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30/03/2023 | FRANCE | N°463747

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 30 mars 2023, 463747


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 mai, 4 août et 23 décembre 2022 et le 7 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Laboratoires CT.RS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 8 mars 2022 par lesquelles le Comité économique des produits de santé a fixé le prix de cession hors taxe aux établissements de santé des spécialités Neofordex 40 mg, comprimé, et Dexliq 4mg/ml ; >
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 7...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 mai, 4 août et 23 décembre 2022 et le 7 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Laboratoires CT.RS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 8 mars 2022 par lesquelles le Comité économique des produits de santé a fixé le prix de cession hors taxe aux établissements de santé des spécialités Neofordex 40 mg, comprimé, et Dexliq 4mg/ml ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Les Laboratoires CT.RS ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 mars 2023, présentée par la société Les Laboratoires CT.RS ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 mars 2023, présentée par la Haute autorité de santé ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par deux décisions du 8 mars 2022, le Comité économique des produits de santé (CEPS) a, par deux conventions avec le laboratoire CT.RS concernant, pour la première, la spécialité Neofordex 40 mg, comprimé, et, pour la seconde, les spécialités Dexliq, 4 mg/ml, flacon de 30 ml et Dexliq, 4 mg/ml, flacon de 50 ml, fixé les prix de cession hors taxes aux établissements de santé de ces spécialités, inscrites sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique et dont le principe actif est la dexaméthasone, à, respectivement, 20 euros, 60 euros et 100 euros, réduits après douze puis dix-huit mois de commercialisation. La société Les laboratoires CT.RS demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions du CEPS.

2. En premier lieu, l'article R. 161-71 du code de la sécurité sociale prévoit que : " (...) La Haute Autorité de santé peut inviter les associations de patients et d'usagers du système de santé à apporter leurs contributions à l'évaluation des médicaments et des produits ou prestations mentionnés aux articles L. 165-1 et L. 165-11 (...) ". L'invitation prévue par ces dispositions constitue non une obligation mais une simple faculté dont dispose la Haute Autorité de santé. La requérante n'est, par suite en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les décisions attaquées auraient été prises au terme d'une procédure irrégulière, faute pour les associations de patients et d'usagers du système de santé d'avoir été invitées à apporter leurs contributions.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale : " I. - Le prix de vente au public de chacun des médicaments mentionnés au premier alinéa de l'article L. 162-17 est fixé par convention entre l'entreprise exploitant le médicament, l'entreprise assurant l'importation parallèle du médicament ou l'entreprise assurant la distribution parallèle du médicament et le Comité économique des produits de santé conformément à l'article L. 162-17-4 ou, à défaut, par décision du comité, sauf opposition conjointe des ministres concernés qui arrêtent dans ce cas le prix dans un délai de quinze jours après la décision du comité. La fixation de ce prix tient compte principalement de l'amélioration du service médical rendu par le médicament, le cas échéant des résultats de l'évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament. Elle peut également tenir compte de la sécurité d'approvisionnement du marché français que garantit l'implantation des sites de production. "

4. D'autre part, l'article L. 162-17-4 du même code dispose que : " En application des orientations qu'il reçoit annuellement des ministres compétents, le Comité économique des produits de santé peut conclure avec des entreprises ou groupes d'entreprises des conventions d'une durée maximum de quatre années relatives à un ou à des médicaments visés (...) aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 162-17. (...) Ces conventions, dont le cadre peut être précisé par un accord conclu avec un ou plusieurs syndicats représentatifs des entreprises concernées, déterminent les relations entre le comité et chaque entreprise (...) ". L'article 17, relatif à la prévisibilité et à la stabilité des prix, de l'accord cadre du 5 mars 2021 conclu en application de ces dispositions entre le Comité économique des produits de santé et les entreprises du médicament (LEEM) prévoit notamment que : " (...) Sauf accord conventionnel particulier entre les parties, et sans préjudice des autres dispositions conférant une durée de stabilité des prix, le prix facial et les conditions de détermination du prix net d'un médicament ne peuvent pas être révisés à moins de 5 ans de sa date de commercialisation pour les indications ayant obtenu une ASMR 1 à 3 dont le prix est fixé en référence aux prix européens avec une évaluation médico-économique valide au sens de l'article 12c du présent accord cadre ; le prix facial ne peut pas être révisé à moins de 3 ans de la date de commercialisation pour toutes les autres situations. / Une révision des conditions de prix ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de 2 ans suivant une précédente révision du contrat (...) ". Le premier alinéa de l'article 27, relatif à la prise en compte des investissements réalisés dans l'Union européenne, du même accord cadre prévoit que : " Une stabilité du prix facial de cinq ans maximum peut être accordée par le Comité à un produit en fonction des investissements en lien direct avec ce même produit dans les capacités de production, la RetD ou des solutions numériques, récemment réalisés ou à venir en Union Européenne, notamment en France (y compris par l'intermédiaire d'un façonnier). "

5. Il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées sont des avenants à deux conventions conclues le 12 décembre 2013 entre le Comité économique des produits de santé et la société requérante. Dès lors, cette dernière ne peut se prévaloir de l'article 17, relatif à la prévisibilité et la stabilité des prix, de l'accord-cadre du 5 mars 2021, lequel réserve expressément le cas où existe un accord conventionnel particulier entre les parties. En outre, si la société requérante soutient avoir versé certaines sommes à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) en exécution d'un contrat de licence et d'exploitation sur savoir-faire conclu avec cette institution en 2010 et avoir mis de la dexaméthasone à disposition de l'AP-HP en 2020, il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier que ces éléments pourraient être regardés comme constitutifs d'investissements qui auraient permis, sur le fondement de l'article 27 du même accord-cadre, qu'une stabilité du prix facial soit accordée par le comité.

