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27/03/2023 | FRANCE | N°462527

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 27 mars 2023, 462527


Vu la procédure suivante :

La société Parc éolien Guern a demandé au juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2022 par lequel le préfet du Morbihan a ordonné, en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, la suppression du parc éolien qu'elle exploite sur le territoire de la commune de Guern. Par une ordonnance n° 22NT00269 du 2 mars 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel a rejeté sa de

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Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoir...

Vu la procédure suivante :

La société Parc éolien Guern a demandé au juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2022 par lequel le préfet du Morbihan a ordonné, en application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, la suppression du parc éolien qu'elle exploite sur le territoire de la commune de Guern. Par une ordonnance n° 22NT00269 du 2 mars 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mars, 4 avril et 24 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Parc éolien Guern demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 ;

- le décret n° 2011-935 du 23 août 2011 ;

- l'arrêté du 26 août 2011 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Parc éolien Guern ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 février 2023, présentée par la société Parc éolien Guern.

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes que, par un arrêté du 15 avril 2020, le préfet du Morbihan a mis en demeure la société parc éolien Guern de régulariser la situation de son parc éolien, sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, en déposant soit un dossier de cessation d'activité, soit une demande d'autorisation environnementale. Constatant que la société n'avait pas procédé à la régularisation de sa situation, le préfet a ordonné la suppression des installations du parc éolien dans un délai d'un an, par un arrêté du 7 janvier 2022. La société parc éolien Guern se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 2 mars 2022 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté.

3. L'article L. 5 du code de justice administrative dispose que : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. / Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public ". Enfin, aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

4. Pour exercer les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés dispose des deux procédures prévues respectivement aux articles L. 522-1 et L. 522-3 du même code. La procédure prévue à l'article L. 522-1 est caractérisée à la fois par une instruction contradictoire entre les parties, engagée par la communication de la demande au défendeur, et par une audience publique. La procédure prévue à l'article L. 522-3, qui ne peut être utilisée que s'il apparaît, au vu de la demande, que celle-ci encourt un rejet pour l'une des raisons énoncées par cet article, ne comporte ni cette communication ni cette audience. Ces deux procédures sont distinctes. Lorsque, au vu de la demande dont il était saisi, le juge des référés a estimé qu'il y avait lieu, non de la rejeter en l'état pour l'une des raisons mentionnées à l'article L. 522-3, mais d'engager la procédure de l'article L. 522-1, il lui incombe de poursuivre cette procédure et, notamment, de tenir une audience publique.

5. Saisi par la société Parc éolien Guern d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes a, dans les conditions prévues à l'article L. 522-1 de ce code, communiqué la requête au défendeur et reçu un mémoire en défense, qu'il a visé. Il résulte de ce qui est dit au point 4 qu'en se dispensant de tenir une audience publique pour rejeter la demande de la société sur le fondement de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés a pris l'ordonnance attaquée à la suite d'une procédure irrégulière.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.

7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

8. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

9. D'une part, aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...) / II.- S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, ou si la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification est rejetée, ou s'il est fait opposition à la déclaration, l'autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l'utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code ". Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir constaté que la société Parc éolien Guern n'avait pas déféré à la mise en demeure évoquée au point 2, le préfet du Morbihan a, par un arrêté du 7 janvier 2022, ordonné la suppression du parc éolien exploité par la société et la remise en état du site, afin de mettre un terme à la situation irrégulière de cette installation et au risque d'atteinte à la sécurité publique, qui figure parmi les intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, résultant du risque de projection de pales sur les habitations situées à moins de 500 mètres du parc éolien.

10. D'autre part, si la requérante fait valoir que la suppression du parc éolien porte atteinte à l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre le dérèglement climatique par la production d'énergies renouvelables, particulièrement en Bretagne, la contribution à cet objectif de ce parc de trois aérogénérateurs, d'une puissance totale de 6 mégawatts, soit la consommation annuelle moyenne de 400 foyers, doit être mise en balance, pour l'appréciation de la condition d'urgence, avec l'intérêt public de préservation de la sécurité publique attaché au maintien de la décision dont la suspension est demandée. Si la requérante soutient également que la mise à l'arrêt de l'installation représente un manque à gagner de l'ordre de 3 250 euros par jour et que sa suppression engendrerait nécessairement des travaux importants et coûteux, lesquels seraient irréversibles, elle n'apporte pas d'éléments sur sa situation économique et financière de nature à établir que l'exécution de l'arrêté contesté serait de nature à l'affecter gravement. Enfin, la seule circonstance que la société requérante s'expose à des sanctions si elle ne procède pas aux mesures ordonnées par le préfet ne saurait caractériser une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

11. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que serait caractérisée une situation d'urgence nécessitant que l'exécution de la décision attaquée soit suspendue, dans l'attente du jugement de la requête au fond.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, que la société Parc éolien Guern n'est pas fondée à demander la suspension de l'arrêté du préfet du Morbihan du 7 janvier 2022. Par suite, sa demande de première instance doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Parc éolien Guern, pour les frais exposés devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Parc éolien Guern devant le juge des référés de la cour administrative d'appel de Nantes ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Parc éolien Guern et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 27 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 462527
Date de la décision : 27/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2023, n° 462527
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Antoine Berger
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462527.20230327
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