tel que défini à l'article L. 5111-1 (...) ". En vertu des premier et dernier alinéas de l'article L. 5111-1 de ce code : " On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. (...) / Lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme un médicament ". Aux termes de l'article L. 5141-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " On entend par : / (...) 6° Médicaments vétérinaires antiparasitaires, tout produit antiparasitaire à usage vétérinaire, ainsi que les produits qui revendiquent une action antiparasitaire externe avec une action létale sur le parasite ; (...) ", ces dernières dispositions, qui précisent seulement la définition des médicaments vétérinaires antiparasitaires, ne permettant toutefois pas de qualifier de médicament vétérinaire un produit antiparasitaire qui ne répondrait pas à la définition du médicament figurant à l'article L. 5111-1.

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, notamment son arrêt du 6 septembre 2012, Chemische Fabrik Kreussler (C-308/11) que, pour déterminer si un produit relève de la définition du médicament " par fonction ", les autorités nationales, agissant sous le contrôle du juge, doivent se prononcer au cas par cas, en tenant compte de l'ensemble des caractéristiques du produit, à savoir ses propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, qui constituent le facteur sur la base duquel il convient d'apprécier, à partir des capacités potentielles de ce produit, si celui-ci peut être administré en vue de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques du sujet traité, ainsi que sa composition, ses modalités d'emploi, l'ampleur de sa diffusion, la connaissance qu'en ont les consommateurs et les risques que peut entraîner son utilisation. Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de justice qu'un produit ne saurait être considéré comme un médicament par fonction lorsque, compte tenu de son dosage et dans des conditions normales d'emploi, il n'est pas apte à restaurer, à corriger ou à modifier de manière significative des fonctions physiologiques chez le sujet traité. Il en résulte aussi qu'une substance dont les molécules n'interagiraient pas avec une composante cellulaire du sujet traité peut néanmoins, par son interaction avec d'autres composantes cellulaires présentes dans l'organisme du sujet traité, telles que des bactéries, des virus ou des parasites, avoir pour effet de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques du sujet traité. Si ces principes ont été dégagés pour l'application des dispositions régissant les médicaments à usage humain, ils sont applicables aux médicaments vétérinaires dès lors que la définition de ces derniers est identique, ainsi qu'il a été dit au point 2, à celle des médicaments à usage humain.

Sur le pourvoi :

5. En premier lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour administrative d'appel ne s'est pas fondée, pour qualifier le " Tectonik Pour-On " de médicament vétérinaire, sur la seule circonstance que sa composition comportait un principe actif, la perméthrine, substance ayant des effets anti-parasitaires, mais a procédé à l'analyse de la capacité de ce produit à corriger ou modifier des fonctions physiologiques des animaux traités en exerçant une action pharmacologique, ainsi qu'à l'analyse de sa composition, de ses modalités d'emploi, et des risques que peut entraîner son utilisation.

6. En deuxième lieu, c'est sans erreur de droit et par une appréciation souveraine des faits, exempte de dénaturation, que la cour administrative d'appel a jugé qu'il ressortait des pièces du dossier soumis à son examen, et notamment de la notice d'utilisation du produit " Tectonik Pour-On ", que ce produit était préconisé pour le traitement local, par application locale externe sur le dos de l'animal traité, contre les mouches des bovins, et que celles-ci incluaient non seulement les mouches domestiques, mais aussi des espèces de mouches parasites vectrices de maladies pour les bovins.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les mouches des bovins qualifiées de parasites, dès lors qu'un ou plusieurs stades de leur cycle de vie a lieu dans ou sur l'animal, sont affectées, comme les mouches domestiques, par l'action du " Tectonik Pour-On ", dont le principe actif est la perméthrine, qui attaque leur système nerveux et provoque leur mort. Si la société Armosa faisait valoir devant les juges du fond que la limite de dosage de 25ml par animal préconisée par la notice d'utilisation de ce produit était susceptible de réduire la quantité de perméthrine administrée à l'animal traité à environ 1,5 mg par kg de poids pour un animal de 600 kg, elle ne soutenait pas que cela affectait en tant que telle l'action du produit, qui conserve, même à ce dosage, la capacité de tuer les mouches parasites présentes dans et sur l'animal traité. C'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, et par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, que la cour administrative d'appel a jugé que le " Tectonik Pour-On " a pour objet et pour effet de prévenir une infection, une infestation ou une maladie causée ou transmise aux bovins par des parasites, et exerce ainsi une action pharmacologique modifiant les fonctions physiologiques des bovins traités. C'est sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique qu'ayant ainsi apprécié la capacité du " Tecktonik Pour-On ", dans des conditions d'emploi normales, à restaurer de manière significative les fonctions physiologiques des sujets traités, elle en a déduit que ce produit devait être qualifié de médicament vétérinaire.

8. Dès lors, sans que puissent être utilement critiqués les motifs, qui ne présentent pas un caractère déterminant, par lesquels la cour a, d'une part, indiqué que la composition du " Tecktonik Pour-On " comprenait une proportion de perméthrine comparable à celui d'autres produits à usage cutané autorisés comme médicaments à usage vétérinaire et, d'autre part, relevé le risque de toxicité du produit à forte dose pour les animaux traités et celui de retrouver son principe actif dans le lait ou la viande destinés à la consommation humaine, la société Armosa France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de société Armosa France, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros à verser à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'ANSES qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de société Armosa France est rejeté.

Article 2 : La société Armosa France versera à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Armosa France et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 12 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Rose-Marie Abel

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 453174
Date de la décision : 12/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2023, n° 453174
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:453174.20230412
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award