6. En troisième lieu, si le Comité économique des produits de santé peut, pour estimer l'amélioration du service médical rendu apportée par une spécialité en vue d'en fixer le prix, s'appuyer sur les éléments que comporte l'avis rendu par la commission de la transparence avant l'inscription ou la réinscription de ce médicament sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, il lui appartient d'apprécier lui-même l'ensemble des éléments devant conduire à la fixation du prix de la spécialité et notamment de vérifier que ce prix est justifié au regard des prix des médicaments à même visée thérapeutique, compte tenu notamment de la différence d'amélioration du service médical rendu apporté par ces médicaments.

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, pour la spécialité Neofordex 40mg, comprimé, indiquée chez l'adulte, en association, pour le traitement du myélome multiple symptomatique et exploitée en France dans un premier temps sous autorisation temporaire d'utilisation, la société requérante a obtenu en 2016 une autorisation de mise sur le marché (AMM) par une procédure européenne centralisée hybride au cours de laquelle elle a produit, au soutien de sa demande, des études cliniques établissant l'efficacité et la sécurité de la dexaméthasone à haute dose dans l'indication du myélome, ainsi qu'une étude de bioéquivalence avec la spécialité Dectancyl 0,5 mg, dont le principe actif est également la dexaméthasone, absorbée en fortes quantités pour être comparable à Neofordex dosé à 20 mg ou 40 mg en dexaméthasone. La commission de la transparence, qui a évalué Neofordex dans un premier avis du 19 octobre 2016, a retenu comme comparateurs cliniquement pertinents, dans l'indication de l'AMM de Neofordex, trois comprimés de trois principes actifs différents : dexaméthasone pour Dectancyl, prednisone pour Cortancyl et prednisolone pour Solupred. Compte tenu notamment de la réduction du nombre de prises par rapport à Dectancyl, elle a évalué le service médical rendu de Neofordex comme important et son amélioration du service médical rendu comme mineure (niveau IV).

8. La spécialité Dexliq, pour laquelle la société requérante a quant à elle obtenu une AMM en procédure décentralisée, par une décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de 2018, est un complément de gamme de Neofordex en solution buvable. La commission de la transparence a, par un avis du 9 janvier 2019, estimé que le service médical rendu de Dexliq était important dans toutes les indications de l'AMM et que la mise à disposition de cette première spécialité à base de dexaméthasone en solution buvable et l'intérêt clinique de cette formulation pour une utilisation pédiatrique et chez les patients avec troubles de la déglutition justifiaient un avis favorable à l'inscription sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités dans les indications et aux posologies de l'AMM, mais que cette spécialité qui, comme il a été dit, est un complément de gamme, n'apportait pas d'amélioration du service médical rendu (niveau V) par rapport aux autres spécialités à base de dexaméthasone déjà inscrites.

9. Par un nouvel avis du 8 janvier 2020 sur la spécialité Neofordex, sollicité par la direction de la sécurité sociale pour identifier une alternative thérapeutique prise en charge par l'assurance maladie dans certaines des indications de cette spécialité, autres que celle pour laquelle elle a obtenu une AMM en 2016, qui avaient fait l'objet d'une prise en charge dans le cadre de l'autorisation temporaire d'utilisation dont cette spécialité avait bénéficié jusqu'à cette date, la commission a, d'une part, conclu à l'existence d'une telle alternative pour ces indications, sur la base des comparateurs cliniquement pertinents déjà mentionnés, de leurs génériques et de Dexliq, et, d'autre part, confirmé les niveaux précédemment retenus pour Neofordex.

10. Il ne ressort pas des pièces versées au dossier que le comité, en se prononçant dans ces conditions, aurait, eu égard au dosage et aux indications différents, manifestement mal apprécié l'amélioration du service médical rendu par les spécialités Neofordex et Dexliq, en se fondant à tort sur les avis de la commission de la transparence.

11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le comité a, pour Neofordex, tenu compte d'une amélioration du service médical rendu mineure et déterminé son prix à un niveau correspondant, pour la première année de commercialisation, à l'indemnité perçue pendant la phase d'autorisation temporaire d'utilisation, puis au produit du dosage affiché en dexaméthasone par le prix de cette substance fixé au taux non contesté de 0,202 euro/mg. Pour Dexliq, compte tenu de son absence d'amélioration du service médical rendu, le prix fixé correspond au résultat de ce produit dès la première année de commercialisation. Il ressort en outre des pièces du dossier qu'après négociation, il a été décidé de renoncer à tenir compte du prix des autres comparateurs pertinents, Cortancyl et Solupred, dont les prix sont substantiellement plus faibles que celui des spécialités dont le principe actif est la dexaméthasone. Par ailleurs, si la requérante soutient que le prix fixé pour Neofordex, 40 mg devrait tenir compte de ce que la quantité de principe actif dans un comprimé est 88 fois supérieur à celle contenue dans un comprimé de Dectancyl, 0,5 mg, il ressort des pièces du dossier que le rapport de 80 correspond aux conditions réelles d'utilisation. La société requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que les décisions attaquées seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Les laboratoires CT.RS n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Les Laboratoires CT.RS est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Les Laboratoires CT.RS, au Comité économique des produits de santé et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi et M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 30 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463747
Date de la décision : 30/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mar. 2023, n° 463747
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463747.20230330
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