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12/04/2023 | FRANCE | N°452719

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12 avril 2023, 452719


Vu la procédure suivante :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ecurie A... Sionneau a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2012 au 31 décembre 2014, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1702532 du 18 décembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de 9 700 euros en droits et 4 497 euros en majorations et a rejeté le surplus de sa demande.

Par

un arrêt n° 19NT00615 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a...

Vu la procédure suivante :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ecurie A... Sionneau a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er octobre 2012 au 31 décembre 2014, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1702532 du 18 décembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de 9 700 euros en droits et 4 497 euros en majorations et a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 19NT00615 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de l'EARL Ecurie A... Sionneau, annulé l'article 2 de ce jugement et, statuant par la voie de l'évocation, rejeté la demande présentée devant le tribunal administratif d'Orléans et les conclusions en appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai 2021, 18 août 2021 et 2 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EARL Ecurie A... Sionneau demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire, dans cette mesure, droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de l'EARL Ecurie A... Sionneau ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ecurie A... Sionneau, qui exerce une activité d'entraînement de chevaux de course, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle elle s'est vu réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par un jugement du 18 décembre 2018, le tribunal administratif d'Orléans a jugé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la somme de 9 700 euros en droits et 4 497 euros en majorations, dégrevées en cours d'instance, et rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'EARL Ecurie A... Sionneau. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant par la voie de l'évocation après avoir, à l'article 1er de cet arrêt, annulé l'article 2 du jugement du tribunal administratif d'Orléans, a rejeté les conclusions présentées par l'EARL devant le tribunal administratif d'Orléans et devant la cour.

Sur l'étendue du litige :

2. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 7 septembre 2022, le directeur du contrôle fiscal du Centre-Ouest a accordé à l'EARL Ecurie A... Sionneau un dégrèvement partiel d'un montant de 339 euros, correspondant au montant de taxe sur la valeur ajoutée figurant sur une facture du 9 décembre 2014 ainsi qu'à la pénalité mise à la charge de cette société. Les conclusions du pourvoi sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur le surplus des conclusions du pourvoi :

3. En premier lieu, si l'EARL soutient, comme devant les juges du fond, que pour calculer la différence entre la TVA qu'elle estimait déductible et la TVA effectivement déduite par l'EARL au titre de la période du quatrième trimestre 2012 au troisième trimestre 2013, l'administration aurait dû, s'agissant de la TVA effectivement déduite, retenir un montant de 47 886 euros correspondant aux opérations mentionnées à l'annexe 2 à la proposition de rectification du 30 juillet 2015, c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a jugé que l'administration avait retenu le montant déclaré par l'EARL elle-même au titre de cette période, non contesté, soit 50 927 euros.

4. En deuxième lieu, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé, d'une part, que les huit factures de la clinique de Meslay pour 2014 produites par l'EARL Ecurie A... Sionneau mentionnaient un montant global de taxe sur la valeur ajoutée et ne permettaient pas de distinguer la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à des ventes de médicaments vétérinaires de celle correspondant aux prestations de soins facturées et, d'autre part, que ces factures n'avaient pas été réglées au cours de la période correspondant à l'exercice clos en 2014 et au quatrième trimestre 2014. C'est sans erreur de droit qu'elle en a déduit que l'administration avait à bon droit, retenant la date de paiement de ces prestations comme date d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur ces factures, exclu la déduction de celle-ci au titre de la période vérifiée.

5. En troisième lieu, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé que l'EARL Ecurie A... Sionneau ne justifiait pas avoir satisfait à l'obligation de déclarer la taxe grevant ses opérations intracommunautaires, dès lors qu'elle ne se prévalait que des mentions figurant dans ses documents comptables sans établir qu'elle avait adressé à l'administration les déclarations exigées par l'article 287 du code général des impôts. C'est sans erreur de droit que la cour en a déduit que l'EARL n'était pas fondée à demander la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en cause.

6. En quatrième lieu, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux factures au titre desquelles l'EARL Ecurie A... Sionneau avait comptabilisé la taxe sur la valeur ajoutée déductible figurant sur le compte de tiers " 4456-TVA déductibles " au titre du quatrième trimestre 2014, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a jugé que si l'EARL produisait des factures et des extraits de sa comptabilité établissant la réalité des prestations en cause, elle ne justifiait pas, en revanche, du paiement effectif de ces prestations pendant la période considérée. C'est sans erreur de droit qu'elle en a déduit que l'administration était fondée à refuser la déduction de cette taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette période.

7. En cinquième lieu, l'EARL Ecurie A... Sionneau soutenait, dans ses dernières écritures en appel, qu'elle avait fait l'objet d'un double redressement à raison des opérations mentionnées à l'annexe 3 à la proposition de rectification, récapitulant les montants de TVA que l'administration estimait avoir été à tort déduits par anticipation, ayant fait l'objet du rappel mentionné au point 2.3 de la proposition de rectification. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'EARL soutenait que ces montants étaient déjà inclus dans les montants de TVA non déductible récapitulés à l'annexe 2 de la proposition de rectification, ayant fait l'objet des rappels mentionnés au point 2.1 de la proposition de rectification, et mettait en évidence, sans être contredite sur ce point par l'administration, que les factures correspondant à ces opérations ne figuraient pas parmi celles mentionnées à l'annexe 2 comme établissant l'existence d'une TVA déductible, et que par conséquent la TVA correspondant à ces opérations était déjà incluse dans les rappels opérés à raison des opérations mentionnées dans cette annexe 2. Il en résulte que l'EARL est fondée à soutenir qu'en écartant cette contestation en relevant qu'elle n'apportait aucun élément probant pour en apprécier le bien-fondé, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier.

8. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ". Aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification peut, à tout moment de la procédure et alors même que le délai de réclamation serait expiré, demander à bénéficier d'une compensation dans la limite de l'imposition qu'il a régulièrement contestée.

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'EARL Ecurie A... Sionneau soutenait avoir reversé au Trésor public la TVA dont était assortie les sommes que lui avait reversées la société d'encouragement à l'élevage du cheval français au titre, d'une part, de ses gains de course et, d'autre part, d'aides à l'emploi, alors qu'aucune TVA n'était due sur ces sommes, précisait que le montant de la TVA ainsi indûment reversée au Trésor public excédait les droits en principal qui lui était réclamés au titre des rappels en litige, et demandait la décharge, pour ce motif, de ces rappels. Au regard de cette argumentation, l'EARL doit être regardée comme s'étant prévalue, en termes non équivoques, de la compensation prévue aux articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales. Elle est fondée à soutenir qu'en écartant cette demande au motif, d'une part, que le litige ne portait que sur la TVA déductible et, d'autre part, que les moyens de l'EARL tirés de ce qu'aucune TVA n'était due sur les gains de course et les aides à l'emploi étaient inopérants car invoqués à l'appui d'une demande de restitution de la TVA collectée elle-même irrecevable faute de réclamation préalable, la cour administrative d'appel a méconnu la portée de ses écritures.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL Ecurie A... Sionneau est fondée à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur ses conclusions à fin de décharge du rappel de TVA correspondant à la TVA déduite à tort par anticipation, d'une part, et sur sa demande de compensation, d'autre part.

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, qu'au point 2.3 de la proposition de rectification, l'administration a procédé à un rappel de taxes d'un montant de 5 403 euros, à raison des opérations mentionnées à l'annexe 3 de cette proposition de rectification qui récapitule les factures pour lesquelles la taxe sur la valeur ajoutée a été déduite par anticipation au cours de la période correspondant à l'exercice clos en 2014 et au quatrième trimestre 2014. Il en résulte, d'autre part, qu'au point 2.1 de la proposition de rectification, l'administration a procédé, au titre de la même période, à un rappel de taxes d'un montant de 40 407 euros, à raison des opérations ne figurant pas à l'annexe 2 de cette proposition de rectification qui récapitule les factures pour lesquelles l'EARL Ecurie A... Sionneau était en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée. Les factures récapitulées à l'annexe 3 ne figurant pas au nombre des factures récapitulées à l'annexe 2, l'EARL Ecurie A... Sionneau est fondée à soutenir que la TVA correspondante a fait l'objet d'un double rappel, et à demander la décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie à hauteur de 5 403 euros.

13. En second lieu, aux termes du 3 de l'article 283 du code général des impôts : " toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation ". Il en résulte que la taxe est due par toute personne qui la mentionne sur une facture ou tout document en tenant lieu. Le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée implique seulement, dans ce cas, qu'une possibilité de régularisation ne dépendant pas du pouvoir discrétionnaire de l'administration fiscale soit laissée à l'émetteur de la facture, cette possibilité de régularisation devant être ouverte à celui-ci sans condition de bonne foi s'il a éliminé tout risque de perte de recettes fiscales.

14. Il résulte de l'instruction, d'une part, que l'EARL Ecurie A... Sionneau n'a pas contesté, au vu des documents récapitulatifs intitulés " factures " que lui adressait la société d'encouragement à l'élevage du cheval français, établissant le montant des aides à l'emploi et des gains de course que cette société lui versait, le montant de TVA dont ces versements étaient assortis tel que mentionné sur chacune de ces " factures ". Dans ces conditions, l'EARL peut être regardée comme la personne qui a mentionné ce montant, au sens et pour l'application du 3 de l'article 283 du code général des impôts. D'autre part, l'EARL ne soutient pas avoir engagé une démarche de régularisation à l'endroit de la société d'encouragement de l'élevage du cheval français, ni lui avoir remboursé les montants de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle soutient avoir indûment collectés. Par suite, l'EARL Ecurie A... Sionneau ne démontre pas l'existence d'une surtaxe commise à son préjudice au sens de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales et sa demande de compensation doit être rejetée.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de l'EARL Ecurie A... Sionneau en tant qu'elles portent sur le rappel de taxe sur la valeur ajoutée de 339 euros correspondant à une facture du 9 décembre 2014 et les pénalités dont il été assorti.

Article 2 : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 mars 2021 est annulé en tant qu'il statue, d'une part, sur les conclusions de l'EARL Ecurie A... Sionneau tendant à la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée déduite à tort par anticipation et, d'autre part, sur sa demande de compensation.

Article 3 : L'EARL Ecurie A... Sionneau est déchargée des compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondant à l'exercice clos en 2014 et au quatrième trimestre 2014, à hauteur de 5 403 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'EARL Ecurie A... Sionneau est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Ecurie A... Sionneau et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 12 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Géraud Sajust de Bergues

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 452719
Date de la décision : 12/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 avr. 2023, n° 452719
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Géraud Sajust de Bergues
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:452719.20230412
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